L’OPEP peut-elle survivre dans un monde d’abondance pétrolière ? / Par Emmanuel Hache

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Avec 71,5 % des réserves mondiales [2] et une part de marché dans la production mondiale estimée à 41 %, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) est un acteur central du marché pétrolier. Pourtant, depuis l’effondrement des prix du brut – baisse de plus de 65 % entre les mois de juin 2014 et de décembre 2015 –, nombreux sont les experts à prédire la mort d’une organisation [3] qui a traversé les différentes étapes économiques et politiques de l’après-guerre : reconstruction, décolonisation et mondialisation. Différents arguments vont dans ce sens : incapacité à stabiliser les prix du pétrole, concurrence des producteurs non-membres de l’OPEP, croissance des innovations technologiques de décarbonation, pénétration des énergies renouvelables dans le mix énergétique mondial.

Créée en septembre 1960 à Bagdad par l’Arabie saoudite, l’Iran, l’Irak, le Koweït et le Venezuela à la suite de la montée des revendications des pays producteurs de pétrole face aux compagnies internationales et au cartel dit des sept sœurs [4], l’OPEP reste un marqueur politique, géopolitique et économique des années 1970 [5]. Dès le début des années 1960, l’organisation a souhaité démontrer que la détention d’une ressource énergétique pouvait être utilisée comme une arme politique et un instrument de pouvoir. Elle a, dès lors, orienté son action autour de trois thématiques : le contrôle des prix, l’harmonisation de la fiscalité pétrolière et la détermination du niveau de production de ses membres. Dès 1962, l’OPEP met ainsi en place une fiscalité avantageuse, appelée « système OPEP », qui sera progressivement étendue à tous ses membres en 1972. Sa véritable prise de pouvoir sur le marché, symbolisée par l’embargo de 1973 [6] qui donnera lieu au premier choc pétrolier de 1973-1974 et à la mise en place de son propre système d’établissement des prix, sera suivie par de nombreuses expériences douloureuses dans les années 1980 et 1990 : contre-choc pétrolier de 1986, crise de 1997 dans le sillage de la crise asiatique, conflit interne entre l’Arabie saoudite et le Venezuela, etc.

De tout temps, l’hétérogénéité des pays membres de l’OPEP a empêché une réelle discipline au sein du cartel. Objet économique par nature, l’organisation est également porteuse d’une dimension politique fondamentale [7] en ce qu’elle est composée d’États souverains dont les antagonismes se sont révélés historiquement particulièrement violents. Ce double attribut est exacerbé par le fait que les principales décisions de l’OPEP restent dominées par celles de son premier pays producteur, l’Arabie saoudite. Ainsi, derrière la baisse marquée des prix du pétrole depuis 2014 se retrouve une double dimension économique et politique de Riyad. À plus long terme, et à rebours des arguments sur la fin inexorable de l’OPEP, certains signaux faibles de sa mue doivent être explorés. Ainsi, durant l’année 2016 et malgré une conjoncture pétrolière défavorable, le cartel a vu revenir deux de ses membres historiques, l’Indonésie et le Gabon.

Un cartel fondamentalement disparate

Il n’existe pas de consensus clair dans la littérature économique pour qualifier les actions de l’OPEP : cartel, oligopole non coopératif, etc. Ses statuts indiquent, pour leur part, plus clairement ses objectifs : « coordonner et unifier les politiques pétrolières des pays membres, stabiliser les marchés pétroliers pour sécuriser les revenus de ses membres ». Bien que proche de la définition standard d’un cartel – la maximisation d’un profit joint –, l’OPEP souffre depuis sa création de l’absence de mécanisme de compensation interne et d’incitations à respecter les quotas. Ces derniers, établis en fonction des réserves déclarées par les différents pays membres, ont historiquement fait l’objet de violentes luttes internes et autres tricheries.

