Mars 2016
Les entreprises face à la corruption / Par Sylvie Matelly
Corruption. Phénomène ancien, problème nouveau ?RIS 101 - Printemps 2016
Elf, Siemens ou Finmeccanica, plus récemment Alstom, Walmart ou Petrobras : nombreuses sont les entreprises qui ont été soupçonnées, poursuivies ou condamnées, ces vingt dernières années, pour des faits de corruption. Est-ce à dire que le monde des affaires est désespérément corrompu ? La médiatisation croissante de ces « affaires » reflète plutôt que le rejet de telles pratiques se diffuse et s’étend, ne laissant pratiquement plus aucune région du monde indifférente.
Au mot « entreprise », le Larousse précise qu’il s’agit d’une « affaire agricole, commerciale ou industrielle, dirigée par une personne morale ou physique privée en vue de produire des biens et services ». Force est de constater que la manière de produire ces biens laisse de moins en moins indifférentes les opinions publiques, qu’il s’agisse d’émissions de gaz à effet de serre ou de pollution, des conditions de travail ou des modalités selon lesquelles sont menées ces « affaires ». La corruption est, quant à elle, définie par la Commission européenne comme « liée à tout abus de pouvoir ou toute irrégularité commis dans un processus de décision en échange d’une incitation ou d’un avantage indu ». L’organisation non gouvernementale (ONG) Transparency International explique, pour sa part, que « la corruption consiste en l’abus d’un pouvoir reçu en délégation à des fins privées » [2]. De par ses activités, l’entreprise est souvent au cœur des « affaires », le plus souvent en position de corrupteur, plus rarement de corrompu. Elle pratique alors une corruption dite « active », proposant un paiement ou un avantage en nature pour faciliter l’obtention d’une décision favorable. Elle peut également être soupçonnée de pousser le corrompu à accepter ce paiement ou cet avantage – concept de corruption « passive ». L’article 1 de la Convention de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) contre la corruption précise ainsi qu’elle correspond « au fait […] d’offrir, de promettre ou d’octroyer un avantage indu pécuniaire ou autre, directement ou par des intermédiaires, à un agent public étranger, à son profit ou au profit d’un tiers, pour que cet agent agisse ou s’abstienne d’agir dans l’exécution de fonctions officielles en vue d’obtenir ou conserver un marché ou un autre avantage indu dans le commerce international ».
La responsabilité sociale et sociétale de l’entreprise s’élargit de plus en plus et des contraintes légales sont mises en place pour pousser les firmes au respect de règles inexistantes par le passé. Dans ce contexte, les poursuites et condamnations se multiplient. Mais si la lutte contre la corruption a en tout premier lieu concerné les entreprises, elle a aussi eu pour elles une double conséquence : la matérialisation d’un risque nouveau – d’image mais aussi de poursuites – et la nécessité de s’adapter pour le prévenir.
Cette évolution vers une plus grande responsabilité des entreprises était certainement nécessaire et légitime. La corruption fausse en effet la concurrence et détourne des ressources au profit d’intérêts particuliers, le plus souvent dans des pays où la pauvreté et les inégalités sont la règle. Pour autant, elle reste endémique dans de nombreux États, prouvant, s’il était nécessaire, que les entreprises ne sont pas les seuls acteurs en la matière. L’impunité quasi-totale des décideurs publics partout dans le monde, alors que les condamnations d’entreprises ne cessent de se multiplier, rend souvent celles-ci otages de ce type de pratiques, anéantissant de fait les moyens qu’elles mettent elles-mêmes en œuvre, ainsi que les mesures prises par les pouvoirs publics ou les organisations internationales pour éradiquer la corruption.
La corruption, un risque croissant pour les entreprises
Le rapport publié par l’OCDE en 2014 explique que la moitié environ des affaires de corruption concerne des pays ayant un haut (22 %) voire un très haut (21 %) niveau de développement humain. Par ailleurs, certains secteurs sont plus exposés que d’autres. C’est le cas des industries extractives (23 % des affaires de corruption transnationale conclues entre février 1999 et décembre 2013), de la construction (19 %), des transports internationaux (19 %) ou encore des industries de la communication et de l’information (12 %). Il s’agit, assez logiquement, d’activités très internationalisées et imposant des installations et infrastructures locales, qui obligent les entreprises à des contacts réguliers avec des décideurs publics locaux. De fait, dans plus de la moitié des cas, les pots-de-vin sont versés en vue de remporter un marché public (57 %) ou de faciliter les procédures de dédouanement (12 %) [3]. Enfin, la corruption n’est pas seulement le fait de salariés sans scrupules travaillant dans une filiale lointaine de l’entreprise : les dirigeants sont également directement mis en cause dans un certain nombre d’affaires.
