Sommet de l’OTAN : le théâtre d’ambitions sécuritaires réalistes ?

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Le programme du sommet de l’OTAN qui s’ouvre lundi 14 juin à Bruxelles s’annonce intense : défis géopolitiques (Chine, Russie et Turquie), enjeux climatiques, menaces cyber… Autant de questions qui s’imposent à l’agenda de l’organisation. Mais c’est surtout la question de la relation transatlantique, que le nouveau président américain Joe Biden cherche à renforcer après les années Trump, qui nourrit le plus d’attentes. Le point avec Patrick Chevallereau, chercheur associé à l’IRIS et consultant international sur les questions de défense et de sécurité.

Le 14 juin se tiendra le prochain sommet des dirigeants des pays de l’Alliance atlantique à Bruxelles. Quels sont les principaux enjeux de ce nouveau sommet de l’OTAN ?

Le dernier sommet de l’Alliance Atlantique, en 2019 à Londres, a été marqué par la présidence Trump. Un an seulement nous séparait de l’échéance des élections présidentielles américaines. Nous nous trouvons aujourd’hui dans une situation complètement différente. Biden est dans une posture nettement atlantiste, nourrie par  sa longue carrière politique à l’international, dans ses fonctions de sénateur puis de vice-président des Etats-Unis.  Il n’est pas du tout en terra incognita.  Mais Joe Biden va devoir s’efforcer d’effacer le désastre transatlantique des années Trump. Celles-ci ont en effet fragilisé la cohésion et la signification politique de l’alliance, impactant notamment la confiance entre les deux rives de l’Atlantique. Dans un premier temps, Donald Trump avait en effet laissé planer des doutes sur l’application éventuelle de l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord par les Etats-Unis– la clause de solidarité de l’alliance. Il va donc falloir panser les plaies de ce traumatisme, sans doute plus important pour certains pays européens que pour d’autres : on pense ici aux pays d’Europe centrale et de l’Est. Au terme de ce très court sommet, on peut s’attendre à un message politique fort. Le contraire serait surprenant.

Mais au-delà de l’affichage d’une solidarité transatlantique retrouvée, il va falloir se pencher sur la valeur ajoutée qui doit être celle de l’OTAN dans le contexte sécuritaire actuel. Parmi les thèmes à traiter figureront les réponses à apporter aux menaces et aux risques qui se développent sur les flancs Sud et Est de l’Europe, mais aussi probablement la question de la Chine. Ce sommet permettra de lancer les travaux d’élaboration du nouveau concept stratégique, puisque le dernier en date remonte à décembre 2010. Beaucoup de choses se sont passées depuis, qui ne remettront pas en cause les trois tâches fondamentales de l’OTAN, à savoir la défense collective, la gestion de crise et la coopération de sécurité.  Parmi les nombreux sujets, il faudra être attentif à une question de sécurité européenne particulière : celle de l’Ukraine, et du lancement éventuel du processus d’adhésion de ce pays à l’OTAN. Une telle décision poserait néanmoins des difficultés compte tenu de l’actuel conflit gelé du Donbass. La question de l’unité politique de l’Alliance atlantique sera au cœur de ce sommet et, naturellement, chacun aura à l’esprit la divergence stratégique opérée par la Turquie au cours des dernières années, et les défis que cette situation nouvelle soulève.  La fragilisation de l’unité politique de l’Alliance avait marqué les semaines précédant le sommet de Londres en 2019. Cette fragilisation, parce qu’elle met en cause la pertinence de l’Alliance, avait été dénoncée à juste titre par le président français.

Enfin, pour les promoteurs d’une véritable Europe de la défense, dont la France fait évidemment partie, l’objectif sera d’éviter le retour chez les partenaires des États-Unis, d’un état d’esprit de confort confinant à la vassalité, qui a prévalu chez beaucoup d’entre eux au cours des décennies qui ont précédé l’ère Trump. Il sera question de partage de fardeau et de partage des responsabilités. L’enjeu est celui d’une Europe qui, en partenariat étroit avec les Américains, puisse mieux prendre en charge sa propre sécurité.

Il s’agit du premier sommet de l’Alliance depuis l’arrivée au pouvoir de Joe Biden. Quelles sont les ambitions des États-Unis ? Quelle incidence cela peut-il avoir sur les décisions qui seront adoptées ?

