Mars 2017
Offshore balancing : une stratégie globale plus efficace pour les États-Unis / Par John J. Mearsheimer et Stephen M. Walt
Intérêt nationalRIS N°105 – Printemps 2017
Pour la première fois dans l’histoire récente des États-Unis, de nombreux Américains remettent ouvertement en question la stratégie globale de leur pays. D’après un sondage effectué en avril 2016 par le Pew Research Center, 57 % d’entre eux sont d’accord pour dire que les États-Unis devraient « s’occuper de leurs propres problèmes et laisser les autres résoudre les leurs du mieux qu’ils le peuvent ». Pendant la période de campagne électorale, le démocrate Bernie Sanders et le républicain Donald Trump ont tous deux trouvé des auditoires réceptifs lorsqu’ils remettaient en cause la tendance systématique des États-Unis à promouvoir la démocratie, à subventionner la défense de leurs alliés et à intervenir militairement – laissant Hillary Clinton défendre le statu quo.
L’aversion des Américains pour la stratégie globale actuellement en place ne devrait surprendre personne au vu des résultats désastreux qu’elle a engendrés au cours des vingt-cinq dernières années. En Asie, l’Inde, le Pakistan et la Corée du Nord développent leurs arsenaux nucléaires pendant que la Chine remet en question le statu quo dans ses eaux régionales. En Europe, la Russie a annexé la Crimée et les relations russo-américaines ont atteint leur niveau le plus bas depuis la guerre froide. Les forces armées américaines combattent toujours en Afghanistan et en Irak, mais aucune victoire ne semble se dessiner à l’horizon. Al-Qaïda, malgré la perte de ses premiers chefs, a également métastasé dans l’ensemble de la région. Quant au monde arabe, il est plongé dans la tourmente, en grande partie à cause des décisions des États-Unis visant à imposer un changement de régime en Irak et en Libye, et de leur modeste tentative d’en faire de même en Syrie. C’est à partir de ce chaos qu’a émergé l’État islamique, également connu sous le nom de Daech. Les tentatives répétées des États-Unis de négocier un accord de paix israélo-palestinien ont aussi échoué, à tel point qu’une solution à deux États semble aujourd’hui plus éloignée que jamais. Dans le même temps, la démocratie a reculé dans le monde entier et le recours à la torture, la mise en œuvre d’exécutions ciblées et d’autres pratiques moralement douteuses ont terni l’image des États-Unis en tant que défenseurs des droits de l’homme et du droit international.
Bien que ces débâcles coûteuses ne relèvent pas de leur unique responsabilité, les États-Unis y ont contribué dans la majorité des cas. Les revers subis ne sont que la conséquence naturelle de la stratégie globale malavisée poursuivie pendant des années par les démocrates et les républicains, consistant à diffuser une hégémonie libérale. Selon cette approche, les États-Unis doivent utiliser leur pouvoir non seulement pour résoudre les problèmes internationaux, mais également pour promouvoir un ordre mondial qui repose sur les institutions internationales, les gouvernements représentatifs, les marchés ouverts ainsi que le respect des droits de l’homme. Les États-Unis, définis d’après cette logique comme la « nation indispensable », ont le droit, la responsabilité et la sagesse de gérer virtuellement les politiques locales partout dans le monde. Au fond, l’hégémonie libérale est une stratégie globale révisionniste : au lieu de cantonner les États-Unis à un rôle limité à la préservation de l’équilibre des puissances dans certaines régions stratégiques, elle engage la puissance américaine à promouvoir la démocratie dans le monde entier et à défendre les droits de l’homme dès qu’ils se retrouvent menacés.
Il existe une meilleure solution. En poursuivant une stratégie d’« offshore balancing » [1], les États-Unis renonceraient à leurs ambitieux efforts de remodeler les autres sociétés afin de se concentrer sur l’essentiel, c’est-à-dire maintenir leur domination dans l’hémisphère occidental tout en luttant contre de potentielles puissances hégémoniques en Europe, en Asie du Nord-Est et dans le golfe Persique. Au lieu d’agir comme les gendarmes du monde, ils encourageraient les autres pays à contrôler eux-mêmes les puissances émergentes dans leur région et n’interviendraient qu’en cas de nécessité. L’offshore balancing ne signifie pas qu’ils doivent abandonner leur position d’unique superpuissance mondiale ou se replier sur eux-mêmes. Il s’agit plus exactement d’assurer une gestion plus parcimonieuse de leurs atouts afin de maintenir leur suprématie sur le long terme et de protéger leur liberté sur le territoire national.
