Scrutin présidentiel en Afghanistan : un premier tour (relativement) encourageant ?

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  • Le point de vue d’Olivier Guillard, Directeur de recherches Asie à l’IRIS, Directeur de l’information chez Crisis 24

    Le point de vue d’Olivier Guillard, Directeur de recherches Asie à l’IRIS, Directeur de l’information chez Crisis 24

« Dans la foulée d’une inflation d’attentats-terroristes perpétrés les semaines précédentes y compris dans la capitale Kaboul, la population afghane et ses 12 millions d’électeurs étaient appelés aux urnes samedi pour participer au premier tour des 3èmes élections présidentielles depuis la fin de l’obscurantiste régime taliban à l’automne 2011. Un rendez-vous électoral à haut risque, l’insurrection taliban ayant à grand renfort de menaces et de sang versé promis violence et trépas à quiconque s’approcherait des bureaux de vote et des isoloirs.

Le 5 avril donc, deux jours avant que la ‘’plus grande démocratie du monde’’ (Inde) entame son marathon législatif (élections s’étirant du 7 avril au 12 mai), dans une superbe démonstration de bravoure et de rejet de ces menaces d’un autre âge, l’électorat afghan s’est mobilisé en masse – à tout le moins par rapport à l’exercice précédent en 2009. La Commission électorale afghane estimait dimanche 6 avril que plus de 7 millions d’électeurs (2,5 de plus qu’un quinquennat plus tôt ! Soit une participation de l’ordre de 60% (1) ) avaient bravé l’interdit des talibans pour déposer leur bulletin dans l’urne et choisir, parmi les huit candidats postulant à la magistrature suprême, celui qui succéderait (enfin) au président sortant, le versatile Hamid Karzai, à la tête, tant bien que mal, de la nation afghane depuis une interminable douzaine d’années.

Contrairement au torrent d’attaques promises, l’insurrection taliban n’a pas été en mesure de mettre en musique son agenda du chaos (dans les quelques grands centres urbains du pays notamment) et de réaliser la salve d’attaques spectaculaires censées ébranler la nation et décourager l’électeur hardi. Il en fallait visiblement plus – quel bel exemple de courage et d’abnégation pour cette population ayant déjà tellement souffert – pour retenir la main décidée (les femmes constitueraient le tiers des votants ; un pourcentage historiquement haut) de déposer son bulletin dans l’urne et participer au choix d’une future administration post-Karzai. Un message qui en dit long sur les attentes du peuple afghan, à la fois majoritairement inquiet du court terme (et notamment du départ des forces de l’OTAN à la fin de l’année), circonspect quant à son futur proche (quid des talibans dans un contexte post-2014 ?), mais par ailleurs ravi de passer à autre chose en tournant la page (décevante) des années Karzai.

Pourtant, bien sûr, tout est loin de s’être déroulé le 5 avril sans accroc, sans drame ni explosion. En province notamment, dans les zones rurales (où vivent 3 Afghans sur 4) reculées où l’autorité de l’Etat est à peine nominale et celle du commandant obscurantiste taliban sans rivale, la population ne s’est pas sentie assez soutenue (du fait de l’absence d’un dispositif sécuritaire approprié) pour braver l’ombre et la menace, assez forte et unie pour affronter ce péril. Du reste, à l’échelle de ce pays de 32 millions d’habitants légèrement plus étendu que l’Hexagone, un bureau de vote sur sept n’a pu ouvrir pour raison de sécurité a minima non garantie.

Dans une démonstration de force (relative) et de volonté, les 400 000 hommes des forces de sécurité afghane (ANA ; police + armée) étant pourtant déployés pour l’événement, en état d’alerte renforcée ; à dessein plus discrètes, bien en retrait, les forces de l’OTAN n’apparaissaient guère dans ce paysage électoral. Cette présence visible, massive, sur le qui-vive de l’ANA aura certainement contribué à dissuader les talibans de mettre en œuvre des opérations d’envergure (attentats-suicides), quand bien même l’insurrection ne manquerait pas de candidats pour pareille initiatives meurtrières condamnables…

A Washington, à Londres, à Bruxelles (siège de l’OTAN et de l’UE), Berlin ou Paris, on se félicite – on se surprend même – de la bonne tenue de ce premier tour globalement peu violent, a priori organisé avec plus de rigueur qu’en 2009 (rien n’était plus aisé…) même si quelques cas de fraudes et de pratiques douteuses ont été signalées, tirant probablement quelques conclusions un peu hâtives sur son pourquoi.

Dans ce pays en développement balafré depuis près de quarante ans par d’interminables conflits, fracturé selon des lignes ethniques profondes (Pachtounes 42% de la pop., Tadjiks 27%, Hazaras 9%, Ouzbeks 9 %) où moins de 3 adultes sur 10 savent lire, écrire et compter et 40% de la population survit (péniblement) sous le seuil de pauvreté, il faudra à la Commission électorale quelques semaines pour présenter les résultats officiels de ce premier tour et annoncer ses vainqueurs. Ce, étant entendu qu’à l’heure où sont rédigées ces lignes, il est peu de chances qu’un des huit candidats postulant à la succession d’Hamid Karzai recueille à lui seul plus de 50% des suffrages exprimés.

L’hypothèse de l’organisation d’un second tour (vers la fin du mois de mai) parait des plus probables ; durant ce laps de temps, dans ce pays où les alliances, les ententes conjoncturelles (fussent-elles contre nature), les poignées de mains et les accords passés se font et se défont avec une souplesse défiant parfois l’entendement, les candidats les mieux placés – les anciens ministres A. Abdullah, A. Ghani et Z. Rassoul -, les perdants, s’emploieront à un grand marchandage, savant mélange afghan d’intérêts personnels, ethniques et politiques entremêlés.

Une période de comptage (des voix), d’âpres négociations et de fin de règne (administration Karzai) durant laquelle les insurgés talibans s’emploieront assurément à exprimer violemment – et sans tarder, dès ce jour – leur rejet du système administratif en place et leur peu de cas pour le prix de la vie de leurs frères, voisins et cousins. »

(1) Avant ce premier tour, pour les autorités afghanes et les instances onusiennes, toute participation de l’électorat au-dessus de 40% était déjà considérée comme une réussite… Les élections présidentielles de 2009 avaient officiellement convenu d’un taux de participation de 38% ; d’aucuns le considéraient bien plus modeste encore.