L’intérêt national britannique de la Seconde Guerre mondiale au « Brexit » / Par Anne Deighton

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  • Anne Deighton

    Anne Deighton

    Professeur émérite à l’Université d’Oxford (Wolfson College).

La notion d’intérêt national renvoie à une approche réaliste des relations internationales. Elle suppose que l’on puisse définir le « national » comme la fusion des intérêts économiques, sectoriels, régionaux et religieux au sein d’un même pays. En faisant appel à l’intérêt national, les hommes politiques cherchent à donner de la substance à leurs discours. Le terme leur permet de faire référence à de grandes idées et autres stratégies, ainsi que d’évoquer une représentation du pouvoir national, plutôt que d’apporter un éclairage sur la politique étrangère ou sur la gestion des affaires courantes. La notion peut être – et a déjà été – appliquée aux domaines militaire, politique et économique, notamment dans le contexte de l’autarcie. En outre, son invocation est plus communément associée à des périodes de guerre ou de crise majeure, et au besoin qui en découle pour un gouvernement de mobiliser et rassembler derrière lui l’ensemble des forces et intérêts du pays.

La notion est couramment employée depuis la création de l’État-nation, mais l’interprétation de sa signification a évolué avec le temps. Il s’agit d’une expression plus puissante que celles d’« intérêt du gouvernement » ou d’« intérêt militaire ». Elle suppose aussi certainement davantage de profondeur que son équivalent français, la « raison d’État ». Dans une perspective réaliste, le terme « national » implique ainsi la plus haute incarnation des valeurs, de la culture et des aspirations d’un pays, et ce, d’une manière plus large et plus inclusive que le mot « État ». Les termes « État » et « nation » portent tous deux une même référence implicite à la souveraineté d’un pays et à la capacité de son gouvernement d’agir à sa guise, sans être entravé par des contraintes internes ou externes. L’intérêt national implique aussi un accord et un consensus nationaux autour des actions de l’État qui visent à promouvoir son rôle ou à tenir son rang dans un système international anarchique.

L’approche de l’intérêt national est traditionnellement liée à une approche des relations internationales renvoyant, pour certains universitaires, à la métaphore des « boules de billard » [1]. L’État-nation y est défini et traité comme un acteur unitaire plus influent que la « toile d’araignée » [2] des relations nationales et transnationales, considérée par d’autres comme importante pour la compréhension de la politique étrangère [3]. Le terme permet donc de distinguer le national des affaires courantes, infranationales ou sectorielles, mais également de le mettre en opposition par rapport à l’international et au supranational. Par exemple, l’American Center for the National Interest et le magazine The National Interest se proclament conservateurs, réalistes, largement hostiles aux interdépendances internationales et conçoivent la force militaire comme le prolongement d’une politique étrangère stratégique [4].

Évolution de la fonction de la notion d’intérêt national dans la politique étrangère britannique

Guerre et crise forment la toile de fond du déploiement de la notion d’intérêt national en relations internationales. C’est en effet en temps de guerre que le terme a pris tout son sens et a eu sa plus grande utilité, puisqu’il est le but ultime du gouvernement de chaque État-nation souhaitant protéger l’intégrité géographique, politique et culturelle du pays. Ainsi le principe de défendre l’intérêt national contre une agression extérieure constitue-t-il probablement l’une des plus simples idées politiques, en ce qu’il touche à la défense de l’existence même de l’État-nation.

Cela a des conséquences pratiques sur l’exercice de la politique. En temps de guerre, les dirigeants britanniques ont ainsi été amenés à limiter les libertés pour lesquelles ils prétendaient se battre. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, les pouvoirs d’urgence du gouvernement de coalition conduit par le Premier ministre Winston Churchill furent très étendus. Le processus électoral fut suspendu pour la durée de la guerre. Ernest Bevin, ministre du Travail, eut un contrôle presque illimité sur la gestion de la main-d’œuvre afin d’obtenir les meilleurs résultats pour servir l’effort de guerre et maintenir l’économie. L’on mesure la confiance placée en lui pour qu’il n’use pas de ces pouvoirs plus largement que nécessaire.

Entre 1939 et 1945, le secret entourant la poursuite de la guerre fut une autre caractéristique importante de ce qui, selon la coalition, allait dans le sens de l’intérêt national. La confidentialité s’étendait à la plupart des aspects du conflit, bien au-delà des questions purement militaires. En témoigne un échange à la Chambre des communes entre le Premier ministre Winston Churchill et le commandant King-Hall : « W. Churchill : Une petite direction spéciale pour la conduite de la guerre devrait être établie […] Cette direction a déjà entamé ses travaux, mais toute déclaration publique concernant son personnel ou la nature de ses activités serait contraire à l’intérêt national.

