Juin 2024
Le nucléaire imaginé / Ange Pottin
L’aide internationale, instrument d’émancipation ou de contrôle ?RIS 134 - Été 2024
Dans ce premier ouvrage, le philosophe Ange Pottin explore les imaginaires nourris par l’industrie nucléaire, qui attribue à l’atome des vertus découplées des réalités terrestres. Parmi les quelques préconceptions dénoncées : l’indépendance énergétique, l’écologie par l’atome et l’infinitude du combustible.
L’auteur s’attarde tout particulièrement sur la promesse du « cycle fermé » : la capacité de produire plus de combustible que l’industrie n’en consomme, grâce au retraitement des déchets radioactifs et à l’innovation technologique. Un idéal jusqu’ici inaccessible et qui pourtant reste ancré dans les discours partisans.
On retrouve également une réflexion intéressante sur la prétendue nature « aspatiale » du nucléaire, qui serait étranger aux contraintes d’extraction, d’approvisionnement ou d’intermittence valables pour les autres sources d’énergie. Une série de préconceptions et de raisonnements biaisés portés par une pensée technosolutionniste et capitaliste au service d’une logique productiviste inarrêtable – pour ne pas dire stakhanoviste – qui verrait dans le nucléaire un idéal énergétique.
Disons-le, l’ouvrage est avant tout un essai militant antinucléaire qui, il faut reconnaître, pose de bonnes questions, mais se perd dans une accumulation d’approximations, d’excès et de procès d’intention, à l’appui de raccourcis historiques et de témoignages anonymes. Globalement, on retiendra surtout une méconnaissance récurrente de certains aspects techniques pourtant essentiels.
Parmi les nombreuses maladresses, l’appellation de « résidu » pour désigner l’intégralité des déchets nucléaires. Un détail en apparence, qui occulte à la fois la diversité des rejets dans leur dangerosité et dans leur part valorisable. Un élément rejeté en bloc par l’auteur et pourtant stratégique pour les secteurs de la santé ou de l’exploration spatiale.
Le comparatif dressé entre nucléaire et énergies renouvelables (EnR) est tout aussi maladroit, car il place au même niveau la dépendance « matériel » des EnR et du nucléaire, alors que le besoin en matières premières, à production d’énergie égale, est bien plus important en quantité et en diversité pour les EnR. On pourrait également débattre de l’opposition dressée entre indépendance énergétique fran-çaise et sécurité énergétique allemande, tant elle néglige les vulnérabilités d’approvisionnement du système allemand, long-temps fondé sur une interdépendance économique avec la Russie.
Tout semble fait pour dresser l’image d’une industrie monolithique en échec permanent, maintenue à bout de bras par une caste de « nucléocrates » capitalistes au passé systématiquement trouble. Sans être fondamentalement faux dans ses affirmations, ce manque de précision et surtout de nuance décrédibilise le propos, qui part pourtant d’une réflexion légitime.
Car le nucléaire fait effectivement l’objet d’un mythe, qui l’encense comme une solution absolue et indiscutable à tous les enjeux écologiques. En ce sens, l’auteur réussit à apporter des arguments qui dénotent avec la vacuité de certains discours qui veulent nous exempter de tout autre effort, au motif que le nucléaire suffira. Par excès, il nourrit cependant un autre imaginaire, tout aussi démesuré que celui qu’il dénonce, au détriment d’un hypothétique consensus qui saurait concilier l’écologie, l’économie et l’humain. Finalement, l’ouvrage contentera les « anti », irritera les « pro », mais laissera un sentiment mitigé pour celles et ceux qui s’interrogent sur cette industrie fantasmée et bien plus complexe.