L’OPEP réunit depuis sa création des pays aux caractéristiques fortement différenciées [8]. Cette hétérogénéité peut se lire à différents niveaux : réserves pétrolières, taille de la population, qualité des bruts produits (tableau n° 1). Les ratios de réserves sur production (R/P) sont ainsi très disparates : 11,9 ans pour l’Indonésie, autour de 20 ans pour l’Algérie et l’Angola, 63 ans pour l’Arabie saoudite et plus de 100 ans pour l’Iran, l’Irak et le Venezuela. Ils doivent toutefois être relativisés selon la population du pays. Ainsi, entre les géants démographiques indonésien (256 millions d’habitants), nigérian (près de 182 millions) et iranien (77 millions), le groupe des pays membres peuplés de plus de 30 millions d’habitants (Algérie, Irak) et ceux de moins de 10 millions d’habitants (Koweït, Libye, Qatar, Émirats arabes unis), il est aisé d’imaginer que les revendications de redistribution de la rente pétrolière puissent être différentes. Le croisement de ces éléments géologiques ou démographiques avec d’autres plus économiques – taux de chômage, solde de la balance courante, part du pétrole dans les recettes d’exportations –, politiques – type de gouvernement – ou religieux donne une vision disparate et peu unifiée du cartel. Le montant des réserves financières nationales influence également le comportement de production et la capacité d’adhésion aux décisions de l’OPEP. Sur ce dernier point, il existe un clivage important entre les monarchies du Golfe et les autres membres de l’organisation, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Koweït et le Qatar bénéficiant de réserves financières importantes et d’une population relativement plus faible.

La baisse des prix du pétrole observée depuis mi-2014 a provoqué un transfert de richesse des pays producteurs vers les pays consommateurs. Les premiers ont subi, dans leur ensemble, une double peine, l’effet prix se conjuguant à un effet volume en liaison avec le ralentissement des importations mondiales de pétrole, notamment chinoises. Certains pays producteurs (Venezuela, Nigeria), largement dépendants des recettes, ont également subi un effet de notations financières : la baisse des prix a induit un durcissement des conditions de crédits, voire même une hausse de leur probabilité de risques de défaut. Le département américain à l’Énergie (DOE) a estimé que les revenus d’exportations de pétrole des principaux membres de l’OPEP avaient atteint 404 milliards de dollars en 2015, contre plus de 750 milliards en 2014, soit une chute d’environ 46 % [9]. La baisse des prix du pétrole, combinée à une diminution du niveau des exportations globales, a ainsi conduit au niveau de revenus le plus faible depuis 2004. Les premières estimations pour l’année 2016 permettent d’envisager une nouvelle baisse des recettes d’environ 15 %. Ces chiffres expliquent les difficultés économiques de certains pays membres, qui ont enregistré un ralentissement marqué de leur croissance – voire une entrée en récession – dès 2015. La situation du Venezuela, qui combine crise politique et crise économique – produit intérieur brut (PIB) en chute de 6 %, inflation à plus de 150 % en 2015 –, paraît difficilement soutenable. Les cas du Nigeria et de la Libye sont également difficiles et leur situation sécuritaire respective – actes de sabotage sur les infrastructures pétrolières, activisme de Boko Haram au Nigeria ; guerre civile en Libye – ne fait qu’exacerber les problèmes économiques et sociaux. A contrario, l’Indonésie, pays importateur net, a vu sa facture pétrolière réduite de moitié – à 15 milliards de dollars – et sa croissance s’établir toujours autour de 5 %. Pour leur part, les Émirats arabes unis, dont les économies sont parmi les plus diversifiées des producteurs de pétrole, restent encore à l’abri d’un profond ralentissement conjoncturel.

La stratégie à double détente de l’Arabie saoudite

Entre attentisme et gain de parts de marché

La chute des prix observée entre 2014 et début 2016 s’est déroulée dans un contexte de transformation structurelle des marchés énergétiques internationaux. Parallèlement à la généralisation des politiques de transition énergétique au niveau mondial, le marché pétrolier a enregistré une profonde rupture avec l’accélération de la production d’hydrocarbures non conventionnels.