– Commandant King-Hall : […] à quel ministre des questions doivent être posées sur le sujet ?

– W. Churchill : Il ne peut y avoir de questions sur les affaires secrètes. » [5]

Cette position fit l’objet d’un large consensus transpartisan, l’éventuelle opposition d’un parti politique étant évidemment rendue difficile par le fait que le gouvernement était alors un gouvernement de coalition.

Durant la plus grande partie de la période d’après-guerre, il était généralement admis que les grandes questions de politique étrangère devaient être traitées de façon secrète et que cette même politique ne pouvait faire l’objet d’un débat trop important entre les différents partis politiques, car il s’agissait d’une politique nationale devant se situer au-dessus du débat politique (« securitised »). L’ensemble de la politique étrangère était ainsi largement considéré comme étant dans l’intérêt national – bien que celui-ci ne soit pas explicitement défini –, et donc au-dessus des querelles partisanes. Si des sessions d’information privées étaient alors dispensées aux leaders de l’opposition, le consensus bipartisan a constitué, après 1945, une caractéristique traditionnelle de la politique étrangère britannique.

La culture du secret s’appliquait également aux questions atomiques. Les armes nucléaires britanniques furent ainsi développées à partir de 1947 dans l’intérêt national et dans le secret complet et total à l’égard du Parlement, des citoyens et de la presse. W. Churchill, de nouveau Premier ministre, déclarait ainsi à la Chambre des communes en 1954 : « Il n’existe aucun accord concernant l’échange d’informations sur la conception ou la production d’armes nucléaires. Nous développons notre programme atomique, civil et militaire de la façon que nous jugeons appropriée et comme l’intérêt national l’exige » [6].

Le Royaume-Uni et la construction européenne

Compte tenu des événements historiques ayant cours au Royaume-Uni depuis le milieu de l’année 2016, il importe d’évoquer les interprétations de l’intérêt national pour la politique étrangère du Royaume-Uni envers l’Union européenne (UE) dans le contexte du « Brexit ». Le Royaume-Uni a toujours été réticent face aux principes supranationaux de gestion des institutions de coopération internationale. Depuis 1948, il privilégie les institutions intergouvernementales – le pays fut d’ailleurs responsable de l’insertion du Comité des ministres des États membres dans la structure du Conseil de l’Europe. Le Royaume-Uni a refusé de participer aux premières étapes de la Communauté européenne (CE) à partir de 1950 (plan Schuman), en ce que celle-ci, puis les institutions de la Communauté économique européenne (CEE) développées par la suite saperaient sa souveraineté, et donc son intérêt national. Et si le visage politique et culturel de l’intégration européenne s’est développé au cours des soixante dernières années, cet état d’esprit britannique n’a, quant à lui, évolué que très lentement. Les deux grands partis politiques, le Parti travailliste et le Parti conservateur, étaient et restent divisés sur la question européenne. Les principaux votes parlementaires en la matière ont toujours reflété ces fractures au sein des deux camps. Il s’agit d’une différence notable par rapport à la position à l’égard de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), qui dispose pour sa part d’une structure de prise de décision plus souple impliquant les États-Unis, et qui a toujours fait l’objet d’un soutien bipartisan quasi total.

Comment les Britanniques pouvaient-ils dès lors percevoir l’intégration, la paix et la réconciliation européennes – et le projet de croissance économique associé – comme contraires à leur intérêt national et à leur propre souveraineté ? En 1946, au début de la grande phase de construction des institutions internationales, Winston Churchill reconnaissait déjà ce dilemme dans un discours resté célèbre évoquant le rôle du Royaume-Uni aux Nations unies : « La relation spéciale entre les États-Unis et le Royaume-Uni serait-elle incompatible avec notre loyauté primordiale à l’égard de l’organisation mondiale ? Je répondrai qu’au contraire, c’est peut-être le seul moyen de permettre à cette organisation d’atteindre sa pleine grandeur et sa pleine puissance. Il y a déjà la relation spéciale entre les États-Unis et le Canada […]. Les Britanniques entretiennent avec le Portugal une alliance ininterrompue depuis 1384 […]. Aucune de ces alliances n’est en contradiction avec un accord mondial et une organisation mondiale ; au contraire, elles leur sont favorables. “Dans la maison de mon père, il y a beaucoup de demeures”. » [7]

