Les symptômes méconnus du climat : un défi sanitaire mondial / Par Anne Sénéquier

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Jusqu’à récemment, un acteur de la santé se définissait comme un des piliers du système du même nom. On y incluait le personnel médical et paramédical, le ministère en charge de la santé, quelques industriels pharmaceutiques. Aujourd’hui, le champ s’élargit. C’est là peut-être toute la problématique : tout le monde est devenu acteur de santé. Le changement climatique, pour sa part, est un enjeu mondial aux conséquences déjà visibles, qui dépend des actions de chacun au quotidien, et non pas uniquement des politiques. Ainsi, tant la pollution des moteurs thermiques que les tonnes de plastique dans les océans rejaillissent aujourd’hui sur notre santé de manière certaine.

Rétrospectivement, les premières mesures que l’on pourrait qualifier aujourd’hui comme étant « écologiques » ont souvent eu une origine économique, et l’on peut dès lors remettre en question leur bon sens écologique, voire les qualifier de mesures écologiques pathogènes. Dans les années 1970, face au choc pétrolier, le Brésil, fort de son étendue de terres cultivables, a placé ses espoirs dans le biocarburant. Dans les années 2000, la hausse de la demande en biocarburant, et donc de leur rentabilité, a fini par déplacer les cultures vivrières et l’élevage du Cerrado vers l’intérieur des terres. Cette migration a engendré une déforestation de l’Amazonie et une hausse du prix des terres agricoles, qui s’est répercutée à son tour sur le prix des denrées consommables, conduisant à une pénurie alimentaire dans certaines régions. En outre, une étude publiée en 2015 remet en cause le bilan carbone des biocarburants de première génération – biodiesel et bioéthanol confondus : en prenant en compte le changement d’affectation des sols – dû à la culture –, elle annonce une hausse de 3,5 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport aux carburants fossiles [1]. Un premier désavantage qui rejoint celui de l’impact du développement des biocarburants sur le prix des matières premières. En une décennie, le cours du sucre – qui détermine celui du bioéthanol – a augmenté de plus de 100 dollars, passant de 294 dollars par tonne en 2008 à 401 dollars par tonne début 2018. Le prix du blé est également impacté par les biocarburants via un effet de substitution et via un impact sur les coûts des facteurs de productions agricoles [2]. Selon la Banque mondiale, une augmentation de 1 % des prix des principaux produits alimentaires entraîne une diminution de 0,5 % de la consommation calorique des plus pauvres. Quand le coût d’une denrée alimentaire augmente, les populations les plus pauvres ne peuvent que la remplacer par une autre, moins chère, moins riche et par conséquent moins nourrissante. Une mesure qui de prime abord semble pertinente du point de vue écologique se retrouve ainsi être un problème au niveau de la santé publique et du développement humain.

Les effets du changement climatique se faisant de plus en plus sentir, les arguments écologiques ont progressivement pris du poids dans les discussions internationales. L’attention s’est alors focalisée sur le carbone et la pollution qu’il engendre, et l’objectif est rapidement devenu de trouver une solution « verte » pour « sauver la planète ». En décembre 2017, à Paris, le One Planet Summit avait par exemple pour slogan une citation de Ban Ki-moon, ex-secrétaire général des Nations unies : « Il n’y a pas de planète B ». La préservation de la planète est devenue un objectif commun, avec en ligne de mire la limitation de l’augmentation de la température moyenne. Il faut cependant se souvenir qu’à de nombreuses reprises, la Terre a été plus froide ou plus chaude sans que cela ne lui pose un véritable problème. Le problème concerne en réalité davantage l’homme. Nous tentons de maintenir la vie telle que nous la connaissons, parce que, contrairement à la planète qui a encore des millénaires pour évoluer, nous n’avons, à l’échelle humaine, aucun moyen d’adaptation physiologique. Nous sommes donc contraints de lutter contre toute évolution qui pourrait remettre en question notre survie dans cet environnement. Aussi utopique que cela sonne, il sera toujours plus simple d’arriver à un développement durable neutre en carbone que d’adapter notre physiologie pour respirer du dioxyde de carbone (CO2).

