Problématiques régionales
Le dernier pénalty. Histoire de football et de guerre / Gigi Riva, Paris, Seuil, Fiction & Cie, 2016, 192 p.
Rédacteur en chef de l’hebdomadaire L’Espresso, Gigi Riva a notamment couvert les conflits des Balkans des années 1990. Avec Le dernier pénalty, il livre une histoire de la fin de la Yougoslavie au prisme du football.
Le point de départ choisi par l’auteur se trouve en Italie : lors du quart de finale de la Coupe du monde de football 1990 opposant la Yougoslavie à l’Argentine, le capitaine Faruk Hadzibegic manque le tir au but décisif, entraînant l’élimination de son équipe, alors que son pays s’apprête à basculer dans la guerre. Le récit s’ouvre ainsi sur un épilogue dans lequel le lecteur suit l’actuel entraîneur de Valenciennes sur les terres anciennement yougoslaves, où tant Bosniens que Serbes et Croates n’ont de cesse de lui rappeler : « Ah ! Si vous l’aviez marqué ce pénalty… »
G. Riva commence par resituer F. Hadzibegic dans la Sarajevo ouverte et cosmopolite de son enfance, puis pendant la « décennie d’or » 1980-1990, durant laquelle la ville accueille notamment les Jeux olympiques d’hiver de 1984. On croise çà et là différents personnages qui deviendront tristement célèbres : d’abord un psychiatre alors engagé par le FK Sarajevo – le club de F. Hadzibegic –, qui « incite le staff à dépasser toute division ethnique et religieuse pour former un vrai groupe » (p. 28), Radovan Karadzic ; puis un certain Zeljko Raznatovic, plus connu sous surnom d’Arkan, à la tête des ultras de l’Étoile rouge de Belgrade. Ces derniers s’illustrent notamment en mai 1990 à Zagreb lors d’une rencontre face au Dinamo, le football devenant le théâtre d’événements annonciateurs. L’auteur n’hésite d’ailleurs pas à situer le début de la guerre à Zagreb ce 13 mai 1990 ; certains protagonistes des deux camps se retrouveront plus tard à Vukovar pour une toute autre bataille.
Durant la Coupe du monde, le sélectionneur Ivica Osim a les pires difficultés pour trouver le dosage ethnique à même de satisfaire les revendications de chaque république dans sa composition d’équipe, qui repose sur un noyau dur bosniaque. Tel un carnet de bord, le parcours yougoslave en Italie est retracé match après match. Déjà, les affinités entre joueurs semblent se lier selon les communautés, même si tous ne savent pas vraiment à laquelle ils appartiennent.
L’ouvrage permet de saisir le paradoxe résidant dans la centralité toute relative du sport. Centralité car le football est ici indéniablement le terrain et le terreau de toutes les crispations. Relative car aucune autre issue plus favorable dans ce cadre n’aurait pu empêcher les conflits. Si les performances de la sélection sont fêtées à Sarajevo, les événements politiques s’accélèrent dans le reste du pays durant l’été 1990. Viennent ensuite les déclarations d’indépendance slovène et croate, et les premières « désertions » de joueurs. L’équipe nationale semble un temps prolonger l’unité, tandis que des sommets sportifs sont, par ailleurs, atteints (victoire de l’équipe nationale de basketball lors des championnats du monde 1990 et d’Europe 1991, victoire de l’Étoile rouge de Belgrade en Coupe d’Europe des clubs champions en 1991). De fait, le dernier pénalty n’aurait rien pu changer.
G. Riva livre, en outre, une réflexion sur le statut de l’athlète et ses tourments. Alors que durant la Coupe du monde, les joueurs, dans leur bulle, semblent pour certains les derniers à croire encore à « une idée romantique à l’agonie » (p. 41), ils sont rapidement amenés à prendre position en fonction de « leurs nouvelles appartenances » (p. 170). F. Hadzibegic, pour sa part, ne comprend que tardivement ce qui est en train de se jouer. Il quitte et dissout symboliquement l’équipe nationale une fois celle-ci qualifiée pour l’Euro 1992, en solidarité avec sa ville de Sarajevo assiégée, de laquelle il cherche à faire sortir ses proches.
