Juin 2024
Réhabiliter le monde. Pour une politique des biorégions // Agnès Sinaï
L’aide internationale, instrument d’émancipation ou de contrôle ?RIS 134 - Été 2024
À quelques mois des Jeux olympiques et paralympiques 2024 de Paris et à l’heure où l’empreinte écologique des villes est devenue un enjeu majeur du XXIe siècle, la construction d’infrastructures et les travaux démesurés du Grand Paris interrogent plus que jamais les limites de l’urbain. La parution de Réhabiliter le monde d’Agnès Sinaï est donc particulièrement opportune. Il ne s’agit toutefois pas de revenir sur les concepts de décroissance ou d’écologie politique, qui sont désormais mieux connus du grand public : il est ici question de biorégionalisme. Terme développé aux États-Unis dans les années 1970 puis tombé en désuétude, le contexte environnemental et social actuel rend plus que nécessaire sa réhabilitation. Agnès Sinaï invite ainsi ses lecteurs et lectrices à une réflexion nouvelle pour (re)penser la configuration des territoires et nos rapports avec ceux-ci. Sans faire appel au lexique technique de la géographie et avec des mots simples, elle développe brillamment la pensée biorégionaliste et relance la réflexion sur ce concept trop longtemps délaissé.
Définir une « échelle de la responsabilité », tel est le mot d’ordre de Réhabiter le monde. L’ouvrage débute par un état des lieux nécessaire des travaux sur les biorégions en remontant à la Californie des années 1970. Il permet notamment de recontextualiser les auteurs et autrices et les travaux majeurs sur le projet biorégionaliste, à l’instar de Raymond F. Dasmann, Peter Berg, Judy Goldhaft ou encore Gary Snider. Il est en ce sens une parfaite introduction à ce concept largement méconnu.
Vient ensuite la question centrale du réaménagement de l’espace urbain, mais surtout de la redéfinition de notre rapport au territoire et à ses composantes (faune, flore, etc.). La biorégion est avant tout un espace de vie et d’harmonie, mais la lecture nous fait rapidement comprendre que nos villes et nos modes de vie sont aux antipodes de ce modèle vertueux. Agnès Sinaï invoque ici une géographie du sensible, qui elle seule permettra un éveil écologique et, in fine, la fin du modèle de prédation toujours à l’œuvre dans nos sociétés.
Peut-être plus intéressant encore, l’autrice interroge l’avenir de l’État dans un futur où les territoires, et donc les biorégions, seraient le nouveau centre de gravité. Des pistes de réflexion sont ainsi offertes, sans valoriser d’idéologie particulière. Enfin, l’économie, la place du rural, l’énergie, les systèmes alimentaires, le transport, etc., sont abordés sous un angle renouvelé via un passionnant travail de prospective sur le devenir biorégional de l’Île-de-France.
Avoir pleinement conscience de cohabiter avec un territoire, en saisir les spécificités géographiques – entre autres – pour mieux comprendre notre impact sur celui-ci est une thèse intéressante, mais qui questionne bien d’autres aspects de nos sociétés. Aussi, nous ajoutons que la géographie est certes la discipline maîtresse pour traiter des questions spatiales et d’échelle, mais la mobilisation de toutes les disciplines, et notamment des sciences sociales nous semble essentielle. En effet, il ne s’agit pas seulement de déterminer la bonne échelle géographique, mais de « redéfinir un nouvel imaginaire social et égalitaire, et plus largement de déconstruire l’Anthropocène » (p. 92), un projet qui n’est pas sans rappeler les objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies, que nous peinons à mettre en œuvre. « Vivre in situ » (live in place) – maître-mot de l’existence biorégionale – est en d’autres termes le fondement de la sécurité écologique globale et locale, l’enjeu de notre siècle.