TTIP, CETA : accords de nouvelle génération, nouvelles menaces pour la démocratie ? / Par Karine Jacquemart

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  • Karine Jacquemart

    Karine Jacquemart

    Directrice générale de Foodwatch France.

Les négociations entre l’Union européenne (UE) et ses partenaires transatlantiques pour des accords de commerce et d’investissement ont cristallisé ces dernières années les tensions et les critiques. D’aucuns pourraient y lire le signe de tendances protectionnistes ou souverainistes. Loin de là. Le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP, ou TAFTA), accord entre l’UE et les États-Unis en négociation depuis 2013, et l’Accord économique et commerce global (CETA, ou AECG) ont ainsi fait l’objet de très nombreuses analyses critiques et oppositions de la part d’une grande variété d’acteurs en Europe et outre-Atlantique [1], dont beaucoup ne plaident absolument pas pour le « repli sur soi » qu’il n’est pas rare de leur voir associé, mais mettent en garde contre les risques inédits que ce type d’accords font peser sur la démocratie. La raison de cette très large mobilisation réside dans la nature même de ces nouveaux accords et la portée de leurs enjeux : ce sont des accords dits « de nouvelle génération ».

Jusqu’à présent, la plupart des accords de commerce visaient en effet à réduire les barrières dites « tarifaires » (droits de douane). L’Union européenne et ses partenaires commerciaux – sensibles aux intérêts des entreprises multinationales – souhaitent désormais aller plus loin, avec un nouveau type d’accords qui ciblent les « barrières commerciales non tarifaires ». Si la suppression de barrières techniques, comme les couleurs de clignotant différentes pour les voitures ou d’autres procédures de validation pour des équipements, peut effectivement conduire à davantage de simplification et permettre de réaliser des économies dans la production et la commercialisation de marchandises et de services, et donc de réduire certains coûts pour la société, la situation est différente s’agissant des barrières commerciales non techniques. En effet, ces dernières touchent à des domaines importants de la vie sociale, tels que l’environnement, la santé et les normes qui déterminent les niveaux de protection des citoyens et consommateurs, par exemple concernant les autorisations de produits chimiques, la teneur maximale en pesticides des fruits et légumes ou les droits des travailleurs. Dans beaucoup de cas, la suppression de cesdites barrières reviendrait ainsi à éliminer des acquis sociaux et politiques développés au fil de nombreuses années et qui sont fondés sur les valeurs des populations de chaque région concernée. Ces bouleversements pourraient certes réduire les frais de certaines entreprises, mais s’accompagneraient également de coûts sociaux et politiques très élevés.

Ainsi, l’intitulé de ces accords « de commerce et d’investissement », qui pourrait laisser penser qu’il s’agit au fond de sujets techniques réservés à des experts et à l’incidence limitée, n’est qu’une façade. En réalité, ces accords de nouvelle génération auront un impact sur l’ensemble des sociétés concernées et de leurs normes, qu’elles soient économiques, sociales ou environnementales. Pascal Lamy estime que l’on est en train de passer de l’ancien au nouveau monde du commerce international, ce dernier étant caractérisé par l’objectif d’harmoniser et de réduire ces normes, particulièrement en ciblant des mesures qui visent à protéger citoyens et consommateurs. Cette nouvelle approche touche non seulement la question des risques, mais aussi celle des valeurs pour les populations concernées, ce qui génère inévitablement des tensions politiques [2]. L’ancien directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) précise à propos du TTIP que « 80 % des obstacles aux échanges entre ces deux grandes économies [européenne et états-unienne] proviennent de différences dans les règles de précaution et dans leurs modalités d’application. Le sujet n’est plus la protection des producteurs, mais celle des consommateurs. C’est un sujet totalement différent et c’est la raison pour laquelle cette négociation provoque autant de remous » [3].

