Le Mouvement 5 étoiles : une réponse 2.0 à la crise de la démocratie représentative / Par Mattia Zulianello

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  • Mattia Zulianello

    Mattia Zulianello

    Docteur en science politique et chercheur postdoctoral au département de sciences politiques et sociales de l’Université de Florence.

Les récentes crises qui ont frappé l’Union européenne (UE) – la récession économique, le flux sans précédent de demandeurs d’asile et, plus récemment, le « Brexit » – s’inscrivent dans un contexte plus large de crise de la démocratie représentative et des partis politiques traditionnels affectant, à des degrés divers, l’ensemble des pays européens. Cette situation a constitué un contexte potentiellement favorable à la mobilisation populiste. Le cas italien est particulièrement emblématique à cet égard. En effet, lors sa première participation électorale, en 2013, le Mouvement 5 étoiles (Movimento 5 Stelle, M5S) a émergé comme le premier parti du pays en termes de suffrages exprimés. De façon significative, en dépit de sa force électorale, le M5S est resté fidèle à sa posture antisystème, se faisant porteur d’une exigence de changement radical de la vie politique italienne et refusant dans le même temps de coopérer avec les partis préexistants.

La longue crise de la représentation et le « paradis » populiste

La démocratie italienne a été à de nombreuses reprises définie comme une anomalie. Durant la longue période de la Première République (1948-1994), l’Italie s’est organisée tel un exemple paradigmatique de régime « partitocratique », c’est-à-dire dominé par des formations qui avaient non seulement « colonisé » la vie politique du pays, mais également pénétré la sphère administrative et sociale. Malgré l’implosion de cette Première République sous le coup des enquêtes judiciaires dans le cadre de l’opération « Mains propres » entre 1992 et 1993, le rôle privilégié dévolu aux partis et à leur action dans le système politique est demeuré le trait fondamental du « party government Italian style » de la Deuxième République (1994-) [1]. Un autre facteur caractéristique de cette dernière est la persistance d’un profond malaise populaire qui se manifeste dans un sentiment général, diversement relevé par de multiples analyses et sondages, de désaffection à l’égard des partis politiques et d’insatisfaction vis-à-vis du fonctionnement de la démocratie italienne. Sans surprise, cette insatisfaction et ce malaise ont conduit à un succès significatif des partis populistes, au point de faire de l’Italie le lieu par excellence [2] du triomphe du populisme face aux partis traditionnels [3]. Ainsi, le système de partis de la soi-disant Deuxième République italienne s’est caractérisé par la centralité de deux formations populistes, le Peuple de la liberté et la Ligue du Nord, dans un jeu de coalition qui les a par ailleurs conduites au gouvernement à plusieurs reprises (1994, 2001-2006, 2008-2011).

Cette intégration du populisme dans le système politique italien a eu deux conséquences majeures. D’abord, les thèmes et tons caractéristiques du populisme ont infecté le débat public et l’agenda politique, qui les ont à leur tour adoptés. Ensuite, la centralité de Forza Italia et de la Ligue du Nord dans les gouvernements de centre-droit et les divers scandales qui ont touché ces formations ont ouvert la voie à la naissance, puis au succès, d’un nouvel acteur populiste refusant de collaborer avec les partis existants et qui se caractérise comme un exemple paradigmatique de parti antisystème [4] : le Mouvement 5 étoiles.

La parabole du Mouvement 5 étoiles

L’histoire du Mouvement 5 étoiles est étroitement liée aux événements de la vie de son fondateur et leader, Beppe Grillo. Ce dernier, célèbre comédien exclu de la télévision publique à la fin des années 1980 pour une satire acérée du Parti socialiste, a vu sa popularité croître grâce à des spectacles associant satire et politique, centrés sur des questions comme la protection de l’eau publique, l’écologie, les infrastructures ainsi que la critique des partis et de la classe politiques.

Dans le cadre du développement du Grillo « politique », sa rencontre, en 2005, avec Gianroberto Casaleggio, expert en technologies de l’information et de la communication et entrepreneur informatique, constitue assurément une étape décisive. C’est lui qui le convainc d’utiliser le Web comme plate-forme pour ses campagnes et initiatives [5]. La compagnie de G. Casaleggio (Casaleggio Associati srl) lance alors le blog beppegrillo.it, défini par B. Grillo lui-même comme « un outil à notre disposition pour la réalisation d’une véritable démocratie » [6]. Grâce à l’association de la popularité et du charisme de B. Grillo, d’un côté, et des compétences informatiques et marketing de G. Casaleggio, de l’autre, le blog rencontre un succès immédiat. Il représente alors non seulement un instrument pour donner de la visibilité à certaines questions – écologie, protection des consommateurs, critique des multinationales et de la vie politique –, mais pose également les bases pour la construction d’un nouvel acteur politique.