Lors de la réunion de novembre 2014, les principaux pays membres de l’OPEP ont décidé, sous l’impulsion de l’Arabie saoudite, de conserver les quotas de production établis durant l’année 2011, période au cours de laquelle les prix du pétrole s’établissaient autour de 100 dollars le baril. Cet attentisme constitue une surprise dans le contexte de baisse des prix observé sur le marché à cette période et une forme de rupture après plusieurs décennies d’une stratégie basée sur la défense des prix. Elle constitue également le versant économique des décisions prônées par l’Arabie saoudite. Elle s’est poursuivie, durant l’année 2015, par une « géopolitique de la vanne ouverte » [10] sur les marchés pétroliers. Cette dernière peut être considérée comme rationnelle de la part des pays de l’OPEP pour trois raisons : le gain de parts de marché perdues au profit des producteurs américains d’hydrocarbures et des autres producteurs de pétrole ; le découragement de l’investissement dans l’amont pétrolier au niveau mondial et en tout premier lieu dans les zones frontières (sables bitumineux au Canada, offshore ultra-profond) ; la stimulation de la croissance de la demande de pétrole à court terme permettant de limiter la progression des substituts aux produits pétroliers dans le secteur des transports et, plus globalement, de ralentir les stratégies de transition énergétique.

Dans un marché flexible, avec les États-Unis devenant le swing producer du marché mondial [11], toute réduction des quotas de l’organisation aurait sûrement été immédiatement suivie d’une perte de parts de marché au profit des producteurs d’hydrocarbures non conventionnels. En revanche, une telle baisse des quotas n’aurait certainement eu que peu de répercussions – au-delà de l’effet d’annonce lui-même – sur les prix du pétrole à moyen terme. Premiers visés car très flexibles, les producteurs américains ont vu leur activité se réduire à la suite de l’effondrement des prix. Selon le DOE, le nombre de puits de forage sur les principales zones de production a été divisé par cinq, pour atteindre environ 330 en juin 2016. Et, en juillet 2016, la production américaine de pétrole non conventionnel a atteint environ 4 millions de barils par jour (mbj), soit une diminution de 15 % par rapport à son pic de mars 2015. Si la baisse marquée des prix du pétrole n’a certes pas provoqué un effondrement de la production de pétrole aux États-Unis [12], elle a donc permis une inversion de la courbe de production américaine, en constante augmentation depuis 2008 [13].

Au niveau international, la baisse des prix du pétrole a provoqué une diminution marquée des dépenses en exploration et production (E&P), de plus de 20 % entre 2014 et 2015, tendance qui s’est poursuivie en 2016. Une décomposition géographique montre une baisse marquée des investissements aux États-Unis (-35 %), en Europe (-32 %) et en Russie (-20 %), alors que le Moyen-Orient, où sont localisés plus de deux tiers de la production de l’OPEP, enregistrait pour sa part une stabilisation. Ainsi la stratégie de l’OPEP pourrait-elle bien avoir comme vertu un rééquilibrage du marché mondial dans les années à venir. Certaines institutions bancaires (Morgan Stanley, UBS) estiment même que le marché pétrolier pourrait manquer d’environ 4 mbj en 2020 et anticipent déjà un retour des prix du pétrole autour de 100 dollars le baril. En créant un effet dépressif sur les prix, l’OPEP ne s’est pas uniquement attaquée aux producteurs indépendants américains, mais également aux projets pétroliers classiques. 2015 restera en effet une année exceptionnelle, marquée par le record de faiblesse de découverte de pétrole depuis 1947 – seulement 2,7 milliards de barils selon Wood Mackenzie [14] –, conduisant les acteurs pétroliers à ne remplacer que 6 % de leurs réserves.

Le mouvement de diminution des prix aura également permis une bonne tenue de la demande. En effet, alors que cette dernière enregistrait une progression moyenne de 0,9 % sur la période 2008-2013, des taux de croissance supérieurs à 1,5 % ont été observés depuis 2014. À court terme, la faiblesse des prix des produits pétroliers pourrait ainsi retarder la pénétration des motorisations alternatives dans le parc automobile mondial et rendre encore plus onéreuse la transition énergétique du secteur transport. En effet, dans un tel contexte, l’achat de nouveaux types de véhicules – électriques, hybrides, etc. – par le consommateur est peu stimulé, ces derniers ayant un coût plus élevé que les véhicules traditionnels.

En définitive, la politique initiée par l’Arabie saoudite peut L être perçue comme une véritable stratégie d’arbitrage intertemporel, l’organisation sacrifiant les prix à court terme, dans un environnement marqué par de profondes interrogations sur la croissance mondiale, au profit d’un long terme plus clément sur les marchés pétroliers. Cette stratégie est corroborée par les perspectives de renforcement du poids de l’OPEP à l’horizon 2035. Ainsi, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la part de marché de l’OPEP s’établirait autour de 50 % en 2040 [15].