Ces accords d’un nouveau type posent donc à la fois des questions de fond et de forme. Certains des sujets de négociations qu’ils couvrent, présentés comme des « barrières commerciales » sont en fait des questions de société fondamentales qui sont normalement traitées par des institutions démocratiques dans le cadre d’un débat public. Or ces principes démocratiques sont largement contournés et menacés, tant lors des négociations de ces accords que, fait notable, après leur signature. En effet, le TTIP et le CETA sont conçus comme des accords « vivants » : ils mettent en place des mécanismes et comités qui continueront à influencer et façonner les règlementations publiques en lien avec les échanges commerciaux et les investissements, après la signature du texte, et ce, sans qu’aucun dispositif de contrôle démocratique n’ait été prévu. Dans le contexte politique actuel de forte défiance à l’égard des pratiques des institutions européennes, souvent considérées comme opaques et ne servant pas suffisamment l’intérêt général, on peut malheureusement craindre que ces pratiques et les reculs démocratiques qu’elles engendrent nourrissent la dangereuse montée des « populismes ».

Nous nous appuierons sur le cas du CETA pour étudier le manque de transparence de ces accords et la question des compétences au sein de l’UE. Nous analyserons ensuite les risques que présentent les nouveaux dispositifs d’un tel accord, en étudiant d’une part les transferts de pouvoir opérés, notamment par la mise en place de comités et la coopération règlementaire, et d’autre part les mécanismes de pressions qu’offrent certains dispositifs de l’accord, risquant fortement de dissuader législateurs et responsables politiques de prendre des mesures en faveur de l’intérêt général. Nous reviendrons, enfin, sur les bénéfices économiques hypothétiques du CETA.

La transparence et les compétences

Les enjeux du CETA sont d’autant plus importants qu’il s’agit du premier accord de cette nouvelle génération adopté par l’UE. Voté par le Conseil de l’UE en octobre 2016 et par le Parlement européen le 15 février 2017, il doit désormais être soumis au processus de ratification nationale des États membres. Il va donc créer un précédent pour la liste-fleuve de négociations commerciales dans lesquelles l’UE est engagée [4].

Or, les négociations du CETA et du TTIP se sont déroulées ces dernières années dans l’opacité la plus totale. Ni les membres du Parlement européen ni les députés des parlements nationaux – et encore moins les populations des États membres – n’ont eu accès aux documents, gardés secrets, pendant les négociations du CETA. Aussi les négociateurs de la Commission européenne, qui reçoivent un mandat spécifique des États membres pour chaque accord, discutent-ils de règles et de normes qui affectent la vie quotidienne des Européens, sans le contrôle démocratique ni les débats publics qui s’imposent. Le contenu même de ces mandats n’est pas rendu public.

Or la question de la répartition des compétences quant à ces accords entre les institutions européennes, d’une part, et les États membres, d’autre part, est très controversée. La Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a d’ailleurs été saisie sur ce point au sujet de l’accord UE-Singapour (EUSFTA). Elle a rendu sa décision le 16 mai 2017, confirmant que cet accord de commerce était « mixte » : il relève donc à la fois de la compétence de l’UE et des États membres, et devra être validé par les institutions européennes et par les parlements nationaux [5]. Une décision a priori rassurante, mais insuffisante, car même lorsque les accords sont reconnus « mixtes », les parlements nationaux ne pourront les ratifier qu’à la fin des négociations, en répondant uniquement par « oui » ou par « non », sans pouvoir en amender le contenu. Cela ne résout donc en rien le problème de négociations à huis clos sans débat démocratique aux niveaux nationaux – États membres de l’UE – et européen. D’autant que 90 % du texte du CETA est entré en vigueur de façon « provisoire » le 21 septembre 2017, avant même que l’Assemblée nationale et le Sénat ne puissent, en France, se prononcer sur cet accord.

Ces accords génèrent des modifications et une dilution des pouvoirs assez obscures. Le CETA opère ainsi des transferts de compétences vers des organes – comités mixte ou spécialisés, tribunal compétent pour le règlement des différends entre autorités publiques et investisseurs – qui ne se rattachent ni à l’ordre juridique de l’Union européenne ni à ceux de ses États membres, mais dont les pouvoirs peuvent les contraindre de façon directe ou indirecte.

