Sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai : l’affirmation d’un ordre mondial multipolaire ?

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Les 3 et 4 juillet derniers s’est tenu un nouveau sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) à Astana au Kazakhstan. Quelles étaient les priorités à l’agenda ? Dans quelle mesure ce sommet et cette organisation revêtent-il une importance stratégique ?

Le Sommet d’Astana marque une étape supplémentaire dans l’élargissement de l’agenda de l’Organisation de la coopération de Shanghai. L’Organisation était principalement consacrée, à sa création en 2001 par la Chine et la Russie, à la stabilisation de l’Asie centrale et de ses États nouvellement indépendants (sauf le Turkménistan neutre) autour de quelques priorités (terrorisme, séparatisme ethnique, extrémisme religieux auxquels se sont ajoutés la lutte contre la drogue, la criminalité transfrontalière voire l’immigration illégale). Progressivement, elle a servi de cadre de légitimation aux routes de la Soie chinoises (Belt and Road Initiative). Les adhésions de l’Inde et du Pakistan en 2021 puis de l’Iran en 2023 ont élargi sa dimension régionale. La guerre en Ukraine a accentué la critique de l’Occident et le plaidoyer pour un monde multipolaire (l’OCS a refusé la candidature des États-Unis). Le sommet d’Astana est un pas supplémentaire dans cette évolution vers une organisation multilatérale qui se saisit des grands problèmes mondiaux dans un sens antioccidental. L’OCS dans sa déclaration finale plaide bien sûr pour un monde multipolaire,  salue « l’initiative sur l’Unité mondiale pour une paix, une harmonie et un développement juste » invitant la communauté mondiale à y souscrire, prend parti pour l’élargissement du Conseil de sécurité de l’ONU aux pays du Sud, critique le déploiement des missiles antimissiles «  menaces à la sécurité internationale », se fait l’avocat d’un traité contraignant sur la démilitarisation de l’Espace, critique les sanctions occidentales, demande la mise en en œuvre d’un plan d’action sur le programme nucléaire iranien… Vingt documents ont été signés portant sur les domaines d’activités plus traditionnels de l’OCS (terrorisme, drogue, criminalité, environnement, développement de l’Organisation…) mais surtout, en marge des travaux officiels, les contacts bilatéraux ont abordé  les grands problèmes du monde : guerre en Ukraine avec le rappel des propositions russes et du plan de paix d’Erdogan (dont les Russes ne veulent plus), réconciliation turco-syrienne…  À Astana, l’OCS apparaît clairement comme une organisation internationale qui, bien qu’elle soit centrée sur l’Eurasie, est à vocation globale, demeure intégrée au système onusien (présence du Secrétaire général Guterres), promeut une vision du monde multipolaire clairement antioccidentale et lutte contre l’«  hégémonie » des Occidentaux.

Le Bélarus, soutien de la Russie dans le conflit russo-ukrainien, est devenu le 10e membre à rejoindre l’organisation jeudi dernier. Pour quelles raisons le Bélarus a-t-il rejoint l’OCS et quelles perspectives lui offre cette adhésion ? Quels bénéfices Moscou peut-il tirer de cet élargissement et en a-t-il été le moteur ?

L’entrée du Bélarus et l’accueil solennel du président Loukachenko à l’ouverture des travaux accentuent le caractère antioccidental de l’OCS dans le contexte de la guerre en Ukraine. C’est bien sûr dans l’intérêt de la Russie qui gagne en influence, mais aussi dans celui du Bélarus qui se voit reconnaître le statut d’État autonome et pleinement indépendant, malgré l’emprise croissante de Moscou sur le pays. En dehors de la Russie, la Chine est le seul pays où Loukachenko s’est rendu en visite d’État (en mars 2023). Nul doute qu’il y a préparé son adhésion à l’OCS. Tous sont gagnants dans cette affaire, la Chine étend encore son influence en Europe, la Russie conforte ses soutiens au sein de l’Organisation et le Bélarus renforce sa main, y compris dans le peu de marge d’action qui lui reste face à la Russie.

Entre l’influence de Pékin en Asie centrale ou celle d’Ankara dans le Caucase et dans les steppes turciques, comment cohabitent les intérêts des puissances dans la région ? Quel positionnement adopte Moscou à cet égard ?

L’avènement d’un monde multipolaire invoqué par les Russes, les Turcs, les Chinois et d’autres ne prétend pas gommer les divergences d’intérêts entre les puissances mais en limiter les effets déstabilisateurs, les régler quand c’est possible et en apaiser les tensions dans le respect de l’égalité de ses États membres… Avec maintenant 10 États membres et 14 partenaires de dialogue (dont la Turquie, l’Égypte, l’Arabie saoudite, le Bahreïn , les Émirats arabes unis et le Qatar), soit 40 % de la population et 30 % du PIB de la planète, l’OCS se veut ainsi une organisation stabilisatrice des rivalités entre ses membres ou ses partenaires de dialogue (et il y a beaucoup de tensions : Russie/Chine en Asie centrale, Russie/ Turquie au Caucase,  Inde/ Pakistan au Cachemire,  Turquie/Iran et Iran/ États du Golfe au Moyen-Orient)… L’OCS a fait largement admettre après l’invasion de l’Irak et la crise syrienne que l’action de l’Occident est déstabilisatrice et qu’un forum d’où il est absent est bénéfique pour ses participants. Mais cette idée n’est pas partagée par tous ses membres : le président Narendra Modi ne s’est pas rendu à Astana et les États d’Asie centrale prônent une diplomatie multivectorielle. En tout cas, Moscou voit dans l’Organisation un moyen de souligner le caractère illusoire de son isolement (Vladimir Poutine n’a pas été arrêté à Astana alors que le Kazakhstan a signé le Statut de Rome et adhère à la Cour pénale internationale), de plaider sa cause sur l’Ukraine, garder un œil sur l’Asie centrale et sur le Caucase malgré la poussée chinoise ou turque, et de faire prévaloir, quand c’est possible, un point de vue antioccidental.