Contrarier le retour de l’Iran sur la scène pétrolière

La politique menée depuis 2014 a particulièrement affaibli certains pays de l’organisation – Venezuela, Iran, Nigeria –, dont la richesse en pétrole par tête est bien moindre que celle des monarchies du Golfe. Depuis la réunion du mois de décembre 2015, qui a confirmé la politique de production intensive des différents pays membres de l’OPEP, la composante politique a pris le pas sur la stratégie économique. Si la décision historique de novembre 2014 visait clairement à exclure du marché les producteurs américains d’hydrocarbures non conventionnels, celle intervenue un an plus tard était un message clair envoyé en interne à l’Iran et en externe aux pays producteurs non membres, en premier lieu la Russie. L’accord intervenu durant l’été 2015 entre la communauté internationale et l’Iran sur la question du nucléaire a, en effet, redistribué les cartes, replaçant la République islamique au centre des décisions internationales d’investissement. Membre historique de l’organisation, dont il est le deuxième producteur, mais sous embargo depuis 2012, l’Iran avait observé une érosion marquée de sa production et de ses parts de marché par rapport à leur pic de 2007 [16], une situation qui a largement profité à l’Arabie saoudite. Son retour contrecarre la stratégie du premier producteur du cartel de regagner des parts de marché, l’Iran possédant des capacités de production inutilisées très importantes. La guerre des prix déclarée au niveau mondial permettait ainsi à l’Arabie saoudite de contrarier le retour de l’Iran sur les marchés. En outre, cet élément contrariait également l’élan observé depuis 2009 dans la production pétrolière irakienne et, plus globalement, de l’Irak sur les marchés.

Une attractivité renouvelée

La période actuelle est riche d’enseignements pour l’OPEP. Celle-ci, malgré son incapacité à stabiliser le marché, vient de connaître une année particulièrement fertile puisqu’entre décembre 2015 et juillet 2016, elle a étudié – et accepté – les demandes de réintégration de l’Indonésie et du Gabon. Depuis le 1er juillet 2016, l’OPEP compte ainsi 14 membres, un chiffre jamais atteint depuis sa création. Ces deux cas sont assez emblématiques de la capacité d’attraction de l’organisation et des changements structurels qui la caractérisent.

Membre de l’OPEP dès 1962, l’Indonésie l’avait quittée en 2009, soit cinq ans après être devenue importatrice nette. Avec une production d’environ 0,85 mbj, elle se retrouve aujourd’hui dans le peloton de queue des producteurs du cartel, avec l’Équateur (0,55 mbj), le Qatar (0,67 mbj), la Libye (0,4 mbj) et le Gabon (0,23 mbj). Disposant de 0,2 % des réserves de pétrole mondiales, d’à peine 0,3 % des réserves totales de l’OPEP et d’une production en baisse de 3 % entre 2014 et 2015, le pays ne peut espérer peser sur la politique des autres États membres. En vingt ans, le poids de ses seules réserves dans le cartel a été divisé par deux. Son retour dans l’OPEP est synonyme d’un accès direct aux plus grands pays exportateurs mondiaux, parmi lesquels l’Arabie saoudite, qui répond à près de 26 % de ses besoins, le Nigeria (15 %), les Émirats arabes unis (5 %), le Qatar (4 %) et l’Angola (4 %). L’Indonésie pourrait ainsi assurer, au meilleur prix, une part importante de la composante pétrolière de sa sécurité énergétique. Son objectif est également d’attirer de potentiels investisseurs sur son territoire, notamment certains membres de l’organisation.