« Dans deux ans la Yougoslavie gagnera la Coupe d’Europe. Si elle n’explose pas, si on s’occupe d’elle, si on la soutient. Mais je sais déjà qu’il n’en sera rien, c’est le pire qui arrivera. » (pp. 126-127). Ainsi parlait I. Osim à Florence le 30 juin 1994 à l’issue de l’élimination de son équipe. À la veille du Championnat d’Europe des nations de 1992, dont le pays finira par être exclu à la suite de l’embargo décidé par le Conseil de sécurité des Nations unies, l’équipe de Yougoslavie n’existe déjà plus, en dépit de son apparent cosmopolitisme. « Pourquoi, alors, ce pénalty est-il devenu la source d’un tel regret, un tournant, un acte fatal constamment rappelé ? Parce que le football c’est l’enfance, et l’enfance c’est la Yougoslavie. Parce qu’il ne coûte rien de rêver. » (p. 174)
Marc VerzeroliResponsable d’édition à l’IRIS
La fin de l’Europe ? / Olivier Lacoste, Paris, Eyrolles, 2016, 207 p.
’ouvrage arrive à point nommé pour reconsidérer les véritables raisons de la crise affectant l’Union européenne (UE). Accessible, cette présentation problématisée livre une analyse critique, voire sévère, mais relativement équilibrée : si elle décrit les dérives caractérisant l’approche dogmatique de la Commission, elle n’occulte pas que les États se sont appliqués à une défense égoïste de leurs intérêts nationaux. Le sujet est, par nature, polymorphe et complexe. Olivier Lacoste, économiste et ancien directeur du think tank Confrontations Europe, s’attache à dégager quelques grandes causes de la situation actuelle.
Tout d’abord, l’Union souffre d’une propension pathologique à empiler les règles, toujours plus exigeantes et toujours plus éloignées de la réalité de l’économie. Se défiant des États, considérés comme indisciplinés par nature, la Commission – qui n’a généralement aucune expérience de la gestion de véritables services publics – fait la leçon aux administrations nationales et leur oppose des règles intangibles. Ces dernières peuvent être inscrites dans le marbre des traités, ce qui traduit non seulement une conception dogmatique de l’équilibre des finances publiques et de l’infaillibilité du marché, mais aussi une confusion entre la dimension des politiques publiques et celle de l’ordre constitutionnel d’un système juridique. La sacralisation du Pacte de stabilité et de croissance (PSC), qui n’a jamais fonctionné, puis son renforcement par des dispositifs tout aussi irréalistes ont causé, selon l’auteur, beaucoup de tort à la zone euro. Paradoxalement, la Commission s’est montrée réticente à réglementer le secteur privé – car vertueux par nature, selon sa pensée économique –, réduisant par ailleurs le périmètre des services d’intérêt économique général censés être protégés d’une concurrence sans frein. Elle s’est spécialisée dans la surveillance des budgets nationaux, sans admettre que les défaillances du secteur financier sont à l’origine du gonflement des dettes publiques – les États ayant dû reprendre à leur compte la dette privée des banques en difficulté pour sauver le système financier.
L’auteur concède ensuite, comme bien d’autres analystes, le caractère peu démocratique du processus institutionnel européen. Le mode de gouvernement s’apparente davantage à la gestion d’autorités administratives indépendantes juxtaposées qu’à un processus de décision politique : la direction générale de la concurrence et la Banque centrale européenne gardent le temple du PSC. L’approche dogmatique en matière de concurrence a écarté la possibilité d’une politique industrielle nécessaire à l’accompagnement de l’intégration de l’espace économique régional. Dès lors, la polarisation de l’activité sur les territoires les plus performants a creusé l’écart avec les zones en crise. Face à la concurrence des pays tiers, le refus de recourir à des instruments de défense contre le dumping et les subventions à l’exportation – contrairement aux États-Unis ou aux pays « émergents » – a renforcé la fragilité de la zone euro.
