Sénégal : quelles perspectives pour le dynamisme international de Dakar ?

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Fort de son statut historique « d’exception démocratique », le Sénégal est devenu un acteur politique considéré, combinant développement économique, diplomatie d’influence et coopération multilatérale notamment en matière de lutte contre le terrorisme. Si l’engagement sénégalais sur la scène internationale atteste du dynamisme de Dakar, le récent report des élections présidentielles décidé par Macky Sall témoigne du climat politique instable dans le pays, déjà révélé lors de la violente répression policière de juin 2023, et est venu entaché son image de « modèle démocratique ». Le point avec Francis Laloupo, chercheur associé à l’IRIS, spécialiste de la géopolitique de l’Afrique et des conflits émergents.

 

Quel est le rôle géopolitique du Sénégal en Afrique de l’Ouest et sur le continent ?

Il faut d’abord rappeler qu’à l’époque où les partis uniques sévissaient dans la quasi-totalité des pays du continent, le Sénégal a été considéré comme l’un des rares îlots de démocratie. Cette réputation a été acquise en pleine période de guerre froide, avec l’avènement du système de multipartisme intégral, solennellement promu par le président Abdou Diouf en avril 1981. Pendant plusieurs années, ce trait distinctif a constitué un argument de poids pour la diplomatie sénégalaise. Dépourvu de ressources naturelles et stratégiques – avant la découverte récente du pétrole –, le pays a opté pour une diplomatie d’influence basée sur cette réputation « d’exception démocratique ». Plutôt que de promouvoir son système démocratique passablement lacunaire sur un continent fracturé en blocs idéologiques au cours des années 1970 et 1980, le Sénégal a, dans un premier temps, orienté cette diplomatie d’influence vers les partenaires extérieurs. Mais, tout en confortant cette diplomatie extravertie – tournée vers le monde extérieur – il a, avec une massive présence de ses cadres, su investir les organisations intra-africaines. Un impressionnant contingent de diplomates chevronnés s’est attelé, à travers le continent et le monde, au rôle qui lui était assigné : œuvrer efficacement au rayonnement du pays et de son image sur le continent et dans le monde.

 

Quel bilan peut-on dresser de la politique étrangère du Sénégal ?

Cet investissement significatif dans le champ des relations internationales a permis au Sénégal d’ancrer sa présence dans divers instances de décisions et grands ensembles régionaux : Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), Organisation des Nations unies (ONU), Organisation internationale de la Francophonie (OIF), Conseil de sécurité des Nations unies, Union africaine (UA), Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), Organisation de la conférence islamique (OCI), notamment. Mais la fameuse exception démocratique sénégalaise s’émousse quelque peu après le déclenchement des transitions démocratiques au début des années 1990 sur le continent, et plus singulièrement en Afrique de l’Ouest. Face aux démocraties émergentes, le Sénégal qui fait de moins en moins figure d’exception, procède alors, sous les présidences d’Abdoulaye Wade et de son successeur Macky Sall, à une réorientation de la gestion des relations extérieures. Moins tourné vers les instances extra-africaines, le Sénégal s’implique activement dans les missions de médiation et de résolution de crises en Afrique de l’Ouest, et au sein de l’UA. Avec un engagement remarqué dans les situations de crises survenues en Côte d’Ivoire, au Togo, en Gambie, Guinée-Bissau. Dans le contexte des crises sécuritaires en cours dans le Sahel, le Sénégal milite en faveur d’un renforcement de la coopération régionale, dans le cadre de la lutte contre les actions des groupes armés non étatiques. Face aux nouveaux défis économiques, le président Macky Sall a décidé de bousculer les lignes de la politique extérieure du Sénégal en initiant une diplomatie économique, appuyée sur le Plan Sénégal émergent (PSE) diversement apprécié par ses concitoyens. Bon an, mal an, le pays a, au cours des quatre dernières décennies, conjugué une diplomatie extra-africaine avec une présence active dans les instances de décisions régionales, à l’échelle du continent et sur la scène internationale. Cependant, sous tous les régimes qui se sont succédés depuis les années 1980, la question du « rayonnement du Sénégal » est restée au cœur de toutes les actions diplomatiques du pays. Cette constance est considérée au Sénégal comme une véritable tradition, même si l’image de « modèle démocratique » a été quelque peu ternie au cours des dernières années, du fait d’une dégradation continuelle du climat politique.