Poursuivre les bons objectifs
Les États-Unis sont la grande puissance la plus chanceuse de l’histoire moderne. Alors que d’autres puissances ont dû subir la menace de pays ennemis dans leur voisinage géographique immédiat – même le Royaume-Uni a fait face à plusieurs reprises au risque d’une invasion en provenance de l’autre côté de la Manche –, les États-Unis n’ont jamais été confrontés à ce type de problème pendant plus de deux siècles. Ils ne sont d’ailleurs guère plus menacés par les puissances éloignées, et ce, grâce aux deux immenses océans qui bordent leur territoire. Comme le disait Jean-Jules Jusserand, ambassadeur de France aux États-Unis de 1902 à 1924 : « au Nord, ils ont un voisin faible, au Sud, un autre voisin faible, à l’Est, des poissons, et à l’Ouest, encore des poissons ». De plus, les États-Unis disposent en abondance de terres et de ressources naturelles, ainsi que d’une population nombreuse et dynamique, ce qui leur a permis de devenir la plus grande puissance économique et de développer les meilleures forces armées au monde. N’oublions pas qu’ils possèdent également des milliers d’armes nucléaires dans leur arsenal, ce qui rend l’éventualité d’une attaque sur le territoire américain encore plus improbable.
Certes, ces avantages géopolitiques confèrent aux États-Unis une marge d’erreur considérable. Après tout, seul un pays disposant d’une situation aussi sûre aurait l’audace de tenter de remodeler le monde à sa propre image. Il faut toutefois garder à l’esprit que ces mêmes avantages lui permettraient également de rester un pays puissant et sûr sans avoir à poursuivre une stratégie globale coûteuse et à grande échelle. C’est exactement ce en quoi l’offshore balancing consiste. Son intérêt principal repose sur le principe suivant : faire des États-Unis la plus grande puissance possible et, idéalement, l’État dominant la planète. Cela passe avant tout par le maintien de leur hégémonie dans l’hémisphère occidental.
Contrairement aux isolationnistes, les partisans de l’offshore balancing estiment que certaines régions en dehors de l’hémisphère occidental valent la peine que les États-Unis y consacrent des ressources aussi bien humaines que matérielles. À l’heure actuelle, trois autres zones comptent pour les États-Unis : l’Europe, l’Asie du Nord-Est et le golfe Persique. Les deux premières constituent des centres industriels de premier plan et abritent les autres grandes puissances mondiales, tandis que la troisième représente à elle seule environ 30 % de la production mondiale de pétrole.
En Europe et en Asie du Nord-Est, la préoccupation principale concerne l’ascension éventuelle d’une puissance hégémonique régionale qui dominerait la région de la même manière que les États-Unis dominent l’hémisphère occidental. Un tel État disposerait d’une influence économique considérable et serait capable de développer des armements sophistiqués ainsi que d’étendre son pouvoir dans le monde entier. Il aurait peut-être même les moyens d’investir plus d’argent que les États-Unis dans une course à l’armement. Il pourrait aller jusqu’à s’allier avec d’autres pays de l’hémisphère occidental afin d’intervenir dans des régions proches du territoire américain. L’objectif principal des États-Unis en Europe et en Asie du Nord-Est devrait, dès lors, consister à y maintenir l’équilibre régional des puissances de telle sorte que l’État le plus puissant de chaque région – il s’agit respectivement de la Russie de la Chine actuellement – reste suffisamment inquiété par ses voisins pour ne pas penser à s’aventurer dans l’hémisphère occidental. En ce qui concerne le golfe Persique, les États-Unis ont intérêt à endiguer l’ascension d’une potentielle puissance hégémonique qui pourrait exercer son emprise sur le flux de pétrole dans la région et, par là même, nuire à l’économie mondiale et menacer la prospérité américaine.
L’offshore balancing est une stratégie globale réaliste avec un nombre d’objectifs limités dont la promotion de la paix, si souhaitable soit-elle, ne fait pas partie. Évidemment, cela ne sous-entend pas que les États-Unis doivent se réjouir de la perspective de conflits où que ce soit dans le monde, ou qu’ils ne puissent pas recourir à des moyens diplomatiques ou économiques afin d’empêcher la guerre. Néanmoins, ils ne devraient pas avoir à engager leurs forces militaires à cette seule fin. La stratégie d’offshore balancing ne compte pas non plus parmi ses objectifs la prévention de génocides, comme celui qui a touché le Rwanda en 1994. Elle n’exclut en rien de telles opérations, pour autant qu’elles s’avèrent nécessaires et faisables et que les dirigeants américains soient convaincus qu’elles n’aggravent pas davantage la situation.
Comment appliquer l’offshore balancing ?
Si les États-Unis étaient amenés à appliquer l’offshore balancing, ils ajusteraient leur politique militaire en fonction de la répartition des puissances dans ces trois régions-clés. Dans l’éventualité où aucune puissance hégémonique n’apparaissait en Europe, en Asie du Nord-Est ou dans le Golfe, il n’y aurait aucune raison d’y déployer des troupes terrestres ou aériennes, et l’utilité de grandes installations militaires sur le sol américain s’en trouverait réduite. Dans le cas contraire, sachant qu’il faudrait de nombreuses années pour qu’un pays acquière la capacité de dominer sa région, Washington pourrait anticiper cette éventuelle ascension et avoir le temps d’y réagir.