L’OCDE estime que le versement des pots-de-vin représente en moyenne 10 % de la valeur de la transaction. Il est nécessaire de préciser que de tels actes faussent la concurrence entre les entreprises en permettant l’attribution de marchés selon des critères non-économiques, et non en fonction du meilleur rapport qualité-prix. Le coût réel de la corruption s’exprime aussi par rapport au surcoût payé par le contribuable dans le cas d’un marché public, aux emplois non créés ou encore par la perte de production et de croissance du fait de la mauvaise allocation des ressources au profit d’intérêts privés. En effet, le versement d’un pot-de-vin conduit à accorder un contrat ou un marché à l’entreprise qui n’est pas forcément la plus compétitive, ni la moins chère, ni celle générant le plus d’emplois. Une entreprise qui accepte de corrompre doit également assumer un coût supplémentaire, une sorte d’impôt versé au profit de quelques-uns afin de faciliter la conclusion d’un marché ou obtenir des facilités de négociation. Toutefois, dans un monde concurrentiel, le risque est grand que les entreprises s’engagent dans une sorte de « course aux pots-de-vin » qui finit par coûter de plus en plus cher, sans pour autant garantir un résultat. La corruption fausse également une juste concurrence et permet à des firmes moins compétitives que leurs concurrentes de gagner des marchés à court terme, sans que cela ne les incite à investir pour se mettre à niveau, innover et se développer.
Parce que la corruption suppose le paiement par une partie prenante d’un pot-de-vin permettant d’accélérer ou de faciliter une transaction commerciale et financière en cours, les entreprises sont directement exposées, particulièrement dans un monde devenu global. La mondialisation accroît, en effet, les possibilités et les tentations, et ce, d’autant plus que certains marchés resteraient inaccessibles sans le versement d’une certaine somme d’argent pour y entrer et / ou y rester. C’est dans ce contexte que les entreprises font face à la corruption et que cette dernière devient un risque majeur, pouvant même conduire à la disparition de certaines d’entre elles (exemples d’Elf ou de la Compagnie générale des eaux). Le risque est d’autant plus important que la lutte contre ce type de pratiques s’est intensifiée partout dans le monde depuis dix ans. Corrompre, c’est ainsi prendre le risque de poursuites judiciaires et de sanctions de plus en plus lourdes. La justice américaine n’hésite par exemple plus à poursuivre et à condamner lourdement des entreprises étrangères, mais également à sanctionner indirectement des gouvernements si elle estime que leurs engagements à lutter contre la corruption sont insuffisants. L’Allemagne et le Royaume-Uni en firent l’expérience il y a quelques années, à travers des sanctions « records » imposées à certaines de leurs entreprises (Siemens ou BAe Systems).
L’amplification des amendes semble dater de 2007-2008. Faut-il y voir un effet de la crise économique et financière ? S’il est difficile de répondre par l’affirmative, il est fort probable que la crise et les abus d’un capitalisme sauvage et peu éthique aient rendu ce type de pratiques encore moins tolérable. La lutte contre la corruption a d’ailleurs été inscrite à l’agenda du G20 dès 2009. C’est aussi à cette époque, en 2010, que le Royaume-Uni adopte, plus de dix ans après avoir signé la Convention OCDE, sa nouvelle législation en la matière, le UK Bribery Act, souvent considérée comme l’une des plus aboutie sur ces questions. Pour sa part, la Convention de l’OCDE avait justement, dès 1997, établi la nature pénale d’une infraction de corruption, pouvant conduire à condamner une personne morale, à travers ses dirigeants, à des peines d’emprisonnement.
Par ailleurs, le Foreign Corrupt Practice Act américain et le UK Bribery Act ont une portée extraterritoriale. Ces deux pays se donnent donc le droit de poursuivre des entreprises étrangères, y compris pour des faits commis à l’étranger. Ainsi sur les cinq dernières années, le Department of Justice des États-Unis a, par exemple, initié des procédures à l’encontre d’Alstom (2015), d’Avon (2014), des filiales polonaise et mexicaine de Hewlett-Packard (2013), de Bilfinger (2013), de Total (2012), de Lufthansa (2012), d’Alcatel-Lucent (2010), de Shell (2010), d’ABB (2010), de Technip (2010), de Daimler-Chrisler (2010), de BAe Systems (2010), etc. Les entreprises de tous les pays sont ainsi aujourd’hui concernées.