Dès juillet 2005, B. Grillo, toujours sur les conseils de G. Casaleggio, suggère à ses soutiens de créer des groupes locaux en utilisant la plate-forme Meetup, sur le modèle du groupe américain Move On [7]. Ses fans se sont ainsi rapidement transformés en militants ; Internet a été utilisé pour relayer une « contre-vérité » alternative à celle diffusée par les médias traditionnels et a joué un rôle décisif dans la création de groupes locaux et de listes civiques, qui ont ensuite abouti à la formation du Mouvement 5 étoiles, le 4 octobre 2009. Sur ces bases, le M5S participe dans un premier temps aux élections municipales et régionales. Après quelques succès isolés dans le Centre et le Nord du pays, il enregistre ses premiers véritables exploits aux élections locales de 2012. Durant cette première phase, la montée du M5S s’explique par l’introduction d’importantes nouveautés : d’un côté le rôle sans précédent joué par les médias numériques comme moyens de discussion et de mobilisation politique, mais aussi comme outil de réalisation d’une « vraie » démocratie, de l’autre un retour aux « places » grâce à de vastes rassemblements populaires, tels que le « Vaffanculo Day », caractérisés par de vives critiques à l’égard de la classe politique et des partis.

Lors de sa première participation aux élections nationales, le M5S s’impose comme le premier parti du pays, recueillant 8,7 millions de votes, soit 25,56 % des suffrages exprimés. B. Grillo parvient alors à rassembler des voix couvrant l’ensemble du champ politique, la formation apparaissant comme celle qui dispose du consensus le plus homogène dans le pays. À cet égard, le lien entre crise et populisme évoqué à plusieurs reprises par la littérature est bien applicable au cas du M5S. Au moment des élections générales de 2013, en effet, l’Italie avait non seulement été frappée par la crise économique, notamment en 2008 puis au cours de la seconde moitié de l’année 2011, mais aussi par une crise politique manifeste ayant conduit à la chute du gouvernement Berlusconi et à la formation du gouvernement technique de Mario Monti [8]. De façon significative, les élections de 2013 se sont tenues dans un contexte similaire à celui qui avait consacré la naissance de la « Deuxième République » en 1994, caractérisé par une crise aigüe de légitimité du système du fait de la combinaison entre crises économique et politique.

Cette double crise a, en outre, été amplifiée par l’explosion d’une nouvelle « question morale », à la suite de nombreux scandales ayant touché aussi bien les deux partis de gouvernement que ceux de l’opposition, ainsi que certaines administrations régionales. Dans ce contexte, le M5S s’est présenté, face aux partis traditionnels, comme une formation antisystème de par son profil idéologique et sa posture antagoniste. Pour deux raisons, il a pu constituer un point de coagulation du mécontentement populaire. D’une part, les deux principaux partis de centre-gauche et centre-droit – le Parti démocrate et le Peuple de la liberté – étaient fragilisés en raison de leur soutien au gouvernement Monti, lequel avait introduit d’impopulaires mesures d’austérité économique. D’autre part, les deux partis qui s’étaient le plus opposés à cet exécutif technique, la Ligue du Nord et l’Italie des valeurs, avaient été affectés par plusieurs scandales ayant gravement compromis leur crédibilité sur le marché de l’offre politique. En ce sens, il n’est pas surprenant qu’une partie considérable de l’électorat du M5S a choisi ce dernier de façon à exprimer une forme de protestation [9].

Le profil idéologique

Cas Mudde définit le populisme comme une idéologie fine (« thin-centered ») « qui considère la société comme fondamentalement divisée entre deux groupes homogènes et antagonistes, le “peuple pur” contre les “élites corrompues”, et qui soutient que la politique devrait exprimer la volonté générale (general will) du peuple » [10]. Sur la base de cette définition, le M5S appartient assurément au cercle des partis populistes, étant donné l’omniprésence de l’opposition entre le « peuple » et les « élites » dans le message qu’il véhicule.

Le M5S se caractérise avant tout par une critique radicale de la démocratie représentative. En effet, comme on peut le lire sur le blog de Beppe Grillo, la représentation est perçue comme un instrument de pouvoir entre les mains de la classe politique, laquelle est vue à son tour comme une oligarchie qui prive le peuple de sa souveraineté : « Les hommes politiques sont devenus nos maîtres, et nous leurs serviteurs plus ou moins inconscients. Il faut renverser la pyramide, celui qui est élu ne doit accomplir qu’une seule mission, appliquer le programme et informer les citoyens. Les politiques utilisent leur mandat pour accroître leur pouvoir et leur visibilité. » [11]