En guise de première ligne de défense, les États-Unis devraient alors s’en remettre aux forces régionales et leur confier la tâche de maintenir elles-mêmes l’équilibre des puissances dans leur région. Même s’ils pourraient toujours fournir de l’aide à leurs alliés et leur promettre leur soutien si jamais lesdits alliés courraient le risque d’être vaincus, les États-Unis devraient s’abstenir de déployer un grand nombre de forces militaires à l’étranger. Il pourrait s’avérer judicieux de maintenir une certaine présence militaire, par le biais de petits contingents militaires, d’infrastructures de collecte de renseignement ou de matériel prépositionné, mais de manière générale, Washington devrait passer le flambeau aux puissances régionales, qui ont un plus grand intérêt à empêcher qu’un État ne les domine.
En revanche, si ces puissances étaient incapables d’endiguer à elles seules la montée d’une puissance hégémonique potentielle, les États-Unis se devraient de les aider et de déployer un arsenal suffisant dans la région concernée afin de faire pencher la balance en leur faveur. Il serait peut-être alors parfois nécessaire d’envoyer des troupes avant qu’une guerre n’éclate. Pendant la guerre froide, par exemple, les États-Unis ont maintenu de nombreuses forces terrestres et aériennes en Europe, motivés par la conviction que les pays d’Europe de l’Ouest n’étaient pas capables de contenir à eux seuls l’Union soviétique. À d’autres moments, les États-Unis devraient peut-être intervenir seulement une fois qu’une guerre aura éclaté, si l’une des parties venait à présenter le risque de devenir, à l’issue du conflit, une puissance hégémonique dans la région. Il s’agit de la stratégie qu’ils ont adoptée pendant les deux guerres mondiales, décidant d’intervenir uniquement au moment où il semblait probable que l’Allemagne domine l’Europe.
Fondamentalement, l’objectif consiste donc à se maintenir à distance (offshore) le plus longtemps possible, tout en restant conscient qu’intervenir puisse parfois s’avérer nécessaire. Dans ce dernier cas de figure, les États-Unis devraient toutefois laisser leurs alliés faire le plus gros du travail autant que possible et retirer leurs forces armées au plus tôt.
Un passé historique rassurant
L’offshore balancing présente de nombreux avantages. En restreignant le nombre de zones que l’armée américaine s’engage à défendre et en obligeant les autres pays à fournir leurs propres efforts, Washington réduirait la proportion des ressources à consacrer à la défense, pourrait mettre moins de vies américaines en danger et, par la même occasion, investir davantage et stimuler la consommation sur le territoire national. Aujourd’hui, ses alliés profitent régulièrement de sa protection, un problème qui n’a fait que s’amplifier depuis la fin de la guerre froide. À titre d’exemple, les États-Unis, qui ne représentent que 46 % du produit intérieur brut (PIB) agrégé des pays membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), contribuent à hauteur d’environ 75 % des dépenses militaires de l’Alliance. Comme l’a formulé le politologue Barry Posen, non sans une pointe de raillerie, cela équivaut à de « l’assistance sociale pour les riches ».
L’offshore balancing réduirait également le risque posé par le terrorisme. La stratégie d’hégémonie libérale, elle, engage les États-Unis à diffuser la démocratie dans des endroits peu familiers, ce qui les pousse parfois à l’occupation militaire et, systématiquement, à interférer avec les arrangements politiques locaux. De telles actions provoquent invariablement un ressentiment nationaliste et peuvent amener les pays ennemis, trop faibles pour affronter directement les États-Unis, à se tourner vers le terrorisme – il convient de rappeler qu’Oussama Ben Laden était en grande partie motivé par la présence de troupes américaines dans son pays natal, l’Arabie saoudite. L’hégémonie libérale ne se contente d’ailleurs pas d’inspirer les terroristes ; elle facilite également leurs opérations : utiliser l’occasion d’un changement de régime pour répandre les valeurs américaines porte atteinte à la crédibilité des institutions locales en place et crée des zones non gouvernées au sein desquelles de violents extrémistes peuvent facilement se développer.
L’offshore balancing contribuerait à pallier ce problème en abandonnant tout projet d’ingénierie sociale et en réduisant la présence militaire des États-Unis au minimum. Il s’agirait de stationner des troupes à l’étranger uniquement lorsqu’un pays est situé dans une région stratégique et qu’il se trouve menacé par une puissance hégémonique potentielle. Dans ce scénario, le pays agressé considérerait les États-Unis comme un sauveur plutôt que comme un occupant. Et une fois la menace endiguée, les forces militaires américaines pourraient se retirer au lieu de rester sur place et de s’ingérer dans la politique locale. L’offshore balancing, de par son principe de respect de la souveraineté des autres États, serait ainsi moins susceptible d’encourager le terrorisme antiaméricain.
L’offshore balancing peut aujourd’hui sembler constituer une stratégie radicale ; pourtant, ses principes ont guidé la logique de la politique étrangère des États-Unis pendant plusieurs décennies et leur ont été bénéfiques. Au XIXe siècle, les principales préoccupations des États-Unis concernaient leur essor en Amérique du Nord, la construction d’un État puissant ainsi que l’établissement de leur hégémonie dans l’hémisphère occidental. Après avoir rempli ces objectifs à la fin du siècle, ils se sont rapidement intéressés au maintien de l’équilibre des puissances en Europe et en Asie du Nord-Est. Ils ont toutefois laissé les grandes puissances de ces régions se contrôler les unes les autres et sont intervenus uniquement lorsque l’équilibre des puissances était rompu, comme pendant les deux guerres mondiales.