Les instruments de l’interférence

Le CETA crée plus d’une dizaine de comités : le comité mixte, les comités spécialisés comme le comité de gestion mixte des mesures sanitaires et phytosanitaires, le comité sur les services et les investissements, etc. Ces organes interfèrent dans l’exercice du pouvoir des États membres et des instances de l’UE en matière législative et règlementaire.

Un courrier de Cecilia Malmström elle-même, commissaire européenne au Commerce, fait la lumière sur le rôle prédominant du comité mixte et les risques qui en résultent : « Le Comité mixte du CETA peut en effet amender directement des annexes et procédures de l’Accord » ; « Le CETA est un accord international, légalement contraignant pour l’UE et le Canada au niveau international. Les décisions du Comité mixte du CETA ont le même statut : elles sont contraignantes dans la cadre de la loi internationale » [6].

L’analyse juridique récente d’un professeur de droit allemand, Martin Nettesheim, approfondit les questions des transferts de compétences au sein de l’Union européenne et de la dilution des responsabilités en matière normative impliquées par ce type d’accords : « Les États membres de l’UE perdent une part considérable de leur pouvoir de participer au plan international à l’élaboration de réponses aux questions sociales, environnementales et économiques ». Il considère même ces transferts de compétences comme « démocratiquement inacceptables ». [7]

Le CETA prévoit également des mécanismes de coopération règlementaire qui visent à éliminer les effets limitant les échanges commerciaux générés par des règlementations grâce à l’harmonisation, à la reconnaissance mutuelle ou à la simplification de celles-ci (chapitre 21). Là encore, ce dispositif engendre un transfert de compétences sans véritable contrôle démocratique. Pour le forum de la coopération règlementaire instauré par l’accord et qui débattra des normes après sa signature, l’objectif de croissance des échanges commerciaux primera très probablement sur les considérations sanitaires, sociales ou environnementales. Le Canada et ses investisseurs disposeront, là aussi, de nouveaux instruments pour contourner, modifier, contester ou même faire obstacle à des mesures adoptées en France ou en Europe, existantes ou futures [8].

Enfin, d’autres mécanismes du CETA offrent de nouveaux moyens de pression aux multinationales, aggravant encore le risque de dissuader les décideurs politiques de prendre des mesures d’intérêt général, par exemple en matière de santé publique ou sur l’alimentation (organismes génétiquement modifiés [OGM], perturbateurs endocriniens, pesticides, etc.). C’est le cas notamment des tribunaux d’arbitrage : le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE) ouvre des droits exceptionnels aux investisseurs étrangers. Le CETA offre ainsi la possibilité aux multinationales d’attaquer les États devant des tribunaux d’arbitrage au motif que des décisions politiques affecteraient leurs « attentes légitimes », c’est-à-dire leurs bénéfices, réels ou escomptés (chapitre 8) [9]. Les investisseurs étrangers sont les seuls à bénéficier de ce système complètement parallèle et n’ont aucune obligation en retour. Ni les citoyens, ni les investisseurs nationaux, ni même les États ne peuvent avoir recours à ces tribunaux. Notons, en outre, que 80 % des entreprises américaines qui investissent en Europe disposent également de filiales au Canada, qui pourraient leur permettre de bénéficier des règles du CETA.

L’absence de garde-fous : le cas du principe de précaution

Le principe de précaution, inscrit dans les traités européens et dans la Constitution française, pourrait à tout le moins continuer à jouer un rôle de garde-fou et de socle de référence pour défendre des politiques publiques qui protègent les citoyens des États membres de l’UE. Dans les faits, pourtant, rien n’est moins sûr. Une analyse juridique européenne conduite par Peter-Tobias Stoll, de l’Université de Göttingen, et publiée par l’organisation non gouvernementale Foodwatch en juin 2016 conclut ainsi que « de manière générale, on peut craindre que les règlementations européennes existantes et futures pour la protection de la santé, de l’environnement et des consommateurs soient remises en question ou entravées par les projets CETA et TAFTA. Le principe de précaution de l’UE et son application n’est pas suffisamment ancré ni garanti dans les textes de ces accords. » [10] En lieu et place du principe de précaution, ce sont en effet les règles de l’OMC qui prévalent dans le texte du CETA. Or celles-ci n’admettent pas le principe de précaution, qui n’existe d’ailleurs pas au Canada ni aux États-Unis. Outre-Atlantique, il ne revient donc pas à l’entreprise qui introduit un produit sur le marché de prouver qu’il est inoffensif, mais au législateur de démontrer sur des bases scientifiques qu’un produit est dangereux pour qu’il puisse le règlementer.

