Visite du pape François en Asie du Sud-Est : un symbole du renforcement du dialogue interreligieux ?

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  • François Mabille

    François Mabille

    Directeur de l’Observatoire géopolitique du religieux, chercheur associé à l’IRIS

Le pape François a entamé ce 3 septembre la plus longue visite de son pontificat en Asie du Sud-Est (Indonésie, Timor oriental, Papouasie-Nouvelle-Guinée et Singapour). Quels sont les enjeux de cette visite et dans quelle mesure le contexte géopolitique dans lequel elle s’inscrit diffère des visites des précédents papes ?

Après Paul VI et Jean-Paul II, le pape François se rend à son tour en Asie du Sud-Est, dans le cadre d’un déplacement plus long que ceux de ses prédécesseurs et marqué également par des thématiques différentes. Schématiquement, on peut dire que le voyage de Paul VI s’inscrivait dans le cadre déjà bien abouti de la décolonisation et pour l’Église catholique, il s’agissait tout à la fois de marquer un intérêt pour les jeunes Églises locales et pour les différentes cultures. Près de 20 ans plus tard, en 1989, la venue de Jean-Paul II fut dominée par la volonté d’indépendance du Timor oriental, indépendance dont l’un des hérauts était un évêque, Mgr Bello. Il avait été du reste critiqué par le Saint-Siège qui estimait alors que cet évêque, qui recevra quelques années plus tard le prix Nobel de la paix, n’avait pas à se mêler de politique. L’autre sujet de préoccupation était alors la marge de liberté religieuse laissée aux missionnaires catholiques. Le déplacement actuel du pape s’inscrit dans un tout autre contexte. Sur le plan géopolitique, l’Asie occupe désormais une place majeure ; l’Indonésie tente de faire entendre une voix singulière sur la scène internationale, se voulant, dans le sillage du non-alignement de naguère, un pont entre l’Occident et l’Asie ; de son côté, le pape a placé les thématiques des « périphéries » et de la rencontre (dialogue) au cœur de sa pastorale mondiale. La notion de périphérie remplace chez lui celle plus ancienne des « confins » dans la pensée catholique : il s’agit des périphéries géographiques – l’Asie du Sud-Est est loin de Rome –, également des périphéries existentielles, c’est-à-dire de l’exclusion sous toutes ses formes, d’où les rencontres avec des associations spécifiques travaillant sur ce sujet. Le dialogue enfin concerne deux grands sujets : le travail en faveur de la paix, notamment avec les autres religions et plus spécifiquement les acteurs politiques et religieux musulmans ; et l’engagement en faveur de l’environnement, le pape ne cessant de vouloir mobiliser catholiques et « hommes de bonne volonté » sur cet enjeu majeur.

Quelles relations entretient le Vatican avec les pays d’Asie-Pacifique où le catholicisme reste généralement minoritaire ? Par ailleurs, quel intérêt la région revêt-elle pour le Saint-Siège ?

La perspective globale du Saint-Siège demeure l’universalisme catholique, c’est-à-dire l’évangélisation de tous les peuples. Cette dimension missionnaire ne peut plus s’effectuer comme naguère, et bien sûr, l’un des enjeux, est de dissocier dans les représentations, l’idée que le catholicisme s’assimile à l’Occident, autrement dit, soit perçu comme un courant religieux occidental, et donc relevant d’une influence étrangère. Ce travail passe désormais par une attitude de respect des différentes cultures locales (dans le langage catholique, on parle depuis les années 1970 d’inculturation, les sociologues préfèreront évoquer des processus d’acculturation) et par l’émergence d’Églises catholiques locales. Le fait que le pape François a nommé un cardinal d’origine papoue est significatif de cette évolution, et en même temps du processus d’internationalisation de l’Église catholique. Mais cet enjeu d’inculturation et de représentation est parfois mis à mal par le prosélytisme fort actif et perçu comme agressif de certaines Églises protestantes évangéliques. L’un des enjeux sous-jacents à la visite de François, comme ce fut le cas il y a un an en Mongolie, est aussi de parvenir à dissocier le catholicisme du protestantisme, dans les représentations à la fois des gouvernants et des populations.

Par ailleurs, la situation religieuse dans les quatre pays visités est fort différente : une majorité musulmane en Indonésie, chrétienne en Papouasie-Nouvelle-Guinée, catholique au Timor oriental, un « melting pot » à Singapour. Dans ce contexte, la question de la liberté religieuse en tant que minorité se pose à certaines Églises catholiques locales, et plus largement, le problème de la coexistence et de la tolérance entre acteurs religieux. Et ce, dans des cadres politiques fort divers avec lesquels le Saint-Siège et les Églises locales doivent composer : la régulation des religions en Indonésie ne s’effectue pas de la même manière qu’à Timor ou à Singapour.

Le pape François a fait de la question du dialogue interreligieux et plus largement de la promotion d’une politique de la tolérance un point d’orgue de sa visite. Quelle place occupent ces deux sujets dans la diplomatie du Vatican ? Quelles actions ont été mises en œuvre à ce sujet sur la scène internationale ?

Depuis les années 1960 (concile Vatican II dans l’histoire du catholicisme contemporain), un important travail d’approfondissement de dialogue interreligieux a été mené entre le catholicisme et les autres religions. Jean-Paul II y a apporté une première inflexion en 1986, en réunissant à Assise l’ensemble des acteurs religieux afin de la mobiliser en faveur de la paix, anticipant en quelque sorte l’approche que développera ultérieurement Huntington. Puis la diplomatie du Saint-Siège s’est fortement engagée contre la politique étrangère de Bush (fils) et donc contre la guerre états-unienne contre l’Irak.  Parallèlement a émergé aussi le constat des difficultés de liberté religieuse pour les chrétiens dans de nombreux pays, musulmans notamment. Depuis le début de son pontificat, le pape François a donc tenté d’approfondir les relations avec les acteurs politiques et religieux musulmans, afin de parvenir à une approche commune de respect et de tolérance. Ce travail, mené lors des nombreux déplacements du pape dans des pays musulmans, et qui s’appuie aussi sur des évolutions au sein même de l’islam, a débouché par exemple sur le document sur la « fraternité humaine » signé en 2019 avec le grand imam d’Al-Azar. Le voyage en Asie du Sud-Est s’inscrit dans ce sillage, avec des tonalités différentes suivant les pays : l’Indonésie est le plus grand pays musulman, reconnaît des religions et les régule également, et surtout, a développé dans sa politique étrangère une politique spécifique autour du dialogue interreligieux, à la fois pour des raisons intérieures mais aussi pour se positionner sur la scène internationale. Il y a donc là une convergence possible et intéressante pour la politique de tolérance promue par le Saint-Siège. À Timor oriental, lors de la célébration de l’indépendance du pays, le Parlement a adopté le document sur la « fraternité humaine » précédemment évoqué. Enfin, la politique religieuse de Singapour est également particulière et régulièrement revisitée. C’est donc dans des contextes politiques variés, mais tous confrontés à la présence d’identités religieuses nombreuses, que le pape va s’exprimer et tenter de promouvoir son approche d’une politique de tolérance.

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