Les trois axes qui unissent le changement climatique à la santé

La communauté médicale reconnaît trois axes distincts, mais néanmoins perméables, qui opèrent une relation de cause à effet entre le changement climatique et la santé : les maladies infectieuses, les catastrophes naturelles et les défis amenés par le changement climatique lui-même [3].

Les maladies infectieuses

Les maladies infectieuses impactées aujourd’hui par le changement climatique sont majoritairement le paludisme, la méningite, la dengue et les maladies diarrhéiques. Les cycles de reproduction des moustiques responsables du paludisme et de la dengue, mais aussi la survie et le taux d’attaque de ces moustiques sont hautement sensibles aux conditions climatiques : température, précipitations et taux d’humidité. Ces mêmes facteurs physiques ont un fort impact sur les maladies véhiculées par la nourriture et l’eau, comme le choléra et d’autres maladies diarrhéiques. Les épidémies de méningites sont, pour leur part, favorisées par des conditions climatiques chaudes et sèches. Disposer d’informations et d’un suivi de ces données climatiques permettrait d’avoir un temps d’avance sur le déclenchement des épidémies et ainsi préparer au mieux le système de santé des zones concernées. S’il est vrai que l’apparition de ces épidémies est fortement influencée par les conditions météorologiques, elles sont également liées à d’autres déterminants tels que la pauvreté, un défaut d’hygiène ou d’assainissement, un accès restreint à l’eau potable, une urbanisation mal ou non planifiée, etc. Le changement climatique agit ici comme catalyseur d’une problématique déjà présente, qu’il ne fait qu’aggraver.

Les catastrophes naturelles

La rencontre entre un aléa d’origine naturelle et des enjeux humains, économiques ou environnementaux se définit comme une catastrophe naturelle. Il en existe six grandes catégories : biologique (épidémie, invasion d’insectes), climatique (températures extrêmes, feux de végétation, sécheresse), géologique (séisme, glissement de terrain sec, éruption volcanique), hydrologique (glissement de terrain humide, inondation) et météorologique (tempête). Chacune d’entre elles peut porter atteinte de façon assez évidente à l’intégrité corporelle et provoquer des morbidités diverses et variées, même si l’on note une prépondérance des catastrophes climatiques et météorologiques – 80 à 90 % – au cours des deux dernières années. En 2016, les catastrophes naturelles ont ainsi provoqué 11 000 morts et 160 milliards de dollars de dégâts dans le monde [4]. La quasi-totalité de ces coûts est supportée par des foyers non assurés dans des pays à faible revenu, ce qui les plonge quasi systématiquement dans une situation de grande pauvreté. Dans des pays où les frais de santé sont financés à plus de 60 % – parfois même intégralement – par le patient lui-même, il est aisé de comprendre qu’une catastrophe naturelle a un impact considérable sur l’accès à la santé. Par ailleurs, les ouragans et tremblements de terre, en portant atteinte aux systèmes des eaux, peuvent engendrer un mélange des eaux propres à la consommation et des eaux usées qui implique une importante augmentation des maladies liées à l’eau et déclencher une épidémie de choléra. La même problématique se retrouve avec les inondations, qui contaminent les sources d’eau. Alors qu’en 2010 était atteint l’objectif du millénaire pour le développement (OMD) visant à diminuer de moitié le pourcentage de personnes n’ayant pas accès à l’eau potable, plus de 800 millions de personnes manquent toujours aujourd’hui de cette ressource essentielle. Autant de personnes sont donc encore vulnérables à toutes les pathologies liées à l’eau : maladies diarrhéiques, choléra, diphtérie, etc.