Pendant la guerre froide, les États-Unis n’ont eu d’autre choix que d’intervenir directement en Europe et en Asie du Nord-Est, étant donné que leurs alliés dans ces régions n’étaient pas en mesure de contenir à eux seuls l’Union soviétique. Washington a alors noué des alliances et déployé des forces militaires dans les deux régions, participant également à la guerre de Corée dans l’optique de restreindre l’influence soviétique en Asie du Nord-Est.
Dans le golfe Persique, les États-Unis sont cependant restés offshore, laissant le Royaume-Uni prendre les commandes et empêcher tout État de dominer cette région riche en pétrole. Après l’annonce du retrait des Britanniques du Golfe en 1968, les États-Unis se sont tournés vers le chah d’Iran et la monarchie saoudienne pour accomplir cette tâche. À la chute du chah en 1979, l’administration Carter a commencé à mettre sur pied une force de déploiement rapide (Rapid Deployment Force), une capacité militaire offshore créée afin d’empêcher l’Iran et l’Union soviétique de dominer la région. Par la suite, l’administration Reagan a, pour des raisons similaires, aidé Saddam Hussein en lui prêtant assistance pendant la guerre avec l’Iran, entre 1980 et 1988. Les forces militaires américaines sont restées offshore jusqu’en 1990, au moment où l’invasion du Koweït par Saddam Hussein risquait de renforcer la puissance irakienne et, par là même, de mettre en danger l’Arabie saoudite et les autres pays producteurs de pétrole du Golfe. L’administration de George H. W. Bush a alors décidé d’envoyer un corps expéditionnaire afin de libérer le Koweït et de démanteler l’appareil militaire de Saddam Hussein.
En résumé, l’offshore balancing a permis d’empêcher l’émergence de puissances hégémoniques régionales dangereuses pendant près d’un siècle et de maintenir un équilibre global des puissances qui a renforcé la sécurité des États-Unis. De manière assez éloquente, les tentatives des responsables politiques américains de s’écarter de cette stratégie, comme lors de la guerre du Viêtnam, dans laquelle les États-Unis n’avaient aucun intérêt vital, se sont soldées par des échecs coûteux.
Le déroulement des événements depuis la fin de la guerre froide nous enseigne la même leçon. L’Europe, à la suite de l’effondrement de l’Union soviétique, n’avait plus de puissance dominante. Les États-Unis auraient donc dû progressivement réduire leur présence militaire, cultiver des relations amicales avec la Russie et laisser la gestion de la sécurité européenne aux Européens. Au lieu de cela, ils ont développé l’OTAN et ignoré les intérêts russes, contribuant ainsi au déclenchement du conflit avec l’Ukraine et poussant Moscou à se rapprocher de la Chine.
De même, au Moyen-Orient, les États-Unis auraient dû se retirer après la guerre du Golfe et laisser l’Iran et l’Irak s’équilibrer l’un l’autre. Au lieu de cela, l’administration Clinton a adopté une politique de « double endiguement » (dual containment) qui a nécessité le maintien de forces terrestres et aériennes en Arabie saoudite afin de surveiller simultanément l’Iran et l’Irak. L’administration de George W. Bush a opté, par la suite, pour une stratégie encore plus ambitieuse de « transformation régionale », qui a mené à de lourds échecs en Afghanistan et en Irak. L’administration Obama a d’ailleurs reproduit l’erreur à deux reprises : une première fois lorsqu’elle a contribué au renversement de Mouammar Kadhafi en Libye et une seconde lorsqu’elle a maintenu que Bachar Al-Assad « devait partir » et soutenu certains de ses opposants, exacerbant ainsi la situation chaotique en Syrie. L’abandon de l’offshore balancing après la guerre froide n’a donc entraîné que des échecs.
Les fausses promesses de l’hégémonie
Les partisans de l’hégémonie libérale présentent des arguments peu convaincants pour défendre leur point de vue. Une de leurs affirmations récurrentes est que seule une domination ferme des États-Unis peut maintenir l’ordre dans le monde. Mais une domination globale ne représente pas une fin en soi et n’est souhaitable que dans la mesure où elle profite directement aux États-Unis.
D’aucuns pourraient avancer qu’une domination américaine est nécessaire afin de remédier au problème d’action collective des acteurs locaux qui ne feraient pas le poids face à une potentielle puissance hégémonique. Il convient de préciser que la stratégie d’offshore balancing reconnaît cependant ce danger et qu’elle plaide pour une intervention de Washington en cas de besoin. Elle n’interdit d’ailleurs pas non plus aux États-Unis de prodiguer des conseils ou de fournir une aide matérielle à leurs pays amis dans les régions stratégiques.
