Correspondances new-yorkaises
6 mai 2024
Une jeunesse américaine vent debout contre Netanyahou
Jodie est une jeune femme d’une vingtaine d’années, originaire de la Nouvelle-Angleterre. Cheveux bruns ondulés encadrant un visage délicat et des yeux expressifs, elle peut faire penser à Ali MacGraw, la star du film Love Story. Inscrite à l’école de droit de l’université Columbia, la prestigieuse Columbia Law School, elle loue une chambre dans le quartier de Washington Heights à quelques stations de métro de là. Lorsque je la rencontre, c’est la première fois qu’elle participe à l’occupation d’un campus.
La très réputée université de Manhattan est l’épicentre depuis plusieurs semaines d’un mouvement qui se répand comme un feu de poudre sur les campus américains de part et d’autre des États-Unis – et bien au-delà. Mouvement en soutien à la cause palestinienne qui voit se dresser vent debout contre la guerre que conduit Benyamin Netanyahou dans la bande de Gaza, la jeunesse d’un pays pourtant connu pour être le plus proche allié d’Israël.
« Le 7 octobre a été une horreur. Mais on ne doit pas répondre à la violence par une autre forme de violence encore plus grande », me dit Jodie, assise fasse à un café dans un Starbucks où se sont réfugiés en ce mardi 30 avril de nombreux étudiants après une nouvelle intervention musclée des forces de l’ordre. Celle-ci faisant suite à celle qui avait eu lieu le 18 avril précédent à la demande de la présidente de l’université, Nemat « Minouche » Shafik, regardée depuis avec désapprobation par la quasi-totalité de la faculté.
« Israël a bien sûr le droit de se défendre, mais pas de la sorte ! », ajoute mon interlocutrice. « C’est à un véritable massacre auquel on assiste ! Une démocratie ne peut pas se comporter ainsi ! Je ne vois pas de différence entre ce qu’il se passe à Gaza et ce que Poutine fait en Ukraine ou Xi Jinping avec les Ouïghours. ». Tout est dit.
Deborah, une camarade de Jodie, véritable athlète de plus d’un mètre quatre-vingt-dix qui affiche fièrement un tee-shirt où est inscrit le slogan « Not in my Name », se joint à nous. « Je suis juive, lance-t-elle d’emblée, mais il est hors de question que je cautionne ce qui ressemble à un début de génocide. »
En entendant le mot « génocide », Jodie poursuit dans la même veine : « Votre président Macron a récemment déclaré que la France aurait pu arrêter le génocide au Rwanda mais n’a pas eu la volonté de le faire. Je ne sais pas si c’est vrai, mais ce que je sais, c’est qu’aujourd’hui, sous ses yeux, se déroule quelque chose qui y ressemble, et il ne fait rien ! »
« Même chose avec Biden, ajoute Deborah. Il passe son temps à critiquer Netanyahou et à répéter qu’une attaque de Tsahal sur Rafah causerait des dommages inacceptables, mais il continue à leur livrer des armes ! » Une fois encore, tout est dit.
Jodie fait partie de ces dizaines de milliers d’étudiants américains qui, tout en condamnant les actions terroristes du Hamas début octobre ainsi que les prises d’otages, protestent avec force contre les crimes de guerre de l’armée israélienne. Elles et ses amis militent ardemment pour que, au-delà d’un cessez-le-feu qui ne serait être que provisoire, la solution à deux États soit enfin sérieusement relancée. Plusieurs milliers de ces étudiants ont déjà été arrêtés.
Deborah, elle, a rejoint début novembre les nombreux activistes juifs qui militent pour plus de justice en faveur des Palestiniens. Activistes le plus souvent soutenus par la communauté juive new-yorkaise, qui, bien que très attachée à l’existence de l’État hébreu, et d’ailleurs peut-être en partie pour cela, n’en a pas moins conscience de la nécessité d’une solution équitable et durable pour les deux peuples en conflit.
On est loin ici des hordes de « militants antisémites » qui, selon certains médias français et Bernard-Henri Lévy en particulier, terroriseraient les campus américains. Bien qu’il y ait quelques cas regrettables de judéophobie, ils demeurent isolés et sont immédiatement condamnés par la quasi-entièreté des manifestants.
En voyant les deux jeunes femmes s’éloigner, souriant au « V » de la victoire que Deborah adresse malicieusement à un officier de police sous le regard des caméras du monde entier, rassemblées devant l’entrée de l’université, je me demande ce que l’avenir réserve à Israël après s’être ainsi coupé d’une bonne partie de ce qui sera demain l’élite américaine.
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Romuald Sciora dirige l’Observatoire politique et géostratégique des États-Unis de l’IRIS, où il est chercheur associé. Essayiste et politologue franco-américain, il est l’auteur de nombreux ouvrages, articles et documentaires et intervient régulièrement dans les médias internationaux afin de commenter l’actualité. Il vit à New York.