Après les années Trump, Joe Biden veut témoigner du retour des États-Unis sur la scène internationale, et en particulier d’un tel retour aux côtés des Européens.  Mais si Biden a certes déclaré « America is back » sur la scène internationale, la question pour les Européens est de savoir si ce réinvestissement s’applique aussi pleinement aux défis de sécurité qui intéressent le vieux continent.

La nouvelle administration a déjà affiché son souhait de coopérer étroitement avec les like-minded nations, avec l’idée de faire émerger une sorte d’alliance des démocraties qui irait d’ailleurs au-delà du seul espace Euro-atlantique. Mais si des alliés importants de Washington existent dans la zone Indo Pacifique, le cœur des démocraties est concentré en Europe.  Une même communauté de valeurs pourrait bien constituer le socle à partir duquel la nouvelle administration américaine abordera ses partenariats de sécurité. Plus concrètement, il s’agira pour les Américains le 14 juin de rassurer les Européens sur leur engagement et leur solidarité après les multiples retraits internationaux de Donald Trump. On doit évidemment s’attendre à ce que Washington réaffirme son soutien aux pays européens face à la Russie, dont les stratégies hybrides et l’absence d’inhibition ont récemment encore connu des développements inquiétants. A cet égard, il est logique et significatif que le sommet de l’OTAN et la consultation de Washington avec ses alliés précède la rencontre bilatérale entre Biden et Poutine prévue le 16 juin à Genève.

Enfin, les États-Unis essayeront certainement d’amener leurs partenaires européens sur les priorités stratégiques américaines au premier rang desquelles se trouve la montée en puissance de la Chine. Cette question demeure complexe pour l’OTAN, car elle est hors de la focale d’origine de l’Alliance atlantique.  On peut s’interroger sur l’intérêt qu’aurait l’OTAN à s’impliquer dans une problématique de cette ampleur dans la zone Indo-Pacifique alors que la question de la défense collective face à la Russie l’accapare de plus en plus depuis 2014. Une dispersion des efforts de l’Alliance pourrait être dommageable à la qualité avec laquelle l’organisation accomplit ses missions.  Le 14 juin, c’est avant tout le signal d’une relation transatlantique apaisée et confiante qui sera attendue par les pays-membres de l’OTAN.

Parmi les sujets abordés se trouvent les technologies émergentes et le changement climatique. L’ensemble de ces sujets font-ils partie des attendus de l’OTAN ? N’assistons-nous pas à une « otanisation » de certains sujets ?

Il n’y pas d’« otanisation » de ces sujets comme si, dans une logique existentielle, l’Alliance poursuivait l’objectif de s’accaparer ces grands thèmes tellement importants pour nos sociétés. Il est en effet normal, voire indispensable, que l’OTAN prenne en compte ces thématiques en raison de leur impact important sur la sécurité internationale.  Il est évidemment nécessaire que l’OTAN s’intéresse à la menace cybernétique, à l’espace exo-atmosphérique ou à l’intelligence artificielle. L’explosion des technologies duales, de plus en plus accessibles à toutes sortes d’acteurs soulève de véritables défis de sécurité pour nos pays et nos concitoyens. . Il faut souligner à cet égard le rôle du Commandement allié de la Transformation (ACT), un état-major de niveau stratégique dirigé par un général français et situé à Norfolk (États-Unis), dont le cœur de mission est le développement des capacités militaires, ce qui inclut la prise en compte des technologies émergentes. Ce commandement, en charge des questions liées à la préparation du futur, est donc compétent sur ces sujets qui revêtent la plus haute importance pour les décennies à venir.

En tant qu’acteur majeur des questions de sécurité dans la zone Euro-Atlantique, l’OTAN ne peut pas davantage ignorer les enjeux liés au réchauffement climatique, notamment les effets de celui-ci en Arctique ou dans la profondeur stratégique du flanc sud de l’Europe. Le problème de la mobilisation de plus en plus fréquente de moyens militaires autour des conséquences du changement climatique a évidemment une incidence sur leur capacité à assurer l’ensemble des missions de défense.  A ce titre, il est naturel que l’OTAN intègre cette problématique dans sa réflexion et sa planification.

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