D’autres défenseurs de l’hégémonie libérale soutiennent qu’une domination américaine est nécessaire afin de contrer les nouvelles menaces transfrontalières qui peuvent naître à partir d’États défaillants, du terrorisme, de réseaux criminels, de flux de réfugiés, etc. Ils affirment non seulement que les océans Atlantique et Pacifique offrent une protection insuffisante contre ces dangers, mais également que la technologie militaire moderne pourrait largement aider les États-Unis à projeter leur puissance dans le monde entier et à réagir face auxdits dangers. Selon eux, le « village planétaire » d’aujourd’hui est certes plus dangereux, mais également plus facile à gérer.
Ce point de vue exagère la gravité de ces menaces et surestime la capacité de Washington à les éliminer. La criminalité, le terrorisme et d’autres problèmes similaires peuvent devenir une nuisance, mais constituent difficilement une menace existentielle et ne se prêtent que très rarement à des solutions militaires. En effet, une ingérence constante dans les affaires d’autres États, notamment quand elle prend la forme d’interventions militaires, provoque le ressentiment de la population locale et encourage la corruption, ne faisant qu’aggraver ces dangers transfrontaliers. Une solution durable ne peut se traduire que par une gouvernance locale compétente, et non par une tentative brutale des États-Unis d’agir en tant que gendarmes du monde.
De plus, endosser ce rôle de gendarme ne s’avère pas aussi « économique » que les partisans de l’hégémonie libérale le prétendent, qu’il s’agisse d’argent dépensé ou de vies humaines perdues. Les guerres en Afghanistan et en Irak ont coûté entre 4 000 et 6 000 milliards de dollars. Près de 7 000 soldats américains ont été tués et plus de 50 000 ont été blessés. Si l’on constate des taux élevés de dépressions et de suicides parmi les vétérans de ces conflits, les États-Unis n’ont en revanche obtenu que peu de résultats concrets qui justifieraient les sacrifices de ces individus.
Les défenseurs du statu quo craignent également que la stratégie d’offshore balancing permette à d’autres États de remplacer les États-Unis au titre de plus grande puissance mondiale, alors qu’au contraire, elle contribuerait à prolonger la domination américaine en recentrant les efforts du pays sur certains objectifs fondamentaux. À la différence de l’hégémonie libérale, l’offshore balancing évite le gaspillage de ressources dans des croisades coûteuses et contre-productives, et permettrait ainsi au gouvernement d’investir davantage dans les domaines qui assurent un pouvoir et une prospérité durables : l’éducation, les infrastructures ainsi que la recherche et le développement. N’oublions pas que les États-Unis sont devenus une grande puissance en restant en dehors de guerres à l’étranger et en s’attelant à construire une économie d’envergure mondiale, une stratégie que la Chine met d’ailleurs également en œuvre depuis plus de trois décennies. Pendant cette même période, les États-Unis ont, pour leur part, dilapidé des billions de dollars et mis en péril leur suprématie sur le long terme.
Un autre argument avancé est que l’armée américaine doit assurer une présence dans le monde entier pour maintenir la paix et sauvegarder une économie internationale ouverte. La logique de cet argument voudrait qu’une réduction des effectifs militaires américains mène à une nouvelle concurrence entre grandes puissances, qu’elle stimule des rivalités économiques désastreuses et finisse par déclencher une guerre majeure dans laquelle les États-Unis ne pourraient pas se permettre de ne pas intervenir. L’argument soutient donc qu’il est préférable de continuer à jouer aux gendarmes du monde plutôt que de courir le risque de revivre la même situation que dans les années 1930.
Ces craintes ne sont pas justifiées. Tout d’abord, cet argument suppose qu’un engagement plus poussé des États-Unis en Europe aurait empêché la Seconde Guerre mondiale – une hypothèse difficile à concevoir étant donné la volonté résolue d’Adolf Hitler d’entrer en guerre. Des conflits régionaux se produiront quoi que les États-Unis fassent, mais ces derniers ne devraient pas intervenir à moins que leurs intérêts vitaux ne soient en jeu. Après tout, il est déjà arrivé qu’ils restent en dehors de certains conflits régionaux, tels que la guerre russo-japonaise, la guerre Iran-Irak ou encore la guerre actuelle en Ukraine, ce qui dément l’affirmation selon laquelle les États-Unis se retrouvent immanquablement entraînés dans les conflits. Et dans l’hypothèse où ils seraient contraints de lutter contre une autre grande puissance, il est préférable qu’ils entrent en scène plus tard et laissent d’autres pays assumer le plus gros des dépenses d’abord. Lors des deux guerres mondiales, les États-Unis ont été la dernière grande puissance à entrer dans le conflit et ils sont ressortis renforcés dans les deux cas, ayant tiré profit de cette tactique d’attente.
De plus, l’histoire récente nous permet de remettre en question l’affirmation selon laquelle la domination américaine préserve la paix. Au cours des vingt-cinq dernières années, Washington a provoqué et soutenu plusieurs guerres au Moyen-Orient et entraîné une série de conflits mineurs en d’autres endroits du globe. Si la stratégie d’hégémonie libérale est censée améliorer la stabilité mondiale, elle a clairement failli à sa tâche.