L’impact du changement climatique

Le changement climatique lui-même met en exergue certaines problématiques autrefois localisées qui gagnent en intensité : l’exposition aux ultraviolets (UV) solaires, les vagues de chaleur, l’augmentation de la concentration du pollen dans l’atmosphère et la pollution de l’air. Les problématiques sanitaires liées à ces phénomènes sont d’autant plus capitales qu’elles touchent, là encore, prioritairement les plus vulnérables, c’est-à-dire les enfants et les personnes âgées, populations dont la proportion est en constante augmentation au niveau mondial. Les pouvoirs irritant des pollens, par exemple, se trouvent renforcés par le changement climatique : son temps de présence dans l’atmosphère pendant l’année augmente, sa disponibilité physique est plus importante et son pouvoir irritant est accru par l’inflammation préalable du système respiratoire par la pollution inhérente à l’air. On constate ainsi un pouvoir multiplicateur de la pollution et du réchauffement climatique sur les effets pathogènes des pollens.

Cette pollution de l’air touche l’ensemble des pays. Elle est causée par une combinaison du faible contrôle des émissions de polluants émanant des énergies fossiles, tant au niveau local que global, mais aussi par la persistance d’un modèle ancestral de chauffe et de cuisine qui génère une pollution intérieure, aggravant les problématiques des pathologies pulmonaires et allergènes. En 2016, 77,2 % des 2 971 villes enregistrées dans la base de données sur la pollution de l’air de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) [5] dépassaient les limites recommandées [6] d’exposition annuelle aux particules fines. À Xingtai [7], en Chine, le taux de particules fines s’établissait par exemple à 128 microgrammes par mètre cube (g/m3), avec une norme établie à 10 g/m3 par l’OMS. Rappelons qu’en 2012, 11,6 % [8] de l’ensemble des décès mondiaux étaient associés à la pollution de l’air. Si cette pollution de l’air, qui impacte les capacités respiratoires et l’espérance de vie des citadins, occupe très souvent l’attention médiatique lorsqu’il est question d’impact de l’environnement sur notre santé, la médecine urbaine se caractérise surtout par un taux élevé d’anxiété, de dépression et autres « burn out ». La dépression est actuellement la première cause d’incapacité dans le monde. La santé mentale a donc, elle aussi, beaucoup à gagner d’un développement urbain plus vert. L’exposition aux UV, quant à elle, sort d’une considération touristique pour devenir une problématique à part entière. Au cours des quarante dernières années, la tendance accrue des peaux claires à s’exposer au soleil sans protection a entraîné un doublement du nombre de mélanomes malins tous les sept ans [9].

L’appropriation de la problématique climatique par les acteurs de la santé

Une prise de conscience des acteurs globaux traditionnels

Sur PubMed [10], on retrouve les prémisses d’articles sur le lien entre changement climatique et santé humaine au début des années 1990. Il aura tout de même fallu ensuite près de vingt ans pour que les instances internationales référentes sur les questions de santé globale se saisissent du sujet. C’est en 2008, à l’Assemblée mondiale de la santé (AMS), que les États membres de l’OMS demandent explicitement à l’organisation de mettre au point un plan de travail global pour « œuvrer à la protection de la santé des populations face au changement climatique ». L’OMS développe alors un plan de travail en quatre axes, approuvé dès 2009 : sensibilisation et mobilisation ; développement des partenariats ; promotion de la production de données scientifiques ; renforcement des systèmes de santé. Pour autant, aujourd’hui encore, moins de 1,5 % des crédits internationaux destinés à l’adaptation au changement climatique sont alloués à des projets conçus pour protéger la santé globale. Malgré les évidences scientifiques et médicales, la santé reste encore considérée comme un coût, et non comme un investissement pertinent.

Depuis 2015, l’OMS participe activement à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), à travers un groupe de travail qui poursuit un double objectif : appuyer et promouvoir les politiques ayant la double fonction de travailler sur le climat et la santé ; développer des profils de pays détaillés pour évaluer les risques et donner des conseils spécifiques aux États sur la façon dont ils peuvent s’adapter aux impacts sanitaires des changements climatiques et les atténuer. Dans le cadre de la CCNUCC, l’accent est mis, en 2018, sur les petits États insulaires qui, devant leur grande vulnérabilité au changement climatique – montée des eaux –, ont la volonté de montrer au monde que la voie d’un développement durable est possible, tant d’un point de vue écologique que sanitaire [11] et dans tous les contextes possibles, même les plus difficiles.