 

Dans quelle mesure l’exploitation du pétrole off-shore peut-il le placer en situation de leader dans une Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) rétrécie?

La découverte du pétrole et du gaz, officiellement annoncée en 2014, a constitué un tournant radical dans la vie économique du pays, dans la mesure où elle lui offrait des perspectives jusque-là inespérées. Cette nouvelle donne a amené les autorités à procéder à un paramétrage inédit des mécanismes de la gestion de l’économie nationale. Il semble que les autorités aient très tôt pris conscience de la nécessité de préserver leur pays de la fièvre du pétrole, en prônant une gestion transparente, inclusive et durable de cette ressource, en évitant d’en faire un déterminant absolu de la vie économique. Le Sénégal devrait donc s’orienter vers une gestion discrète et durable de cette manne, à moins d’un changement de paradigme au sommet de l’État. Avec l’exploitation du pétrole, le Sénégal, sans pour autant devenir dans un proche avenir un leader de l’économie régionale, pourrait rejoindre le petit cercle des économies prépondérantes de la région, tels que le Nigeria, la Côte d’Ivoire ou encore le Ghana. Mais l’on sait que la manne pétrolière n’est pas une garantie de prospérité. À cet égard, le critère de bonne gouvernance est notamment sollicité. Les projections économiques du Sénégal, intégrant la manne pétrolière, ne devraient pas être impactées par la crise qui secoue actuellement la CEDEAO, avec le retrait annoncé du Mali, du Niger et du Burkina Faso de l’organisation. Ces trois pays ne représentaient en 2023 que 17 % du PIB de la Communauté économique régionale, et les grandes puissances régionales que sont le Nigeria, la Côte d’Ivoire et le Ghana constituent les piliers, voire les locomotives de l’organisation.

 

Le Sénégal, un îlot face à la menace sécuritaire ?

Les autorités sénégalaises ont manifesté leur vigilance vis-à-vis de cette menace dès le début des années 2000. On se souvient qu’après les attentats du 11 septembre 2001 contre les États-Unis, le président Abdoulaye Wade avait, avec quelques homologues africains – Olesegun Obansanjo du Nigeria, Abdelaziz Bouteflikha d’Algérie, Thabo Mbeki d’Afrique du Sud – initié, en octobre 2001, un Pacte africain contre le terrorisme. Une manière d’associer le Sénégal, et plus généralement le continent, à la doctrine de la lutte internationale contre le terrorisme. Même si, actuellement, le Sénégal n’héberge pas de sanctuaires du terrorisme, et ne subit pas les offensives de Groupes armés terroristes (GAT), il reste fortement concerné par ce fléau qui menace toute la région d’Afrique de l’Ouest. L’État a mis en place des dispositifs de prévention et de lutte antiterrorisme, tout en posant des actes de solidarité envers les pays les plus impactés de la région. Des moyens spécifiques sont déployés, notamment dans le domaine du renseignement, afin de traquer ou démanteler sur le territoire les potentiels foyers de recrutement de jeunes candidats au terrorisme d’obédience djihadiste. En juillet 2023, lors d’un colloque de l’Association des maires du Sénégal en solidarité avec les pays de la région confrontés aux attaques terroristes, le président Macky Sall avait souligné l’importance des enjeux sécuritaires au sein des collectivités territoriales, et leur rôle dans la lutte contre l’extrémisme violent et l’instrumentalisation de l’Islam à des fins criminelles. Par ailleurs, le Sénégal participe activement à la Coalition islamique de lutte contre le terrorisme regroupant 34 pays, considérant que tout État a aujourd’hui l’obligation de se joindre à l’effort mondial contre ces formes nouvelles de violence.

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