Elle n’a d’ailleurs pas obtenu de résultats significatifs en matière de bienfaits économiques non plus. Grâce à leur statut privilégié au sein de l’hémisphère occidental, les États-Unis sont libres de procéder à des échanges commerciaux et d’investir là où ils pensent pouvoir tirer profit d’affaires rentables. Sachant que tous les pays ont un intérêt commun dans ce type d’activités, il n’est nullement nécessaire que Washington joue au gendarme du monde afin de pouvoir entretenir des relations économiques avec les autres. En réalité, l’économie américaine se porterait bien mieux aujourd’hui si le gouvernement ne dépensait pas autant d’argent à essayer de diriger le monde.
Les tenants de l’hégémonie libérale soutiennent également que les États-Unis doivent garder leurs troupes engagées partout dans le monde afin de combattre la prolifération nucléaire. Ils sont convaincus que si Washington venait à réduire son rôle, voire à se retirer complètement de certaines zones stratégiques, les pays habitués à bénéficier de la protection américaine n’auraient d’autre choix que de se protéger eux-mêmes en se dotant d’armes nucléaires.
Il est certes peu probable qu’une stratégie globale, quelle qu’elle soit, puisse complètement empêcher la prolifération nucléaire, mais l’offshore balancing serait certainement plus performante que l’hégémonie libérale. Après tout, la stratégie d’hégémonie libérale n’a ni empêché l’Inde et le Pakistan de renforcer leur arsenal nucléaire, ni la Corée du Nord de devenir le dernier membre en date du « club nucléaire », ni l’Iran de réaliser des avancées considérables dans son programme. Les pays cherchent généralement à s’équiper de la bombe nucléaire par peur de se faire attaquer et les tentatives de renversement de régimes en place par les États-Unis ne font qu’accroître ce type d’inquiétudes. L’offshore balancing, en abandonnant une telle politique et en réduisant la présence militaire américaine, donnerait moins de raisons aux pays potentiellement proliférants de s’engager dans la voie du nucléaire.
De plus, recourir à l’action militaire contre un pays ne peut pas empêcher ce dernier d’obtenir des armes nucléaires, seulement le retarder dans le processus. Le dernier accord avec l’Iran rappelle que des efforts coordonnés pour exercer une pression multilatérale, associés à des sanctions économiques strictes, constituent une solution plus efficace qu’une guerre préventive ou un changement de régime afin de décourager la prolifération nucléaire.
Il est vrai que si les États-Unis venaient à réduire leurs garanties de sécurité, quelques pays vulnérables chercheraient peut-être à se procurer leurs propres armes de dissuasion nucléaire. Si un tel scénario n’est pas souhaitable, tout mettre en œuvre pour les en empêcher serait très certainement coûteux et se solderait probablement par un échec. D’ailleurs, les inconvénients d’une telle situation ne sont peut-être pas aussi graves que les pessimistes le pensent. L’obtention de la bombe ne transforme pas des pays faibles en grandes puissances et ne leur donne pas la capacité soudaine de faire du chantage à l’encontre de leurs rivaux. Dix États ont franchi le seuil nucléaire depuis 1945, le monde n’en a pas été bouleversé pour autant. La prolifération nucléaire restera un sujet de préoccupation quoi que les États-Unis décident de faire, mais l’offshore balancing offre la meilleure stratégie pour l’aborder.
L’illusion de la démocratie
Certains détracteurs rejettent l’offshore balancing car ils pensent que les États-Unis ont un impératif moral et stratégique de promouvoir la liberté et de protéger les droits de l’homme. Ils sont convaincus que diffuser la démocratie débarrassera le monde de la guerre et d’autres atrocités, assurant par la même occasion la sécurité des États-Unis et allégeant les souffrances de manière générale.
Personne n’est capable d’affirmer avec certitude qu’un monde exclusivement composé de démocraties libérales serait paisible, mais il est incontestable que diffuser la démocratie sous la menace des armes fonctionne rarement et que les démocraties balbutiantes sont particulièrement sujettes aux conflits. Au lieu de promouvoir la paix, les États-Unis en sont réduits à livrer des guerres sans fin. Pire encore, la propagation agressive de valeurs libérales à l’étranger risque de mettre en péril ces mêmes valeurs sur le territoire américain : ainsi, la guerre globale contre le terrorisme et la tentative d’implanter la démocratie en Afghanistan et en Irak ont mené à des tortures de prisonniers, à des exécutions ciblées ainsi qu’à la mise en place d’un vaste système de surveillance électronique des citoyens américains.
Certains partisans de l’hégémonie libérale sont persuadés qu’une version édulcorée de leur stratégie pourrait éviter le genre de fiascos qui ont eu lieu en Afghanistan, en Irak et en Libye. Cette conviction est illusoire. La promotion de la démocratie requiert l’élaboration d’un programme d’ingénierie sociale à grande échelle dans des sociétés étrangères que les Américains comprennent mal, ce qui contribue à expliquer pourquoi les tentatives de Washington en la matière échouent la plupart du temps. Le démantèlement et le remplacement d’institutions politiques en place créent inévitablement des gagnants et des perdants, ces derniers recourant souvent aux armes pour exprimer leur opposition. Lorsque cela se produit, les autorités américaines, dès lors persuadées que la crédibilité de leur pays est en jeu, sont tentées de recourir à leur impressionnante puissance militaire pour résoudre le problème et entraînent par conséquent les États-Unis dans des conflits supplémentaires.