Parallèlement, les pays émergents, souvent sous la pression de leurs opinions publiques, sont de plus en plus engagés dans la lutte contre la corruption. Les scandales se multiplient aussi au Brésil, en Chine, en Turquie, en Russie, en Thaïlande, en Malaisie, etc., obligeant les autorités à engager des poursuites. Au Brésil, la présidente de la République, Dilma Rousseff, fait l’objet d’une procédure de destitution à la suite à sa mise en cause dans l’affaire de corruption visant Petrobras. L’Inde a même surpris en publiant, en 2012, une liste noire d’entreprises étrangères ne pouvant plus concourir à des appels d’offres dans le pays, parmi lesquelles l’entreprise italienne Finmeccanica.
Outre les risques judiciaires, le rejet croissant de ces pratiques par les opinions publiques et la médiatisation systématique des « affaires » menacent directement l’image et la réputation des entreprises. Il devient de plus en plus difficile pour une compagnie accusée de corruption de reprendre ses affaires « normalement ». Un certain nombre d’entreprises en ont fait les frais ces dernières années, contraintes au mieux de changer de nom, au pire d’être absorbées par des concurrents. Faut-il alors voir un lien de cause à effet entre le démantèlement d’Alstom, en 2014, et la mise en cause, au même moment, de cette entreprise pour des faits de corruption ?
La pression sur les entreprises s’accroît également de la part de leurs parties prenantes, et en particulier des institutions financières. Directement mises en cause pour leurs prises de risques excessifs, contraintes de restaurer la confiance tant de leurs clients que des autorités, et faisant face au développement d’une finance alternative (placements éthiques, crowdfunding, investissements sociaux, etc.), les banques et les investisseurs sont de plus en plus exigeants sur la mise en place de mesures de prévention, tout particulièrement face à la corruption. Ainsi, une entreprise dont les mesures mises en place pour prévenir la corruption seraient jugées insuffisantes pourrait se trouver confrontée à des difficultés pour trouver des financements ou des investisseurs.
Les entreprises dans la lutte contre la corruption
La Convention l’OCDE : un pas décisif
L’idée que les entreprises doivent respecter une certaine éthique des affaires se répand après la Seconde Guerre mondiale, amplifiée depuis par la médiatisation d’un certain nombre de scandales (Bhopal en 1984, boycott de Nestlé depuis 1977, Foxconn en 2012, Rana Plaza en 2014, etc.). Ainsi, le Pacte mondial, initiative lancée par les Nations unies en 2000, identifie dix grandes responsabilités de l’entreprise, parmi lesquelles le respect des droits de l’homme ou du droit du travail, la préservation de l’environnement ou encore la lutte contre la corruption. Pourtant, la corruption fut tolérée pendant longtemps et dans nombre de pays. Le pot-de-vin était perçu comme un « facilitateur » et certains régimes fiscaux en permettaient la déduction fiscale – c’était le cas de la France jusqu’en 2000 et la transposition de la Convention de l’OCDE dans le droit national. La lutte contre la corruption s’est donc intensifiée, tant au sein des entreprises qu’à travers la signature de traités ou conventions internationales ou la promulgation de législations nationales condamnant ces pratiques par de nombreux pays.
Ce sont les États-Unis qui, les premiers, ont mis en place une législation interdisant ce type de pratiques. Le Foreign Corrupt Practice Act (FCPA) fut ainsi adopté en 1977, en réaction au scandale « Lockheed », du nom d’une entreprise du secteur aéronautique et aérospatial soupçonnée d’avoir financé des campagnes électorales non seulement aux États-Unis, mais aussi au Japon, en Allemagne et aux Pays-Bas, en échange de l’achat d’avions produits par la compagnie. Face aux distorsions de concurrence que constitue cette pression légale pour les entreprises américaines, les États-Unis poussent l’idée de généraliser la lutte contre la corruption au niveau international. Ils soutiennent alors l’élaboration d’une convention au sein de l’OCDE, la Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales ou « Convention anticorruption », finalement adoptée le 21 novembre 1997. À la même époque apparaît Transparency International, ONG qui publie chaque année un rapport sur la perception de la corruption dans le monde, dans lequel elle propose notamment un classement des pays. Présente aujourd’hui dans plus de 130 pays, elle mène diverses actions d’accompagnement et de prévention.