Mais l’auteur évoque aussi la responsabilité des États. Ainsi, ces derniers cherchent à obtenir en retour plus de l’Union que la contribution financière qu’ils lui versent. Il est, dès lors, délicat de construire une politique budgétaire commune qui pourrait réaliser les transferts nécessaires au rééquilibrage de la croissance dans la zone euro. Plus grave, le comportement irresponsable de certains États – Irlande, Luxembourg, Royaume-Uni – a suscité une concurrence fiscale suicidaire qui s’est traduite, in fine, par une perte pour tous : « les États membres de l’Union ont progressivement transféré la charge de l’impôt d’une assiette fiscale plus mobile (revenu du capital et revenu des sociétés) vers des assiettes moins mobiles, notamment vers les revenus du travail » (Mario Monti, 2010, cité en p. 124). Difficile de contribuer plus efficacement à la montée des populismes anti-européens.
L’auteur cantonne sa démonstration aux questions économiques, et n’évoque ni l’échec de la politique étrangère européenne ni les divergences profondes en matière de questions de sociétés ou de politique migratoire. Il demeure pourtant optimiste et conclut que la crise du « Brexit » offre l’opportunité aux États membres d’engager une phase de reconstruction des institutions, au bénéfice d’une vision plus lucide des mécanismes économiques et des attentes des populations du Vieux Continent.
Yannick ProstHaut fonctionnaire, maître de conférences à Sciences Po
On repose le dernier livre d’Henry Kissinger avec deux sentiments contradictoires : l’admiration respectueuse et la gêne persistante. D’un côté, cette brillante fresque de trois siècles et demi d’histoire diplomatique et les analyses visionnaires de l’actualité internationale qui la prolongent ne peuvent que susciter l’admiration. À quatre-vingt-dix ans passés, Henry Kissinger est un monstre sacré des relations internationales : il en fut l’un des acteurs les plus influents aux temps des administrations Nixon et Ford et en reste l’un des commentateurs les plus autorisés. Son livre, typiquement anglo-saxon, est sans équivalent dans l’édition française : il s’agit ni plus ni moins de l’histoire du monde. En ouvrant L’ordre du monde, on se sent d’abord bien modeste face à tant d’érudition, puis un peu plus intelligent en le refermant.
À travers le temps et l’espace, H. Kissinger raconte l’ordre mondial, produit toujours fragile de la combinaison de la force et de la légitimité, au prisme d’une doctrine : la théorie réaliste des relations internationales, dont il est l’un des pères fondateurs (Lire Dario Battistella, « L’ordre international. Portée théorique et conséquences pratiques d’une notion réaliste », La Revue internationale et stratégique, n° 54, été 2004). Ses principes en sont simples : l’histoire des relations internationales est celle des États qui la composent et qui s’opposent au nom de la défense de leurs intérêts égoïstes. Ils ont été posés en 1648 par les traités de Westphalie, qui mirent fin à la guerre de Trente Ans. Ils furent réaffirmés à Vienne en 1815, au lendemain de la Révolution française et des guerres napoléoniennes. Le vingtième siècle les a trahis à deux reprises : en 1919 à Versailles en excluant l’Allemagne de la table de négociation, en 1945 à San Francisco en aspirant à créer une communauté internationale fondée sur des valeurs partagées.
D’inspiration européenne, ces principes westphaliens ont essaimé à travers la planète : dans le monde musulman où l’Islam aspirait à étendre le califat à la terre entière, en Asie où la Chine s’est longtemps perçue comme le « centre du monde » appelé à gouverner « tout ce qui est sous le Ciel ». Par une paradoxale pirouette de l’Histoire, l’ordre westphalien a abandonné les terres qui l’ont vu naître pour trouver une nouvelle vitalité dans des régions qui lui étaient étrangères : l’Europe, bercée par le rêve d’une construction fédérale qui a toujours inspiré et inspire encore à Henry Kissinger le plus grand scepticisme, est devenue post-westphalienne alors que l’Asie et, derrière l’image fallacieuse que donne la croyance en une même foi, le Moyen-Orient, sont devenus des espaces westphaliens où des États s’affrontent au nom de leurs intérêts nationaux.