W. Churchill voyait dans la coopération nationale et internationale et l’organisation internationale la possibilité de renforcer le pouvoir national, à plus forte raison qu’il s’agissait d’un système intergouvernemental. Cependant, dans les années 1940 et 1950, il n’était pas favorable à une participation britannique précoce à l’intégration européenne. Il était alors considéré dans l’intérêt national du Royaume-Uni de soutenir cette intégration supranationale continentale, mais de ne pas y prendre part. Cette ambivalence à l’égard du phénomène d’intégration et du rôle du Royaume-Uni au sein d’institutions supranationales telles que la CEE a duré jusqu’en 1961, date à laquelle les conservateurs ont demandé l’adhésion à la Communauté européenne, s’en trouvant de facto exclus jusqu’au retrait du général de Gaulle du pouvoir en France, en 1968. Après 1970, le Premier ministre conservateur Edward Heath reformula la question, l’inscrivant dans le cadre du déploiement pratique de la souveraineté dans l’intérêt national : « Pour être utile et valable, la souveraineté doit être efficace. Nous devons décider si cette [adhésion à la Communauté européenne] est la manière la plus avantageuse d’user de la souveraineté de notre pays. La souveraineté appartient à chacun de nous […] En adhérant, nous prenons un engagement qui implique notre souveraineté, mais […] nous avons l’occasion d’influencer ses décisions à l’avenir. » Il soutenait que l’intérêt national du Royaume-Uni exigeait désormais de redéfinir la souveraineté, mais était réticent à le dire ainsi aux électeurs. Il promit qu’« il [n’était] pas question de voir la Grande-Bretagne perdre l’essence de sa souveraineté », quand certains craignaient que « [le pays pourrait], en quelque sorte, sacrifier indépendance et souveraineté. Ces craintes, inutile de le dire, sont complètement injustifiées ». Car « à l’intérieur de la Communauté, chacun de nous demeurera fièrement attaché à son identité nationale et aux réalisations accomplies au cours de son histoire nationale selon ses propres traditions. Mais, en même temps, et l’élargissement de la Communauté le prouve avec évidence, nous avons tous pris conscience de notre héritage commun de peuples européens, de l’interdépendance de nos intérêts et de notre destin européen. » [8] Il était désormais dans l’intérêt national du Royaume-Uni d’être membre de la Communauté européenne.

Deux ans après que le Royaume-Uni en fut devenu membre, le référendum de 1975 a donné une légitimité au maintien du pays dans la CE. Il faut toutefois noter que l’organisation de ce référendum était d’emblée biaisée pour atteindre un tel résultat. La consultation a, en outre, contribué à une division majeure du Parti travailliste au cours de la décennie suivante. L’hostilité des parlementaires travaillistes s’expliquait alors en partie par le caractère « capitaliste » de la Communauté, mais également par des raisons essentielles liées à la préférence nationale. Dans le contexte de la question européenne, les frontières entre intérêt national et nationalisme ont, en effet, toujours été très minces.

Plus tard, la Première ministre Margaret Thatcher a opéré une distinction entre marché libre, protection des frontières – contre le terrorisme – et intérêts commerciaux en évoquant la Communauté européenne comme une famille de nations parlementaires qui ne devrait pas affaiblir la souveraineté nationale [9]. Au moment du traité de Maastricht, ce dilemme n’a plus pu être ignoré. Les clauses d’opting out et le traitement spécial de l’intérêt national du Royaume-Uni se sont alors ancrés dans le tissu des négociations et des décisions communautaires. Ce dilemme est à présent à la racine de ses problèmes actuels, bien que les distinctions entre intérêt national et nationalisme redeviennent dangereusement floues : le débat s’est déplacé dans une direction très différente, et le scepticisme auparavant bénin entourant le phénomène d’intégration supranationale est désormais contrebalancé de façon agressive, et probablement régressive.

23 juin 2016

Le 23 juin 2016 fut l’instant culminant d’un débat qui a dominé la politique britannique à l’égard de l’Europe de l’Ouest depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Au cours d’un référendum convoqué par le Premier ministre conservateur David Cameron, les électeurs britanniques se sont prononcés en faveur de la sortie de l’UE par environ 52 % contre 48 % des suffrages exprimés. Les « Brexiteers » – favorables à la sortie du Royaume-Uni –, ainsi qu’ils furent habilement nommés, ont totalement déjoué les plans des « Remainers » en parvenant à toucher un profond courant de mécontentement général à l’égard des élites, doublé d’une peur populiste de « l’Autre » – les 52 % furent souvent qualifiés de « laissés pour compte ». La participation fut très élevée (72 %), et le référendum a produit la plus grande tempête politique britannique depuis de nombreuses décennies, plaçant la notion d’intérêt national au cœur du débat.