Du côté des organisations internationales, la Convention de l’OCDE, entrée en vigueur en 1999, reste encore aujourd’hui, avec celle des Nations unies, l’un des textes les plus rigoureux en matière de lutte contre la corruption. Son originalité a été de prévoir un mécanisme de suivi des démarches entreprises par les États pour transposer dans leur législation les principes du texte, puis pour poursuivre réellement les contrevenants [4]. En effet, la Convention de l’OCDE est articulée autour de grandes phases : la première prévoit la transposition des dispositions dans les législations nationales, la deuxième l’application de la législation et la troisième, plus récente, la réelle mise en œuvre de ces législations (adaptation des acteurs, entreprises et institutions, réalité des poursuites engagées et des sanctions prononcées, etc.). Chacune est organisée par des allers-retours entre les États engageant des démarches pour se mettre en conformité avec la Convention qu’ils ont signée et le groupe de travail en charge de son application, qui envoie des auditeurs contrôler la réalité de cette transposition dans les pays. Chaque étape donne lieu à la publication d’un rapport traduit en plusieurs langues et consultable par tous sur le site de l’OCDE.
Cette transparence est un élément important de la démarche engagée par l’OCDE, puisqu’elle permet à chaque pays partie à la Convention d’avoir accès aux efforts réalisés ou non par ses partenaires. Le Royaume-Uni en fut d’ailleurs une « victime collatérale », puisque stigmatisé par l’OCDE pendant des années pour ne pas avoir adopté une législation permettant une réelle transposition et la poursuite des entreprises corruptrices. La Convention prévoit également la mise en place, par les pays, de mesures qui poussent les entreprises à devenir elles-mêmes des acteurs de la lutte contre la corruption, mais qui leur permettent aussi de poursuivre les entreprises qui ne le feraient pas – incrimination de la personne morale, donc possibilité de poursuivre les dirigeants d’entreprises.
La Convention de l’OCDE vise donc à une certaine harmonisation des législations des pays signataires en matière d’incrimination et de condamnation des pratiques de corruption. La diffusion de ces nouvelles règles conduit alors à accroître la pression sur les entreprises originaires de ces pays pour qu’elles renoncent à ce type de pratique dans leurs activités commerciales à l’international.
Un choix stratégique
Rattrapés par l’intensification de la pression légale et les risques de poursuites qui en découlent, les grands exportateurs ont, pour la plupart, modifié profondément leur mode d’action, et les entreprises ont mis en place un certain nombre de démarches pour prévenir ce risque. La première d’entre elles commence le plus souvent par une prise de conscience conduisant à la rédaction d’une charte éthique. L’entreprise élabore ensuite une cartographie des risques. La prévention de la corruption suppose également une bonne compréhension des enjeux de la part de toutes les filiales, mais aussi de tous les collaborateurs et partenaires (fournisseurs). Organisation et adaptation de la gouvernance peuvent ainsi permettre de mettre la lutte contre la corruption au cœur de la stratégie de l’entreprise et d’en coordonner l’ensemble des activités.
Deux philosophies semblent dominer les choix stratégiques des entreprises en la matière, traduisant l’insoluble difficulté à prévenir et garantir la disparition de la corruption en leur sein : la prévention via la formation de ses équipes et l’identification de signaux d’alerte, d’un côté, ou le contrôle total par l’élaboration de règles strictes de gestion des contrats et des relations d’affaires, de l’autre. L’élaboration de la norme ISO 37001 actuellement en cours de rédaction va plutôt dans le sens de ce strict contrôle [5]. Il n’est toutefois pas certain qu’en matière de corruption, tout puisse être anticipé, et donc réglementé par des procédures. Par ailleurs, la lutte contre la corruption n’a de sens pour l’entreprise que si ses concurrents adoptent la même démarche. Dans le cas contraire, la compétition est déloyale et l’engagement de l’entreprise contre la corruption constitue un handicap menaçant son activité même et sa capacité à remporter de nouveaux contrats et marchés. Les firmes sont alors confrontées à un réel « dilemme du prisonnier », en référence au jeu élaboré par les mathématiciens Melvin Dresher et Merrill Flood, puis repris en économie par Albert Tucker [6]. Le dilemme du prisonnier est une situation où deux joueurs auraient intérêt à coopérer, mais où, en l’absence de communication entre eux, chacun choisira de trahir l’autre si le jeu n’est joué qu’une fois. Pour faire face à cela, les entreprises se regroupent au sein de comités ou de groupes de travail. Elles y échangent sur leurs bonnes pratiques ou s’engagent de manière sectorielle afin de limiter les distorsions de concurrence sur un même marché, dans le cas d’une lutte à géométrie variable contre la corruption au sein des entreprises. C’est le cas de l’International Forum on Business Ethical Conduct (IFBEC), une initiative mondiale des industries de l’aéronautique et de la défense dont furent à l’origine un certain nombre d’entreprises du secteur et les deux associations d’industriels européenne (Aerospace and Defence Industries Association of Europe [ASD]) et américaine (Aerospace Industry Association [AIA]). À partir de 2010, un groupe d’entreprises de l’ensemble des pays du G20 a également été créé au sein de ce dernier, avec la lutte contre la corruption comme l’une des priorités. Une task force « Transparence et anticorruption » a ainsi été mise en place.