Le Canada, avec les États-Unis, a déjà attaqué par le passé devant l’organe de règlement des différends (ORD) de l’OMC au moins deux décisions de l’UE basées sur ce principe. En 1998, l’ORD a condamné l’UE pour son interdiction d’importer de la viande traitée aux hormones. L’interdiction a été maintenue par Bruxelles, mais l’Union a dû accepter des mesures compensatoires, notamment en autorisant un plus grand quota d’importations de viande sans hormone. Le Canada a ensuite dénoncé la règlementation européenne sur les OGM, jugée trop restrictive, ce que l’OMC a une nouvelle fois soutenu. L’UE a dû s’engager en retour, en 2009, à mettre en place un mécanisme de dialogue sur les OGM avec le Canada. Il s’agit du « Dialogue sur les questions de l’accès au marché de la biotechnologie », prévu à l’article 25.2 du CETA. Notons, au passage, que le Canada fait partie des plus grands producteurs mondiaux d’OGM et qu’il est le premier pays à avoir autorisé la production d’un animal génétiquement modifié, le saumon AquAdvantage.

Ainsi, plutôt que de tirer les leçons du passé et de profiter des négociations du CETA pour faire garantir explicitement par son partenaire canadien le respect de décisions prises sur la base du principe de précaution européen, les négociateurs de l’UE ont préféré continuer à faire référence aux règles de l’OMC. Par conséquent, décideurs et législateurs nationaux comme européens sont confrontés au risque de voir leurs décisions politiques et règlementaires attaquées à la fois par les investisseurs étrangers – au titre du chapitre sur la protection des investissements – et par le Canada, soit devant l’OMC, soit devant le mécanisme de règlement des différends entre parties prévu par l’accord (article 29.3).

Des bénéfices pour le moins incertains

Lorsque l’on étudie en détail le CETA, il est d’autant plus difficile de comprendre pourquoi les décideurs de l’UE et des États membres accepteraient de prendre – et de faire prendre à l’ensemble des citoyens – de tels risques que les bénéfices économiques attendus de cet accord sont pour le moins hypothétiques. Le gouvernement français évoque certes quelques avancées, comme un bien meilleur accès aux marchés publics canadiens ou la protection de quelques indications géographiques protégées (IGP), mais cela paraît bien inconséquent face aux risques de cet accord, largement documentés et confirmés par une commission d’experts qu’Emmanuel Macron, alors candidat, avait promise pour évaluer les risques sanitaires et environnementaux du CETA [11], ou encore par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) [12]. À la suite d’une étude de 2008, la Commission européenne affirmait, pour sa part, que « globalement, l’accord UE-Canada pourrait engendrer une hausse du PIB de l’UE de pas moins de 11,6 milliards d’euros par an » [13], ce qui représente, pour une population d’environ 508 millions d’habitants, moins de 2 euros par mois par habitant à horizon de dix ans. La Tufts University a quant à elle publié en 2016 une projection très différente, évoquant le risque de perte de dizaines de milliers d’emplois en Europe [14]. Si les méthodologies employées par les uns et les autres font souvent l’objet de polémiques, de telles controverses démontrent cependant que les bénéfices économiques sont pour le moins incertains. Des députés et sénateurs français ont réclamé à plusieurs reprises, à travers des résolutions, des études d’impact sectorielles du CETA et du TTIP, sans succès pour le moment.