Ayant déclaré qu’il respecterait l’issue de ce référendum bien que celui-ci était techniquement consultatif, D. Cameron a démissionné à l’annonce des résultats, sans toutefois appeler à la tenue d’élections générales. La nouvelle Première ministre conservatrice, Theresa May, une – prudente – « Remainer » qui n’a pas joué un rôle significatif au cours de la campagne, a donc bénéficié de ce vote comme d’un mandat. D’où le mantra sans cesse répété de « Brexit means Brexit », qui donne la priorité au résultat du vote.

Pourquoi ce coup de théâtre se situe-t-il au cœur de la question de l’intérêt national ? D’abord, parce que la totalité des intérêts britanniques peuvent se trouver radicalement réorganisés à la suite de ce référendum. Certes, le pays n’est pas en guerre, mais le virage stratégique est plus significatif que celui qu’avait représenté l’adhésion à la Communauté européenne en 1973, quand la taille, la portée et l’importance de celle-ci étaient beaucoup plus réduites. De plus, il s’agit véritablement d’une question qui touche tous les Britanniques, toutes les régions du pays et l’ensemble de ses intérêts sectoriels et commerciaux. L’on peut donc dire que l’intérêt national dans sa conception la plus large est en jeu.

Ensuite, parce que les débats politiques ont révélé une autre question d’importance cruciale relative à l’intérêt national dans la conduite de la politique étrangère, à savoir comment mesurer l’intérêt national ? La valeur du résultat du référendum dépasse-t-elle celle d’une élection parlementaire ? La majorité était-elle trop faible pour être acceptable – le Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP) n’a-t-il pas déclaré qu’il n’aurait pas accepté le résultat du vote si la proportion 52-48 avait été inversée ? Un vote référendaire devrait-il donner au gouvernement le droit d’agir sur prérogative royale, plutôt que par le biais d’une prise de décision parlementaire collective ? Un vote référendaire pourrait-il faire l’objet d’un « second essai » – un réexamen lorsque les conditions de sortie de l’UE seraient connues ? Comment les parlementaires devraient-ils réagir à un tel vote quand leurs opinions ne correspondent pas à celles des électeurs de leur circonscription ? Alors qu’elle mène le Royaume-Uni hors de l’UE mais qu’elle est élue d’une circonscription qui a voté en faveur du « Remain », la Première ministre Theresa May a déclaré qu’elle concevait son rôle comme un rôle de « représentant », et non de « délégué », un point de vue que beaucoup de ses collègues ne sont pas capables d’accepter [10].

Cette prise de conscience par les deux camps que l’intérêt national est en jeu à la fois dans son acception la plus large et dans sa définition populiste se reflète dans les débats à la Chambre des communes et à la Chambre des lords depuis juin 2016. David Davis, député qui a hérité du titre étrange de secrétaire d’État à la sortie de l’Union européenne, a joué un rôle actif dans le débat sur les procédures de sortie de l’UE à la Chambre des communes. Il a sous-entendu que de telles négociations étaient, par essence, comparables à la guerre et, par conséquent, qu’il était dans l’intérêt national qu’elles restent secrètes : « J’ai beaucoup réfléchi à la manière dont nous devons parvenir à rendre des comptes tout en préservant l’intérêt national […] Je me suis engagé à ce que les parlementaires britanniques soient au moins autant informés que le Parlement européen […] J’ai déclaré à plusieurs reprises que nous fournirions autant d’informations que possible – sous réserve, encore une fois, de ne pas porter atteinte à l’intérêt national. Il s’agit d’un engagement considérable, mais qui doit se réaliser d’une façon qui ne compromette pas la négociation […] Gardons à l’esprit ces objectifs stratégiques et le fait que révéler les détails de notre position ou préjuger des négociations ne peut être dans l’intérêt national. » [11] Il a également fait valoir que « le shadow cabinet [composé de députés du Parti travailliste] n’est même pas capable de décider s’il choisit de respecter la volonté du peuple », ce qui nous ramène à la relation, dans une démocratie, entre les élus et un vote référendaire reflétant l’intérêt national.