Conscientes aussi de l’importance de la communication et de l’image, les entreprises travaillent avec les organisations internationales gouvernementales (ONU à travers le Global Compact) et non gouvernementales (Transparency International). Par ailleurs, la lutte contre la corruption des affaires s’élargit depuis peu, certaines entreprises n’hésitant plus à poursuivre leurs actuels ou anciens dirigeants pour avoir laissé de telles pratiques se produire. Elle s’étend également progressivement à la corruption passive, comme en témoigne le cas du Brésil et la menace de destitution pesant sur Dilma Rousseff. Enfin, l’inscription de cette lutte à l’agenda du G20 en a poussé les pays non membres de l’OCDE à intensifier la lutte contre la corruption ces dernières années ; c’est le cas de la Chine, mais aussi de l’Inde. Ces évolutions sont essentielles, car la poursuite des seules entreprises présente des limites évidentes et largement perceptibles dans la persistance de la corruption partout dans le monde. Est-il vraiment possible d’éradiquer de telles pratiques en ne poursuivant que les coupables de corruption active ? Peut-on continuer à croire que les corrompus ne sont que passifs face aux propositions de pots-de-vin ?
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Sans tomber dans l’angélisme, il est incontestable que de réels progrès ont été faits dans la lutte contre la corruption au sein des entreprises. Le risque est, en effet, devenu trop important pour rester ignoré. Pour autant, la corruption reste et restera endémique tant que la responsabilité et donc les poursuites ne concerneront que les entreprises. La corruption, lorsque transnationale, est une infraction complexe et opaque, qui entraîne de multiples transactions financières à travers plusieurs pays, exercées par et pour de multiples bénéficiaires. La corruption passive – le corrompu – est encore rarement condamnée. Il en résulte que sur certains marchés, dans certains pays, la sollicitation de pots-de-vin et l’extorsion sont monnaie courante, pour ne pas dire systématiques. Les entreprises sont alors confrontées à un réel dilemme, qui consiste soit à refuser ces pratiques tout en ayant la certitude de perdre le marché, soit à accepter de verser le pot-de-vin afin de préserver toutes leurs chances. Dans ce contexte, l’éradication de la corruption dans les affaires ne passera que par la poursuite de l’engagement des entreprises, couplée à une extension de la lutte et des poursuites à la corruption passive.
- [1] L’auteur remercie vivement Dominique Lamoureux, directeur Éthique et responsabilité d’entreprise de Thales pour ses explications et éclairages ainsi que les précisions et remarques apportées sur une première version de cet article. Les opinions exprimées ne sont toutefois que celles de l’auteur.
- [2] Transparency International, « How do you define corruption ? », disponible sur le site Internet de l’organisation.
- [3] OCDE, Rapport de l’OCDE sur la corruption transnationale. Une analyse de l’infraction de corruption d’agents publics étrangers, Paris, éditions OCDE, 2014.
- [4] Trois autres textes, plus universels puisque couvrant un plus grand nombre de pays, tentent également de lutter contre la corruption. Il s’agit des deux conventions, civile et pénale, sur la corruption du Conseil de l’Europe, signées en mai 2005, et de la Convention des Nations unies contre la corruption de 2004. Elles ne prévoient toutefois pas de procédures de suivi de leur mise en œuvre.
- [5] La norme de l’International Standart Organisation, ISO 37001 ou Anti-bribery management systems, vise à mettre en place au sein des entreprises une série de mesures pour les aider à prévenir, détecter et combattre la corruption (formation des collaborateurs, règles de négociations de contrats, encadrement de ces négociations, etc.).
- [6] Clifford Pickover, The Math book, New York, Sterling, 2009.