À qui profitent donc ces accords, à part quelques entreprises multinationales dont l’influence sur les politiques publiques et les marges de manœuvre se trouveront encore agrandies ? Les décideurs politiques jouant un rôle dans leur adoption ont-ils véritablement mené une analyse des risques et des menaces pour la protection des citoyens et de l’environnement, ainsi que pour la démocratie ? Nous ne savons même pas, à ce stade, si le CETA est compatible avec les traités de l’Union européenne, tant qu’un gouvernement national n’aura pas saisi la CJUE et que celle-ci ne se sera pas prononcée sur la question. En France, le Conseil constitutionnel s’est voulu rassurant dans sa décision de juillet 2017, mais la question politique de l’impact de cet accord et de sa compatibilité avec les principes démocratiques européens reste entière [15].

*

Les politiques commerciales sous-tendues par ces traités de nouvelle génération visent à créer de nouveaux instruments de gouvernance internationale. L’Union européenne affiche l’ambition d’utiliser ces instruments afin de tirer vers le haut les standards de référence dans cette nouvelle gouvernance mondiale. Dans cette perspective, les inquiétudes quant au CETA peuvent paraître disproportionnées, d’autant que les normes sociales et environnementales seraient assez comparables entre le Canada et l’Europe. C’est en tout cas l’argument défendu par ses partisans. Il faut toutefois bien comprendre que, justement, le CETA constituera un précédent et qu’il devrait donc devenir un modèle d’engagement. Or, les risques de transferts de compétences peu démocratiques et d’influence négative des normes – par effet d’abaissement ou, de façon plus pernicieuse, par une paralysie règlementaire induite par des mécanismes de dissuasion – sont largement documentés. Les implications sont à la fois immédiates, puisque le Canada ne reconnaît pas par exemple le principe de précaution européen, et de long terme, car les mêmes mécanismes, avec la même insuffisance de mesures de sauvegarde, seront développés dans les nombreux autres accords en négociation par l’UE. Pour que celle-ci fasse véritablement de sa politique commerciale un levier international pour renforcer à la fois le commerce et l’investissement et le respect des droits fondamentaux, pour une meilleure justice sociale, et pour une protection plus efficace du climat, il est nécessaire d’ouvrir – enfin – un véritable débat démocratique sur ces questions. Quelles formes de démocratie doit adopter l’Europe ? Pour quel rôle dans la mondialisation ? Quelles pourraient être les limites et mesures de protection quant au rôle et à l’influence des entreprises transnationales dans ce cadre démocratique ? Ne pas créer l’espace et le temps de ces réflexions et consultations, ne pas prendre en compte suffisamment sérieusement les nombreux rapports qui mettent largement en garde contre les risques et dérives antidémocratiques du CETA serait une erreur politique historique et un passage en force qui ne ferait qu’alimenter les tentations protectionnistes et populistes d’un dangereux repli sur soi [16].

Dans ce contexte, le gouvernement français a envoyé récemment des signaux très contradictoires et inquiétants. Emmanuel Macron s’était engagé, entre les deux tours de l’élection présidentielle, à nommer une commission d’experts afin d’évaluer les risques sanitaires et environnementaux du CETA, et à en « tirer toutes les conclusions » et les porter « vers nos partenaires européens pour alors faire modifier ce texte pour que la vérité scientifique ainsi établie soit défendue ». Dans son rapport du 8 septembre 2017, cette commission confirme de multiples risques posés par le CETA. Loin de la cohérence espérée, le président de la République n’a pas même cherché à convaincre les partenaires européens et canadien de la France de l’importance de répondre à ces risques, et donc de suspendre l’entrée en vigueur de l’accord, le 21 septembre 2017, pour en renégocier les parties problématiques. Emmanuel Macron rappelait pourtant, dans son discours à Athènes le 7 septembre, que : « En Europe aujourd’hui, […] la démocratie et la confiance sont en danger ». Ce diagnostic est juste et savoir y remédier est essentiel pour l’avenir de l’Europe. Mais comment ne pas voir qu’accepter que le CETA entre en vigueur en l’état ne peut qu’aggraver cet état de fait ?