L’émergence de nouveaux acteurs globaux

Ainsi les acteurs historiques de la santé s’engouffrent-ils dans la problématique du changement climatique, avec parfois un retard certain par rapport à d’autres secteurs. La lourdeur administrative de certaines institutions étatiques ou internationales laisse la place à de nouveaux protagonistes, qui d’ailleurs ne sont pas forcément axés sur la santé, ce qui a un impact positif en permettant une certaine transversalité. L’initiative C40 Cities Climate Leadership Group, par exemple, travaille à réduire l’empreinte carbone des villes à travers le monde. Dans l’absolu, si bannir les moteurs à combustibles fossiles des zones urbaines est bénéfique pour limiter le réchauffement climatique, il l’est surtout pour la santé de chacun. L’actuelle politique de promotion des modes de transport en commun est légitimée par une volonté d’assainir et de désengorger les villes. Il faut y voir un avantage plus global et transversal : en limitant la pollution urbaine, il est également question de privilégier une activité physique plus importante de la part des usagers. Cette capacité à adresser une problématique de santé publique à travers les nouvelles politiques écologiques fait partie de la marque de fabrique de ces nouvelles entités : travailler à l’amélioration de la santé des populations à l’aide d’un urbaniste, d’un ingénieur, d’un agronome, d’un designer, d’un artiste. Métiers qui ont également la responsabilité de penser de manière globale et de participer au débat sur des questions qui, initialement, auraient pu ne pas les concerner. C’est en prenant le réflexe de la transversalité que l’on pourra répondre de manière efficace au challenge de l’adaptation au changement climatique et limiter son impact.

En novembre 2017, le C40 a estimé que la disparition, d’ici 2030, des véhicules à carburants fossiles dans les rues des villes participantes éviterait chaque année 45 000 décès prématurés au niveau international [12]. Ce chiffre est de 400 au niveau d’une ville comme Paris, soit en moyenne vingt et un jours d’espérance de vie en plus pour l’ensemble des habitants de la ville. Mais une fois de plus, on se borne à constater les bénéfices sanitaires d’une action dite écologique. Il est vrai que nombreuses sont les villes qui tentent des politiques dites de mobilité alternative, favorisant par exemple les déplacements à vélo. Cependant, les systèmes demeurent autocentrés et donnent aujourd’hui encore la priorité aux véhicules particuliers – et encore probablement demain à voir l’empressement des constructeurs automobiles à proposer des e-modèles, quitte à être à la limite du ridicule (certains modèles affichant 45 kilomètres d’autonomie). En privilégiant la marche et le vélo, plutôt que les véhicules électriques, c’est toute une problématique de santé publique que l’on pourrait améliorer à travers une politique transversale traitant à la fois de l’hypertension artérielle (HTA), de l’obésité, du diabète, de l’accident vasculaire cérébral (AVC) ou encore de l’infarctus du myocarde (IDM), et ainsi gagner non pas vingt et un jours d’espérance de vie, mais plusieurs années.

Le cas de la France

Au niveau français, le changement climatique ne fait actuellement pas partie des grands dossiers du ministère des Solidarités et de la Santé, mais le sujet est traité dans le plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC), entré en vigueur en 2011 et qui évoque la santé parmi 19 autres thématiques. En 2016, la feuille de route gouvernementale pour la transition écologique a été établie. Elle a pour but de mettre en œuvre les engagements pris durant la COP21, et regroupe toute une série de mesures qui touchent à la santé sous l’appellation « Préserver les milieux afin d’améliorer le cadre de vie et la santé de tous ». Il y est question de lutter contre les antibiorésistances, de développer la recherche en santé-environnement, de limiter l’exposition des populations aux substances chimiques préoccupantes comme les produits phytopharmaceutiques, les perturbateurs endocriniens et les nanomatériaux. Cela n’a pas empêché l’Union européenne (UE) de prolonger la licence d’utilisation du glyphosate pour les cinq prochaines années, l’Allemagne ayant fait basculer le vote en ce sens au dernier moment. Pour autant, le gouvernement français maintient ses convictions et a demandé à son ministère de l’Agriculture de trouver une solution dans les trois ans à venir. Illustration patente de la distance entre la théorie et le principe de réalité.

