Notes / Sport et géopolitique
24 mars 2021
Sport mondialisé : les défis de la gouvernance
Le sport est un empire dont la place et l’importance se sont développées de manière exponentielle au cours de ces dernières décennies. À l’échelle locale comme internationale, le sport a pris une envergure populaire, sociale, politique et économique que les plus optimistes n’auraient imaginée. Il est regardé, pratiqué et accueilli en grande pompe – presque – partout. Pour ces raisons, et pour les attentes qu’il suscite, il se trouve quotidiennement au cœur de l’attention et des débats.
Par conséquent, et depuis le tournant des années 1990, les critiques à son égard se multiplient également, les journaux spécialisés traitant désormais, à côté des résultats, « affaires » et accusations de tout type. Opacité, scandale, omerta sont des termes régulièrement utilisés pour décrire ce qu’il se passe sur les terrains ou au sein des instances. L’adjectif « mafieux » est même parfois directement associé aux pratiques de certaines fédérations sportives. Au fil des révélations, des voix se sont élevées pour nettoyer ces écuries d’Augias, appelant à une réforme profonde, voire forcée, d’un mode de gouvernance ostensiblement dépassé ; d’autres plaident pour une transition plus en douceur, souhaitant que le monde du sport opère de lui-même sa mue.
Aussi, des acteurs ou observateurs internes ou externes à ce monde sportif se sont, petit à petit, saisis de cette problématique, appelant de leurs vœux une « nouvelle gouvernance » ou, tout du moins, une « meilleure gouvernance ». Depuis plus de vingt ans désormais, cette thématique est ainsi perpétuellement présente à l’ordre du jour des réunions des instances sportives nationales comme internationales, et fait régulièrement l’objet de publications et de recherches. Elle revient surtout avec plus d’insistance dès qu’un scandale met en lumière les carences du monde du sport.
Si les analyses et les propositions se sont multipliées au cours des dernières décennies, adoptant le plus souvent une approche juridique, sociologique, institutionnelle ou encore relevant du management, le prisme des relations internationales n’a été, pour l’instant, que peu mobilisé. Pourtant, à l’heure où le monde du sport fait face à une politisation croissante et doit affronter ses propres contradictions, analyser la réforme de sa gouvernance à travers les enjeux géopolitiques sous-jacents apparaît indispensable. Par cette grille de lecture complémentaire, les instances pourraient ainsi mieux décrypter les mécanismes et tendances lourdes actuelles auxquels elles doivent faire face. En effet, comment comprendre la tectonique des enjeux sportifs sans tenir compte des intérêts parfois divergents des acteurs internationaux ou des tensions (géo)politiques qui dépassent largement le domaine sportif ? Comment construire une meilleure gouvernance sans prendre en compte les parties prenantes, au premier rang desquels les sportifs ? Comment penser la lutte contre le dopage sans percevoir les poussées unilatérales des États-Unis sur ce sujet, par l’application du principe d’extraterritorialité des lois américaines ? De quelle manière parvenir à allier le désormais gigantisme du sport et les préoccupations croissantes et pressantes face au changement climatique ?
Cette prise en compte des aspects géopolitiques s’impose avec plus de force alors que le monde sportif est aujourd’hui à un moment charnière de son développement. Fait social total, le sport ne fait plus uniquement face à des problématiques connues depuis plusieurs dizaines d’années que sont les affaires de corruption, de dopage ou de trucages de matchs, il doit désormais également composer avec des défis plus larges encore, qui l’affectent, l’utilisent ou le prennent à témoin. Ainsi, les mouvements #MeToo, Black Lives Matter ou la mobilisation populaire croissante à l’encontre de l’organisation de certains de ces grands événements sportifs sont autant de défis que le monde du sport doit percevoir avant d’espérer les relever. Si la réponse « sport et politique ne se mélangent pas » des instances dirigeantes du sport aux différentes formes de protestation peut apparaître cohérente au nom du sacro-saint principe de l’apolitisme du sport, elle n’est désormais plus audible ni défendable. Cela doit également inciter l’écosystème du monde sportif à comprendre qu’il se trouve, désormais, sur une ligne de crête. Si le sport demeure un empire, il ne doit pas oublier qu’il a été porté aux nues par des États, des supporters, des consommateurs qui, déçus ou lassés, risqueraient de s’en détourner. En d’autres termes, nier l’importance que ces problématiques revêtent désormais dans le sport reviendrait à confirmer, voire à accroître le décalage, réel ou ressenti, avec les aspirations politiques et sociétales, et risquerait, in fine, de plonger le système sportif dans une crise bien plus grave.
Ce travail ne prétend pas être exhaustif et ne saurait dresser un panorama complet de la multitude des enjeux actuels. Des travaux complémentaires seront donc les bienvenus pour poursuivre cette analyse et la dépasser.