Les partisans de la sortie du Royaume-Uni de l’UE tout autant que ceux de son maintien prétendent incarner, de façons différentes, l’intérêt national. Les premiers font valoir que l’intérêt national se reflète dans le résultat majoritaire du vote référendaire. Les seconds prétendent que ce résultat sera fondamentalement destructeur à tous les niveaux de la société, et donc pour l’intérêt national dans son acception la plus profonde, s’agissant aussi bien de la politique étrangère future que des intérêts économiques et culturels. Cela pourrait également conduire à l’éclatement du Royaume-Uni, les électeurs nord-irlandais et écossais ayant majoritairement voté en faveur du maintien dans l’UE. Les « Remainers » soutiennent, en outre, que les électeurs ont été mal informés sur l’Union et les conséquences de sortie, et que les deux camps leur ont menti durant la campagne, à coups d’exagérations concernant les bons et les mauvais effets, et que le scrutin s’apparente essentiellement à un vote de protestation contre le statu quo général. Ainsi remettent-ils en cause la validité même du référendum, en dépit de la majorité numérique ayant voté en faveur de la sortie de l’UE.

Les orientations futures restent pour l’heure extrêmement floues. Devrait-il y avoir un nouveau référendum ? Dans une démocratie mûre, cette option devrait en effet être sur la table sur une question cruciale d’intérêt national. Ou bien le Parlement devrait-il avoir le dernier mot sur ce qui est négocié, se plaçant alors comme l’arbitre final de ce qu’est l’intérêt national ? En tout état de cause, et dans ce cas tout à fait unique, il est clair que les interprétations de cet intérêt national ont été au premier plan du débat, et ce, d’une façon tout à fait nouvelle pour les Britanniques : référendum contre vote parlementaire, questions de politique nationale contre questions de politique étrangère, majorité numérique contre arguments politiques et économiques, élites contre élites. Il s’agit là du reflet profond d’un nouveau type de politique, d’abord dans le sens « intermestique » – mélange de politique étrangère / internationale et domestique. Car l’adhésion du Royaume-Uni à l’UE ne concerne pas sa seule politique étrangère. Ensuite, le nivellement de la société par les réseaux sociaux, les tweets et la place prépondérante prise par Internet, et surtout sa capacité d’influence par des assertions et des déclarations « post-vérité », peut, lorsqu’il se conjugue à un vote populiste, donner naissance à une forme et à une interprétation entièrement nouvelles d’un intérêt national qui reste mal défini [12].


  • [1] « Billiard ball approach ».
  • [2] « Cobweb model ».
  • [3] L’« intérêt national » est également utilisé pour distinguer l’échelon national du sous-national, lorsque l’on observe la dimension nationale et les sous-groupes relatifs à l’organisation d’un pays. Cela inclut, entre autres, les intérêts régionaux et commerciaux, mais là n’est pas l’objet de cet article.
  • [4] Voir « About the National Interest », sur le site Internet de la revue : « A reflexive substitution of military might for diplomacy, of bellicose rhetoric for attainable aspirations, dramatically weakened rather than strengthened America’s standing around the globe. »
  • [5] House of Commons debates, vol. 374, cc. 293-5, 11 septembre 1941.
  • [6] This on the Quebec Agreement, House of Commons debates, col. 964, 1954.
  • [7] Winston Churchill, Discours de Fulton, Missouri, 5 mars 1946.
  • [8] Déclarations d’Edward Heath à la Chambre des communes en 1972 et dans son discours de Bruxelles du 22 janvier 1972.
  • [9] Margaret Thatcher, Discours au Collège de l’Europe, Bruges, 20 septembre 1988.
  • [10] Voir à ce sujet la page Facebook « Reasons2Remain », à la date du 27 novembre 2016, « My 15-minute encounter with the Prime Minister », https://www.facebook.com/Reasons2Remain/posts/342481772777865:0.
  • [11] House of Commons, Hansard, vol. 618, 7 décembre 2016.
  • [12] Pour revenir sur la campagne référendaire et ses conséquences, lire entre autres The New European, « The New Pop-Up Paper for the 48 », qui connaît un succès remarquable depuis juin 2016 ; The Constitution Unit, « Over 250 senior academics criticise deliberate campaign misinformation in EU Referendum », University College London ; « Letters : Both Remain and Leave are propagating falsehoods at public exepense », The Telegraph, 14 juin 2016 ; et « Art of the lie », The Economist, 10 septembre 2016.