De l’autre côté, le respect que suscite une si brillante analyse n’empêche pas une gêne persistante. Vingt ans après Diplomacy (1994), son œuvre maîtresse, il livre une analyse qui repose encore et toujours sur les mêmes paradigmes. Témoignage d’une admirable cohérence dans son œuvre ou incapacité à tenir compte de l’évolution du monde ? Henry Kissinger reste fidèle aux principes qui structurent sa pensée depuis sa thèse consacrée, à Harvard en 1954, à la paix de Vienne. Pour lui, seuls les États et leurs intérêts égoïstes importent. H. Kissinger reste aveugle au rôle grandissant des acteurs non étatiques – et aux réflexions de ceux qui, de James Rosenau à Stephen Krasner en passant par Richard Rosecrance ou Susan Strange, n’ont cessé de prophétiser l’avènement d’un monde postnational. Sans doute sensible à cette critique, H. Kissinger consacre l’ultime chapitre de son dernier livre aux questions technologiques. Mais il y est surtout question de l’arme nucléaire – analysée en des termes identiques depuis cinquante ans. Si Internet y est également évoqué, c’est enfin plus pour son impact sur notre vie quotidienne que son influence sur la conduite des relations internationales.
Yves Gounin
Haut fonctionnaire
Problématiques mondiales
L’ordre du monde / Henry Kissinger, Paris, Fayard, 2016, 400 p.
Le concept est à la mode. Brandi avec excès par ceux qui y voient une solution à toutes les crises du monde, honni par les autres qui le suspectent de cautionner un nouvel interventionnisme occidental, il est mal compris. Jean-Baptiste Jeangène-Vilmer en fait la généalogie, en précise les contours et en présente les modalités de mise en œuvre.
Apparue en 2001 sous la plume des experts de la Commission internationale sur l’intervention et la souveraineté des États, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies en septembre 2005, la responsabilité de protéger (R2P) est le produit d’une longue histoire qui ne date pas de la chute du mur de Berlin. En effet, la souveraineté n’a jamais été absolue. Déjà au XIXe siècle, l’« intervention d’humanité » autorise l’intervention militaire aux fins de protection des populations. En 1945, si l’article 2 paragraphe 4 de la Charte des Nations unies consacre le principe de souveraineté étatique, celui-ci ne prohibe pas toute intervention militaire, toujours possible avec l’autorisation du Conseil de sécurité sous chapitre VII. Le droit international des droits de l’homme – la Convention contre le génocide de 1948 par exemple – et le droit international humanitaire – la Convention de Genève de 1949 et ses protocoles additionnels – imposent aux États des responsabilités dont la méconnaissance est, en théorie, sanctionnée.
La R2P n’en reste pas moins le produit de l’histoire récente. La chute du Mur a entraîné avec elle les obstacles à l’interventionnisme. Les années 1990 sont l’âge d’or des opérations de maintien de la paix, désormais menées sous chapitre VII, sans qu’aucun veto des grandes puissances n’ose y faire objection. Elles voient aussi se multiplier les « non-interventions inhumanitaires », selon la fine expression de Simon Chesterman, désignant des situations où la « communauté internationale » n’a pas réussi à se mobiliser (Rwanda, République démocratique du Congo, Somalie, etc.). Le temps est mûr pour un nouveau principe.
La résolution 60/1 de l’Assemblée générale des Nations unies du 16 septembre 2005 ne consacre pas une, mais deux R2P : celle, principale, de l’État qui doit protéger ses populations de quatre crimes limitativement énumérés – génocide, crimes de guerre, nettoyage ethnique et crimes contre l’humanité – et celle, subsidiaire, de la communauté internationale qui peut, sur autorisation du secrétaire général des Nations unies, se substituer à l’État qui manque à son obligation. Tous les mots comptent dans cette définition, qui débute par une réaffirmation fort orthodoxe de la souveraineté étatique. Que vise-t-elle ? Les manquements des États à protéger contre quatre crimes seulement. Qui vise-t-elle ? Les populations, ce qui inclut les réfugiés résidant sur le territoire, mais ne saurait être étendu aux diasporas à l’étranger. Quand la protection subsidiaire peut-elle jouer ? Si et seulement si le Conseil de sécurité l’autorise. La mise en œuvre de cette protection subsidiaire est-elle un devoir qui pèse sur la communauté internationale ? Non, c’est une option, pas une obligation.