De son côté, le Conseil national de l’Ordre des médecins s’empare de la thématique « impact sur la santé du changement climatique » via des consignes aux praticiens de participer à la sensibilisation des patients, mais aussi des organisations médicales et des politiques. Si une prise de conscience commence à émerger, aujourd’hui comme hier la médecine environnementale n’a pas encore d’existence véritable, tant en formation initiale qu’en formation continue. L’idée n’est pourtant pas nouvelle, puisqu’en 1943, dans son ouvrage Les fondements biologiques de la géographie humaine. Essai d’une écologie de l’homme, Maximilien Sorre définissait le concept de « complexe pathogène » pour penser les interactions vivantes qui aboutissent à l’apparition d’une maladie. Ce concept, redevenu d’actualité avec la mondialisation des problématiques de santé, permet de discuter de l’influence du milieu sur la santé des populations humaines dans une perspective bioculturelle et de poser les bases de la « nouvelle » discipline qu’est la santé environnementale.

Les communautés scientifiques et associatives, impliquées mais pas coordonnées

De plus en plus de voix dans le monde scientifique et médical s’élèvent pour évoquer cette transversalité entre la santé de l’homme et son environnement. Ne s’y trompant pas, la revue de référence du monde médical, The Lancet, a lancé en décembre 2017 son premier numéro de The Lancet Planetary Health, qui couvre l’interaction entre l’homme et les déterminants de la santé dans le monde vivant et physique. Cette revue vient compléter les titres Global Health Lancet et Lancet Public Health, dont les dates de premières parutions – respectivement juillet 2013 et novembre 2016 – reflètent bien l’évolution et les différentes phases de la pensée académique autour de la thématique de la santé environnementale.

Les associations et les organisations non gouvernementales (ONG), quant à elles, se sont emparées de la thématique du changement climatique sur tous les fronts. Certaines agissent sur les conséquences au niveau des populations : sécheresse, ouragan, pénurie alimentaire, maladies infectieuses accrues, etc. D’autres se focalisent sur la préservation de la biodiversité, la sensibilisation, etc. Une bonne nouvelle dont on pourrait se féliciter s’il y avait une coordination effective entre tous ces acteurs. Aujourd’hui encore, chacune de ces entités fonctionne seule et sur son domaine d’expertise, en considérant trop peu les partenariats, qui pourraient être une véritable valeur ajoutée sur la finalité. Ainsi des centres de santé sont-ils construits après le passage d’un ouragan sans que ne soit pas exemple posée la question de l’absentéisme du personnel, sur laquelle il serait pourtant possible de communiquer avec les patients via SMS ou les réseaux sociaux pour permettre de conserver le peu de confiance que la population donne à son service de santé. Dans de nombreuses ONG médicales, la tradition est de répondre aux urgences sanitaires. La préoccupation du « changement climatique » en soi est en train de s’imposer via les appels à projets des bailleurs de fonds, qui contiennent de plus en plus une composante « verte ». La majorité des ONG étant dépendantes de bailleurs, qu’ils soient publics ou privés, elles ne peuvent donc désormais plus se permettre de faire l’impasse sur cette thématique essentielle, au risque de perdre leur source de financement.

Le nœud de la transversalité

En somme, les « politiques vertes » actuelles souffrent d’un défaut de transversalité, phénomène bien visible à travers l’examen des questions sanitaires. Ces politiques écologiques sont aussi des politiques sanitaires, et de nombreuses initiatives ont vu le jour sur le sujet : Planetary Health Alliance, Climate for Health, etc. Lorsque cet effort d’une pensée globale est fait, reste néanmoins le problème de l’adhésion des acteurs locaux et des utilisateurs, sans lesquels le projet est voué à l’échec. Comment implémenter, par exemple, le zéro carbone dans les villes auprès des usagers des transports lorsque leurs lieux de travail n’apportent aucune solution pour garer son vélo ou n’accordent aucune compensation kilométrique ? La transversalité des politiques et la coordination des acteurs sont indispensables, à tous les niveaux. La nécessité d’identifier et de mettre en avant tous les déterminants de la santé et de travailler à leur stabilisation ou, mieux, à leurs améliorations est aujourd’hui primordiale. Or, depuis que la CCNUCC travaille à l’échelle mondiale pour lutter contre le changement climatique, de nombreux indicateurs d’atténuation et d’adaptation suivis par The Lancet ont évolué dans la mauvaise direction ou, dans le meilleur des cas, sont restés inchangés. En témoignent le nombre d’adultes vulnérables exposés aux canicules, qui a augmenté de 125 millions par rapport à l’an 2000, ou encore l’accroissement de la capacité vectorielle du moustique vecteur de la dengue, en progression de 9,4 % depuis 1950 [13].