Si les Américains souhaitent encourager la diffusion de la démocratie libérale, la meilleure façon d’y parvenir est de donner le bon exemple. Les autres pays sont davantage susceptibles d’imiter les États-Unis s’ils les perçoivent comme une société juste, prospère et ouverte. Or, cela signifie qu’il faudra en faire plus sur le sol américain afin d’améliorer les conditions de vie et moins pour influer sur les politiques locales à l’étranger.
Un pacificateur problématique
Certains pensent également que Washington devrait rejeter le principe d’hégémonie libérale tout en maintenant des forces importantes en Europe, en Asie du Nord-Est et dans le golfe Persique uniquement dans le but d’empêcher la survenue de conflits. Ce mécanisme de police d’assurance peu coûteux pourrait, selon eux, sauver des vies et faire économiser de l’argent aux États-Unis sur le long terme étant donné qu’ils n’auraient pas besoin de voler au secours de pays alliés après qu’un conflit aurait éclaté. Cette approche, parfois qualifiée d’« engagement sélectif », semble séduisante mais ne fonctionnerait pas non plus.
Tout d’abord, elle présente le risque de pousser de nouveau les États-Unis dans une logique d’hégémonie libérale. Une fois engagés à maintenir la paix dans les zones stratégiques, les dirigeants américains seraient grandement tentés de diffuser la démocratie par la même occasion, motivés par la croyance répandue que les sociétés démocratiques ne se font pas la guerre. Il s’agit après tout de la raison principale derrière leur volonté de développer l’OTAN à la fin de la guerre froide, avec l’objectif annoncé d’une « Europe entière et libre ». Dans la réalité, la frontière qui sépare l’engagement sélectif de l’hégémonie libérale s’estompe facilement.
Les partisans de l’engagement sélectif supposent également que la simple présence de forces américaines dans différentes régions garantira la paix et que les Américains n’auront absolument pas à s’inquiéter à l’idée de se voir entraînés dans des conflits lointains. En d’autres termes, ils pensent qu’étendre considérablement les engagements américains en matière de sécurité comporte peu de risques, en se fondant sur la conviction que lesdits engagements n’auront pas à être honorés.
Cette hypothèse s’avère toutefois bien trop optimiste : en effet, il est possible que des pays alliés agissent imprudemment ou que les États-Unis provoquent eux-mêmes des conflits. En Europe, le « pacificateur américain » n’a pas réussi à empêcher les guerres de Yougoslavie dans les années 1990, la guerre d’Ossétie du Sud en 2008 ou encore le conflit qui agite actuellement l’Ukraine. Au Moyen-Orient, Washington est responsable d’une grande partie des guerres récentes. Et malgré le rôle déterminant de la marine américaine dans la région, il pèse actuellement en mer de Chine méridionale un réel risque de conflit. Les forces américaines stationnées dans le monde entier ne garantissent donc en aucun cas la paix.
L’engagement sélectif ne règle d’ailleurs pas non plus le problème des responsabilités réciproques. Gardons à l’esprit que le Royaume-Uni est en train de retirer ses troupes d’Europe continentale, à un moment où l’OTAN fait face à ce qu’elle considère comme une menace croissante de la Russie. De nouveau, il incombe à Washington la responsabilité de gérer la situation, alors que la paix en Europe devrait surtout être un sujet de préoccupation pour les grandes puissances régionales.
Une stratégie en pratique
Comment appliquer l’offshore balancing dans le monde d’aujourd’hui ? La bonne nouvelle est qu’il paraît peu probable qu’un État vienne remettre en cause l’hégémonie américaine dans l’hémisphère occidental et que, pour l’instant, aucune puissance hégémonique potentielle ne semble se profiler en Europe ou dans le golfe Persique. Mauvaise nouvelle, en revanche : si la Chine continue son incroyable ascension, elle cherchera vraisemblablement à imposer son hégémonie en Asie. Les États-Unis devraient alors s’engager à tout mettre en œuvre pour l’en empêcher.
Idéalement, ils s’appuieraient sur les puissances locales pour contenir la Chine, mais cette stratégie ne fonctionnerait peut-être pas. D’une part, la Chine est susceptible d’être beaucoup plus puissante que ses voisins et, d’autre part, ces pays voisins sont situés loin les uns des autres, rendant d’autant plus difficile la formation d’une coalition efficace pour la contrebalancer. Les États-Unis devront donc coordonner les efforts de ces États et peser de tout leur poids pour les soutenir. Il se peut qu’en Asie, ils deviennent ainsi la « nation indispensable ».