Jean-Baptiste Jeangène-Vilmer consacre la fin de son court ouvrage à montrer comment la R2P a été mise en œuvre depuis 2005. Le consensus qui avait entouré son adoption ne doit pas faire illusion. La R2P inquiète tous les États : les plus faibles qui craignent qu’elle ne permette la violation de leur souveraineté, les plus forts qui redoutent qu’elle ne les oblige à intervenir sur des terrains où ils ne souhaitent pas être impliqués. Son utilisation en Libye en 2011 a failli lui être fatale, certains États lui reprochant d’avoir été dévoyée pour permettre un changement de régime. Jean-Baptiste Jeangène-Vilmer s’inscrit en faux contre cette analyse, répondant que la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations unies ne faisait pas du renversement de Mouammar Kadhafi un objectif, mais l’autorisait implicitement comme moyen de protéger les civils. Qu’on le rejoigne ou pas dans cette analyse, force est de constater que le précédent libyen a laissé des traces durables, qui expliquent en large partie les veto russe et chinois contre toute intervention en Syrie.
Yves Gounin
Haut fonctionnaire
La responsabilité de protéger / Jean-Baptiste Jeangène-Vilmer, Paris, Presses universitaires de France, 2015, 128 p.
Œuvre collective de recherche, cet ouvrage a pour ambition d’apporter un éclairage sur la sécurité des humanitaires en confrontant regard scientifique, témoignage du terrain et recommandations d’experts. À l’heure où les attaques frappant le personnel humanitaire et les structures de santé sont plus que jamais présentes à l’agenda médiatique, le livre analyse avec justesse l’évolution de l’encadrement de l’exposition au danger. Michaël Neuman et Fabrice Weissman, à la direction de l’ouvrage, sont tous deux membres du Centre de réflexion sur l’action et les savoirs humanitaires (Crash), le premier comme directeur d’étude, le second comme coordinateur. Le Crash, hébergé par la Fondation Médecins sans frontières (MSF), permet l’analyse et la réflexion sur l’environnement de l’organisation non gouvernementale (ONG). Analyser les expériences d’hier pour faire évoluer la pratique de demain apparaît ainsi comme le fil conducteur de cette parution.
L’exposition au risque est intrinsèquement liée au travail humanitaire de par la nature des missions et les théâtres d’intervention. Organisée en trois temps, « histoire », « théorie » et « pratique », l’étude s’emploie donc à comprendre comment assurer la sécurité du personnel humanitaire sur le terrain.
La première partie retrace l’évolution des débats et réflexions au sein de la communauté humanitaire, et plus particulièrement au sein de MSF. Cette analyse historique se réalise notamment au prisme de différentes discussions ayant eu lieu au conseil d’administration de MSF, lieu de gouvernance stratégique de l’ONG. Des années 1970 et de l’« héroïsation » de l’humanitaire au tournant de la professionnalisation de la gestion du risque, elle permet de mieux comprendre les dynamiques contemporaines de l’« aversion au risque ».
La deuxième partie, théorique, examine avec précision les recommandations issues des spécialistes et experts en gestion du risque. Il s’agit donc d’observer les données statistiques sur l’insécurité des humanitaires, tout en questionnant leur provenance et leur pertinence. Les attaques contre le personnel humanitaire ont-elles augmenté ou serait-ce l’exposition au danger qui s’est développée ? Les contextes d’interventions sont-ils plus dangereux ou la nature du danger et du conflit a-t-elle évolué ?
Placée sous le signe de la pratique, la troisième et dernière partie est un florilège de témoignages. À travers ces récits, les auteurs apportent un éclairage concret des pratiques contemporaines de sécurité sur le terrain. De la Syrie au Caucase russe, du kidnapping à de la négociation de libération d’otages, ces témoignages et entre tiens apportent un éclairage précieux pour la compréhension du travail humanitaire.
Plus largement, l’articulation des trois parties offre une vue d’ensemble et cohérente de la compréhension des tendances lourdes sur la question de la sécurité du personnel humanitaire. Mettre en exergue les regards croisés de chercheurs et praticiens permet une prise de recul nécessaire et une analyse critique utile pour MSF. Mais l’apport de l’ouvrage dépasse largement les murs de l’association, et procure matière à réfléchir pour la communauté humanitaire dans son ensemble et tout lecteur intéressé par l’évolution de ce secteur.
Dorian Dreuil
Secrétaire général adjoint d’Action contre la faim