La réintégration de l’Indonésie redonne à l’OPEP une production globale de 37,7 mbj, soit environ 42 % de la production mondiale de pétrole, contre 41 % auparavant. N’étant plus exportatrice, l’Indonésie ne pourra concurrencer les autres pays membres sur leurs marchés traditionnels, un facteur qui permet de comprendre la faible opposition à son retour dans le cartel. En outre, les perspectives énergétiques qu’offrent à la fois l’Indonésie et les autres pays de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean) dans les années à venir ont sûrement guidé le choix des membres de l’OPEP. Selon l’AIE, la demande d’énergie primaire des pays de l’Asean devrait en effet progresser de près de 80 % d’ici 2040 [17]. Plus grand consommateur d’énergie de l’Asie du Sud-Est – près de 36 % de la consommation d’énergie primaire de la région –, Jakarta pourrait ainsi être une véritable tête de pont pour les nouveaux marchés des pays membres de l’OPEP. Parallèlement à l’Indonésie, qui devrait afficher une hausse de sa consommation pétrolière de 1,1 % par an jusqu’en 2035, la Thaïlande (+1,9 %), les Philippines (+3,4 %) ou la Malaisie (+1,6 %) constituent de futurs marchés potentiels. Estimée à environ 57 % en 2013, la dépendance pétrolière de l’Asean pourrait en effet atteindre près de 79 % en 2040, soit un volume net d’importations de plus de 6,7 mbj. Une véritable aubaine pour les pays de l’OPEP, pour qui la réintégration de l’Indonésie constitue incontestablement une porte d’entrée vers de nouveaux marchés porteurs. Réinstitutionaliser cette relation peut aussi apparaître comme l’occasion de sécuriser l’ensemble des flux pétroliers vers l’Asie à travers le détroit de Malacca. Véritable carrefour stratégique entre le Golfe et les principaux pays consommateurs d’Asie (Chine, Japon, Corée du Sud), celui-ci voit transiter environ 15,2 mbj, soit près de 30 % des flux pétroliers mondiaux.

Concernant le Gabon, la situation est plus « traditionnelle ». En effet, le pays a produit 0,23 mbj en 2015 – 0,3 % de la production mondiale –, dont il a exporté plus de 80 %. Cinquième producteur d’Afrique subsaharienne, il est, à l’heure actuelle, le plus petit de l’OPEP et le pétrole représente plus de 90 % de ses exportations et 56 % des revenus de l’État. Après près de vingt ans au sein du cartel, le Gabon avait décidé de le quitter en 1995, en raison du refus de celui-ci de diminuer le montant de sa cotisation annuelle [18]. Son retour en 2016 ne changera fondamentalement l’équilibre ni du marché pétrolier ni au sein de l’OPEP. Dans son bulletin d’août 2016, celle-ci soulignait son caractère multilatéral, la nécessaire diversité des pays membres et insistait sur l’avenir du futur leader régional gabonais. Pour le Gabon, le retour au sein de l’OPEP peut se lire comme une volonté de réintégrer un groupe partageant les mêmes problématiques en matière de prix du pétrole. En outre, et comme pour l’Indonésie, ce retour offre sûrement la possibilité au Gabon d’accélérer la transformation du secteur sur le plan domestique et de stimuler l’investissement dans la production pétrolière en mettant en concurrence les compagnies internationales traditionnelles avec les compagnies nationales des pays de l’OPEP.

Vers une nouvelle OPEP ?

Véritable organisation économique et géopolitique, l’OPEP vit donc depuis quelques années de profondes transformations internes et externes. Menée par l’Arabie saoudite, la politique de gains de parts de marché s’accompagne d’un objectif politique censé contrarier le retour de l’Iran sur la scène pétrolière mondiale. Fin septembre 2016, le cartel a pourtant encore surpris les marchés en annonçant une diminution de 2 % de sa production et en cherchant parmi les producteurs non-OPEP, Russie en tête, un nouvel axe de coopération.

Historiquement, le cartel a toujours su s’accommoder des relations conflictuelles entre ses membres, le paroxysme ayant été atteint lors de la guerre Iran-Irak (1980-1988), période durant laquelle les deux pays siégeaient à la même table au sein de l’OPEP. Plus intéressant est le pouvoir d’attraction de l’organisation plus de cinquante ans après sa mise en place : le retour de l’Indonésie et du Gabon témoigne à la fois de son dynamisme, mais également de son incapacité à stabiliser les prix. Pour l’Indonésie comme pour le Gabon, c’est une assurance d’accès à un réseau de pays exportateurs de pétrole et, pour les pays membres de l’organisation, un pari économique sur l’avenir énergétique de certaines régions. Derrière ces retours se cache peut-être également une évolution plus structurelle : plus qu’une organisation de pays exportateurs, et après avoir perdu progressivement la capacité à fixer le prix du pétrole dans les années 1980, l’OPEP risque à terme de ressembler de plus en plus à un grand forum international du pétrole, une « Agence internationale de l’énergie des pays du Sud » en quelque sorte. Cette transformation prendrait tout son sens à l’heure où certains de ses membres – Arabie saoudite, Émirats arabes unis – ont lancé de profondes transformations de leurs modèles énergétiques en misant sur les énergies renouvelables ou sur une diversification structurelle de leurs activités.