  • [1] Acteurs de la société civile, syndicats, petites et moyennes entreprises (PME), mais aussi professeurs réputés de droit, magistrats et responsables politiques démocrates tels que Paul Magnette, loin d’être anti-européistes.
  • [2] Pascal Lamy, « The New World of Trade – What is the new shape of world trade – and what does it entail for global trade policy ? », Jan Tumlir Lecture at the Conference organized by ECIPE, Bruxelles, 9 mars 2015. La transcription en anglais est accessible sur le site du European Centre for International Political Economy.
  • [3] « Pascal Lamy : “Le Traité transatlantique est un accord de troisième génération” », Les Échos, 20 octobre 2015.
  • [4] Tandis que les négociations sur le projet TTIP sont très ralenties depuis l’élection de Donald Trump, l’UE et le Japon ont annoncé, le 6 juillet 2017, la conclusion de l’accord Jefta. Les textes des accords UE-Viêtnam et UE-Singapour sont pour leur part finalisés et vont poursuivre leur processus d’adoption, et d’autres négociations de l’UE sont en cours – respectivement avec le Mercosur, le Mexique, la Tunisie, l’Indonésie – ou à venir – avec l’Australie, la Nouvelle-Zélande.
  • [5] Cour de Justice de l’Union européenne, « L’accord de libre-échange avec Singapour ne peut pas, dans sa forme actuelle, être conclu par l’Union européenne seule », Communiqué de presse n° 52/17, Luxembourg, 16 mai 2017.
  • [6] Lettre de Cecilia Malmström, commissaire européenne au Commerce, datée du 13 janvier 2017, en réponse aux interrogations d’un député européen roumain sur le rôle des comités dans l’accord CETA et les pouvoirs du comité mixte (« Joint committee »). Accessible sur le site Internet de la Commission européenne.
  • [7] Prof. Dr Martin Nettesheimf, « Umfassende Freihandelsabkommen und Grundgesetz – Verfassungsrechtliche Grundlagen der Zustimmung zu CETA », Juristische Fakultät – Law School, Universität Tübingen, 25 juin 2017.
  • [8] Corporate Europe Observatory (CEO) et Lobby Control, Le dangereux duo réglementaire : Comment la coopération réglementaire transatlantique sous le TTIP permettra à l’administration et aux grandes entreprises d’attaquer l’intérêt public, Bruxelles, 2016.
  • [9] Foodwatch, Campact et Powershift, « Protection des investissements dans le TTIP / TAFTA : la nouvelle proposition de la Commission reste dangereuse pour nos démocraties », 16 février 2016.
  • [10] Dr. iur. Peter-Tobias Stoll, Nicolas de Sadeleer, Dr. Wybe Th. Douma et Patrick Abel, « CETA, TAFTA et le Principe de Précaution de l’Union européenne : Une étude des règles relatives aux mesures sanitaires et phytosanitaires, aux obstacles techniques au commerce et à la coopération réglementaire dans l’accord CETA et selon les propositions de l’UE pour le TAFTA », avis juridique rédigé pour l’association foodwatch, juin 2016.
  • [11] Communication du gouvernement français, « Remise du rapport de la commission d’évaluation de l’impact du CETA », 8 septembre 2017.
  • [12] CNCDH, « Avis sur les accords internationaux de commerce et d’investissement. L’exemple du CETA. Ne sacrifions pas les droits de l’homme aux intérêts commerciaux », Paris, 15 décembre 2016.
  • [13] Commission européenne, « L’accord de libre-échange UE-Canada : faits et chiffres », Mémo, 18 octobre 2013.
  • [14] Pierre Kohler et Servaas Storm, « CETA Without Blinders : How Cutting “Trade Costs and More” Will Cause Unemployment, Inequality and Welfare Losses », Global Development and Environment Institute Working Paper, n° 16-03, Tufts University, septembre 2016.
  • [15] Foodwatch, Institut Veblen et Fondation pour la Nature et pour l’Homme (FNH), « Le CETA porte atteinte à la Constitution française – Analyse détaillée », Communiqué de presse, Paris, 13 février 2017.
  • [16] Lire aussi Thilo Bode, Le mensonge du libre-échange : pourquoi il faut s’opposer au TAFTA et au CETA ?, Berlin, DVA, 2016.