Ils doivent cependant retirer l’intégralité de leurs forces militaires d’Europe et laisser la responsabilité de l’OTAN aux Européens. Il n’existe aucune raison valable de maintenir des troupes américaines en Europe, sachant qu’aucun pays européen n’a la capacité de dominer la région. Les deux prétendants les plus sérieux à ce titre, l’Allemagne et la Russie, connaîtront tous deux une perte de puissance relative au fur et à mesure de la diminution de leurs populations respectives, et aucune autre puissance hégémonique potentielle ne semble se dessiner à l’horizon. Certes, confier la sécurité européenne aux Européens pourrait augmenter le risque de conflits dans la région. Mais même si cette hypothèse se concrétisait, les intérêts fondamentaux américains ne seraient pas mis en danger. Il n’y a donc aucune raison pour que les États-Unis dépensent des milliards de dollars chaque année – et engagent les vies de leurs propres citoyens – pour empêcher la survenue d’un conflit en Europe.
Dans le Golfe, les États-Unis devraient revenir à une stratégie d’offshore balancing qui leur avait très bien réussi jusqu’à l’avènement du double endiguement. Aucune puissance locale n’est en mesure de dominer la région, de sorte que les États-Unis peuvent retirer la plupart de leurs forces.
En ce qui concerne Daech, ils devraient laisser les puissances régionales s’en occuper et limiter leur contribution à la fourniture d’armes, de renseignement ainsi qu’à l’assistance militaire. L’État islamique représente une menace sérieuse pour les puissances du Golfe, mais seulement un problème mineur pour les États-Unis. L’unique solution durable réside dans de meilleures institutions locales, chose que Washington ne peut apporter.
En Syrie, les États-Unis devraient laisser la Russie prendre les devants. Qu’il soit stabilisé sous le contrôle de Bachar Al-Assad ou sous-divisé en mini-États rivaux, le pays ne représenterait qu’un faible danger pour les intérêts américains. Les présidents américains, démocrates comme républicains, ont une longue expérience de collaboration avec le régime de B. Al-Assad, et une Syrie faible et divisée ne menacerait en aucun cas l’équilibre des puissances de la région. Si la guerre civile continue, il incomberait à Moscou de s’attaquer au problème, bien que Washington devrait être disposée à proposer son aide pour négocier un règlement politique du conflit.
Pour l’heure, les États-Unis devraient tenter d’améliorer leurs relations avec l’Iran, car il n’est pas dans leur intérêt que Téhéran abandonne l’accord nucléaire et reprenne sa course à la bombe. Ce scénario deviendrait plus vraisemblable si l’Iran venait à craindre une attaque de la part des États-Unis, raison pour laquelle il est d’autant plus important de recoller les morceaux avec Téhéran. De plus, la Chine cherchera à obtenir des alliés dans le Golfe au fur et à mesure que ses ambitions grandissent et il est plus que probable qu’elle place l’Iran en haut de sa liste – signe avant-coureur, le président chinois Xi Jinping a visité Téhéran en janvier 2016 et signé pas moins de 17 accords différents. Les États-Unis ont tout intérêt à décourager une coopération en matière de sécurité entre la Chine et l’Iran ; cela nécessite de tendre la main à l’Iran.
L’Iran ayant une population considérablement plus grande et un potentiel économique plus élevé que ses voisins arabes, il est possible qu’il soit un jour en position de dominer le Golfe : si cela produit, les États-Unis devront aider les autres pays de la région à maintenir un équilibre pour pouvoir contrer Téhéran en calibrant le niveau de leurs efforts et de présence militaire en fonction de l’ampleur du danger.
L’essence de l’offshore balancing
L’application de l’ensemble de ces mesures permettrait aux États-Unis de sensiblement réduire leur budget de défense. Bien que leurs forces armées continueraient d’être présentes en Asie, les retraits des troupes d’Europe et du golfe Persique, la réduction du budget de lutte contre le terrorisme ainsi que la fin de la guerre en Afghanistan et d’autres interventions à l’étranger permettraient aux États-Unis d’économiser des milliards de dollars. Ils maintiendraient un grand nombre de ressources navales et aériennes ainsi qu’un nombre limité de forces terrestres compétentes en poste, et se tiendraient prêts à étendre leurs capacités militaires si les circonstances venaient à le rendre nécessaire. Mais dans un avenir proche, le gouvernement américain pourrait dépenser davantage pour les besoins intérieurs des États-Unis ou soulager un peu plus les contribuables.
L’offshore balancing est une stratégie globale née d’une confiance dans les traditions essentielles des États-Unis et d’une conscience des avantages durables que possède le pays. Elle exploite la position géographique providentielle des États-Unis et reconnaît les facteurs qui peuvent inciter les autres pays à contrebalancer leurs voisins trop puissants ou ambitieux. Elle respecte le pouvoir du nationalisme, n’a pas vocation à imposer les valeurs américaines dans les sociétés étrangères et insiste sur la nécessité de montrer un exemple que les autres pays voudront suivre. Comme cela a déjà été le cas par le passé, l’offshore balancing représente non seulement la stratégie qui se rapproche le plus des intérêts américains, mais également celle qui correspond le mieux aux préférences de la population américaine.
- [1] NDLR : « équilibre des forces à distance ».
Cet article a été initialement publié, dans sa version originale, dans le numéro de juillet-août 2016 du magazine Foreign Affairs et sur ForeignAffairs.com
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