  • [1] IFP Énergies Nouvelles, 1-4 av. de Bois-Préau, 92852 Rueil-Malmaison, France.
  • [2] Les pays du Moyen-Orient appartenant à l’OPEP représentent 66,5 % des réserves globales de l’organisation. BP, BP Statistical Review of World Energy, Londres, juin 2016.
  • [3] Voir Amy Myers et Ed Morse, « The End of OPEC », Foreign Policy, 2013 ; et Anas Alhajji, « The death of OPEC », Project Syndicate, 2016.
  • [4] La Standard Oil of New Jersey, l’Anglo Iranian et la Shell ont signé, le 17 septembre 1928, l’accord d’Achnacarry, qui stipulait un partage des marchés et des informations de production, ainsi que de nouvelles modalités de détermination des prix. Cet accord, assimilé à l’acte de naissance officiel du cartel des sept sœurs, a été, par la suite, signé par Mobil Oil, la Standard Oil of California, Gulf Oil et Texaco. Une huitième sœur, la Compagnie française des pétroles (CFP), se joindra plus tard au groupe. Voir notamment Daniel Yergin, The Prize, Londres, Simon & Schuster, 1991.
  • [5] Voir Emmanuel Hache, « L’OPEP, les compagnies internationales, les compagnies nationales : qui gouverne la scène pétrolière mondiale ? », La Revue de l’énergie, n° 629, janvier-février 2016.
  • [6] Si l’histoire retient l’OPEP comme principal initiateur du premier choc pétrolier, ce n’est pas l’organisation en tant que telle qui décréta la hausse subite des prix du pétrole, mais les pays de l’organisation des pays arabes exportateurs de pétrole (OAPEC) en tant qu’États souverains.
  • [7] Voir Robert Mabro, « Les dimensions politiques de l’OPEP », Politique étrangère, vol. 66, n° 2, 2001.
  • [8] Voir Vincent Bremond, Emmanuel Hache et Valérie Mignon, « Does OPEC still exist as a cartel ? An Empirical Investigation », Energy Economics, vol. 34, n° 1, janvier 2012.
  • [9] US Energy Information Administration, « OPEC Revenues Fact Sheet », 14 juin 2016.
  • [10] Emmanuel Hache, « La géopolitique de la vanne ouverte », Tribune, IRIS, 27 décembre 2015.
  • [11] Entre 2009 et 2013, les États-Unis ont alimenté le marché pétrolier avec plus de 3 millions de barils par jour supplémentaires, soit l’équivalent de la seule production de l’Irak.
  • [12] De nombreuses explications peuvent être données pour expliquer cette relative résistance de la production de pétrole non conventionnel aux États-Unis : réduction des coûts, progrès technique, couverture financière des acteurs, etc. Toutefois, depuis la fin de l’année 2015, on dénombre une multiplication des faillites des acteurs aux États-Unis.
  • [13] En 2008, les États-Unis produisaient moins de 0,5 mbj de pétrole non conventionnel, contre un pic de 4,6 mbj en mars 2015. US Energy Information Administration, op. cit.
  • [14] Mikael Holter, « Oil Discoveries At A 70-Year Low Signal A Supply Shortfall Ahead », Bloomberg, 30 août 2016.
  • [15] AIE, World Energy Outlook, Paris, Éditions OCDE, 2015.
  • [16] En 2007, la production de pétrole brut de l’Iran a atteint près de 4 mbj, contre moins de 2,7 mbj en 2013. En 2015, selon l’AIE, la production iranienne s’est établie à environ 2,9 mbj.
  • [17] AIE, Southeast Asia Energy Outlook, Paris, IEA Publications, 2015.
  • [18] Selon le New York Times du 9 janvier 1995, la contribution des membres s’établissait à 1,79 million de dollars. La cotisation n’étant pas proportionnelle à la production, le Gabon, plus petit producteur de l’OPEP, se sentait lésé par rapport aux autres pays producteurs. Or, pour des raisons d’équité budgétaire et de droits de vote, les autres membres de l’OPEP avait refusé une modification des statuts.