Le changement climatique pourrait représenter une opportunité unique de sortir de la verticalité qui caractérise encore aujourd’hui trop souvent la médecine et la santé en général. Dans la clinique, la prise en charge du patient par une multiplicité de spécialistes empêche ainsi l’approche globale pourtant indispensable au patient. La médecine générale est à réinventer et à revaloriser, tant dans les filières médicales qu’auprès du grand public. Le statut de « spécialité » de la médecine générale, acquis il y a quelques années, n’a pas encore suffi à avoir l’impact escompté. Mais cette transversalité est également indispensable au niveau des politiques de santé internationales, qui depuis des décennies se bornent à traiter un problème après l’autre.

Le changement climatique est un nouveau challenge que la santé ne peut se permettre de manquer. Même s’il exacerbe les inégalités déjà présentes dans le monde, il est aussi juste de dire que nous sommes aujourd’hui tous impactés et que la seule condition à considérer et à appliquer doit être une solution globale concernant tous les secteurs et tous les acteurs. Il serait illusoire d’attendre de la médecine et des acteurs de santé qu’ils répondent à une problématique dont les déterminants dépassent leurs champs d’action. Le problème qu’engendre la pollution urbaine ne sera pas résolu par une simple augmentation du nombre de médecins, mais en travaillant en amont sur la diminution des émissions de CO2 dans l’atmosphère et, de manière coordonnée et cohérente, avec des mesures d’atténuation au sein même de la ville et du pays. De l’industriel au particulier, en passant par les collectivités locales, tous sont aujourd’hui acteurs de santé.


  • [1] Hugo Valin et al., The land use change impact of biofuels consumed in the EU. Quantification of area and greenhouse gas impacts, ECOFYS – IIASA – E4tech, août 2015.
  • [2] Capucine Nobletz, « L’impact des biocarburants sur les prix des matières premières agricoles », Working Paper, 2017-41, Economix, Université de Paris Ouest Nanterre La Défense, septembre 2017.
  • [3] Organisation mondiale de la santé – Organisation météorologique mondiale, Atlas de la santé et du climat, Genève, 2012.
  • [4] Swiss Re Institute, « Natural catastrophes and man-made disasters in 2016 : A year of widespread damages », sigma, 2/2017.
  • [5] Lignes directrices OMS relatives à la qualité de l’air : particules, ozone, dioxyde d’azote et dioxyde de soufre.
  • [6] OMS, « Ambient (outdoor) air quality and health », septembre 2016 (en ligne).
  • [7] OMS, Ambient Air Pollution Database, mai 2016 (en ligne).
  • [8] OMS, « Respire la vie : la pollution de l’air, un tueur invisible », 20 janvier 2016 (en ligne).
  • [9] OMS – OMM, op. cit.
  • [10] Le « Google » médical qui répertorie la quasi-totalité les articles scientifiques validés.
  • [11] Le Bangladesh, par exemple, est devenu le chef de file du « weak power » sur la thématique générale de l’adaptation au changement climatique
  • [12] McKinsey Center for Business and Environment – C40 Cities, Focused acceleration : A strategic approach to climate action in cities, novembre 2017.
  • [13] « Rapport 2017 du “Compte à rebours santé et changement climatique” du Lancet. Après 25 ans d’inaction, une transformation globale en faveur de la santé publique est lancé » (sic), University College London, 2017.