L’ère de la pénurie. Capitalisme de rente, sabotage et limites planétaires // Vincent Ortiz

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  • Lubin Griessemann

    Lubin Griessemann

    Étudiant à IRIS Sup’

L’actualité récente nous montre qu’au sein du modèle économique actuel, certains acteurs peuvent très largement bénéficier de situations de crises. La pandémie de Covid-19 a renforcé les entreprises du numérique et les GAFAM. La guerre en Ukraine, durant laquelle les populations européennes doivent faire face à un prix de l’électricité jusqu’alors inédit, permet aux entreprises du secteur énergétique de réaliser des « superprofits ».

C’est dans ce contexte que Vincent Ortiz nous dévoile son livre, L’ère de la pénurie, et remet au goût du jour la notion de sabotage économique théorisée par Thorstein Veblen. Vincent Ortiz y démontre que la libre concurrence qui régit nos économies devrait pousser les marges des industriels et entrepreneurs à la baisse. Or force est de constater qu’au vu de la conjoncture économique actuelle, les grandes fortunes et les multinationales ne se sont jamais aussi bien portées. L’auteur l’explique par la mise en place d’un sabotage économique de la part des systèmes de production – afin de créer artificiellement de la rareté et donc une augmentation des prix et des marges – que ce soit à travers un sabotage des concurrents, tel que le rachat d’entreprise, un sabotage des États, avec des systèmes toujours plus complexes de sociétés écrans et d’optimisation fiscale, ou bien un sabotage des consommateurs, un exemple récent étant celui de la « shrinkflation ».

Docteur en économie et spécialiste des relations internationales, Vincent Ortiz est aussi cofondateur et rédacteur en chef du média Le Vent Se Lève. Dans cet ouvrage, il se concentre sur les majors pétrolières et comment elles ont usé d’un sabotage « veblenien » afin d’accroître leurs marges. Selon lui, elles ont instrumentalisé, au tournant des années 1970, le discours écologique cristallisé par le Club de Rome afin de changer de paradigme économique. En prônant l’idée de limites physiques des ressources soutenue par le Club de Rome, ces majors ont pu rendre acceptable une augmentation des prix des hydrocarbures, en créant artificiellement une forme de rareté. En effet, l’auteur souligne les liens entre l’élite dirigeante des grandes sociétés pétrolières et le Club de Rome, dont l’idéologie repose sur une écologie néomalthusienne récupérée par les néolibéraux afin de prôner des politiques économiques austéritaires.

Ainsi Vincent Ortiz critique-t-il la partie de ce discours écologique reposant sur une supposée pénurie imminente des ressources. Il ne remet pas en cause la finitude des ressources, mais avance que la diminution du niveau de vie des classes moyennes et populaires occidentales n’est pas directement liée à la contrainte physique des ressources, mais plutôt au système de production actuel et aux stratégies de cartel de certaines entreprises. Selon lui, les majors pétrolières sont effectivement organisées en cartel et, en adéquation avec les États membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), limitent les productions d’hydrocarbures afin de fixer des prix artificiellement élevés.

Cet ouvrage apporte un regard intéressant sur le processus de sabotage économique réalisé par certaines entreprises, et montre les limites de la libre-concurrence, ainsi que sur l’instrumentalisation d’un discours écologique aux influences malthusiennes par une élite économique mondialisée. Cependant, on ne peut se soustraire au sentiment d’avoir lu un argumentaire militant sur le rôle des entreprises dans l’accaparement des ressources et des richesses, qui est certes important mais ne doit pas être surestimé. Pour autant, l’influence marxiste sous-jacente au propos n’est pas dépourvue de pertinence face à un système où la financiarisation de l’économie pose de plus en plus question et où le rachat d’actions tend à devenir plus important que l’investissement réel dans les systèmes productifs.