Beppe Grillo et le M5S ont renouvelé l’insatisfaction traditionnelle des Italiens envers les partis politiques en faisant valoir que malgré le passage de la Première à la Deuxième République, le fond de la politique nationale n’avait pas vraiment changé. Les partis existants sont notamment régulièrement décrits comme une « caste » corrompue et non démocratique, ayant pour seul but de maintenir les rentes de position et les privilèges qui découlent des charges du pouvoir. Les actions des partis et de la classe politiques sont décrites comme sourdes aux besoins du peuple, qui serait dépouillé de sa propre souveraineté. Le M5S articule donc une critique radicale de la représentation politique et des politiciens professionnels, auxquels il oppose la nécessité d’une nouvelle démocratie sans intermédiaire, centrée sur la participation directe des citoyens : « Nous sommes […] les citoyens qui portent le casque, qui n’ont plus besoin d’intermédiaires, qui n’ont plus besoin de politiciens qui sont là depuis trente ans et payés avec notre argent » [12].

Tout comme d’autres partis populistes, le M5S refuse les étiquettes de « droite » et « gauche », et se positionne comme « en dehors » ou « au-delà » de cet espace traditionnel, cherchant à apparaître comme un acteur non idéologique [13] : « Le temps des idéologies est terminé. Le Mouvement 5 étoiles n’est pas fasciste, il n’est pas de droite, ni de gauche. Il est au-dessus et en dehors de toute tentative d’isolement, d’opposition, de mystifier chacun de ses termes pour le cataloguer à un usage propre » [14].

À cet égard, il est important de souligner que là où la nature fine du populisme lui permet de « s’arrimer » à d’autres éléments idéologiques, l’on peut probablement parler de populisme à l’« état pur » dans le cas du M5S [15]. En effet, si la plupart des partis populistes peuvent être ramenés à diverses catégories en fonction de leur profil idéologique global, parmi lesquels la droite radicale populiste – par exemple la Ligue du Nord en Italie et le Front national en France –, le populisme de gauche – Podemos en Espagne, Syriza en Grèce – ou le populisme néolibéral – United Kingdom Independence Party (UKIP), Forza Italia –, le Mouvement 5 étoiles ne peut se comprendre en ayant recours à ces variantes. Et bien qu’il ne puisse être considéré comme une manifestation modérée d’idéologie populiste qui caractérise le populisme du « centre », principalement répandu en Europe centrale et orientale [16], il partage avec lui le fait d’être « presque totalement émancipé de toute contrainte idéologique, ce qui lui offre la liberté de dire aux électeurs ce qu’ils ont envie d’entendre – et, ce qui est probablement le plus important, d’éviter de leur dire ce qu’ils n’ont pas envie d’entendre. » [17]

Malgré ses particularités par rapport aux autres populismes européens, le M5S partage avec la majorité d’entre eux une forte critique de l’UE, et surtout de la monnaie unique. À cet égard, il s’est démarqué par des demandes répétées de référendum populaire sur l’appartenance à la zone euro, lequel est présentée à travers des arguments populistes, c’est-à-dire comme moyen pour combattre les élites et restaurer la souveraineté populaire : « Les collaborateurs qui ont permis cette débâcle sont les mêmes qui veulent encore la tête de l’Italie dans le nœud coulant de l’euro. Le chantage auquel ils soumettent les Italiens est la raison pour laquelle ils sont maintenus au pouvoir par les bureaucrates de la troïka. Ils ne veulent pas sortir de l’euro afin de préserver leur pouvoir » [18] ; « Les Italiens doivent pouvoir décider s’ils veulent mourir avec l’euro à la main, ou vivre et reprendre leur souveraineté » [19].

Une structure organisationnelle entre démocratie 2.0 et « leaderisme »

La structure organisationnelle du M5S présente des éléments en totale contradiction entre eux. La vie interne du mouvement se caractérise par la tentative de mettre en œuvre des pratiques de démocratie directe en ayant recours aux nouvelles technologies, dans le but de répondre à la question de la participation « d’en bas » par des formes de « démocratie liquide ». Par certains de ses aspects, une telle approche organisationnelle est similaire à celle des partis pirates, acteurs apparus sur le Web et exerçant une grande partie de leur action politique en utilisant les nouvelles technologies. De manière significative, l’importance accordée par le M5S à la participation et la démocratie directe a pour objectif de le présenter comme un acteur substanciellement différent des partis traditionnels et de s’autodéfinir comme un « non-parti », ainsi qu’il en ressort de son « non-statut » sur son site officiel : « Le Mouvement 5 étoiles n’est pas un parti politique et n’entend pas le devenir dans le futur. Il veut témoigner de la possibilité de créer un échange efficient et efficace d’opinions et de débat démocratique en dehors des liens associatifs et partisans et sans la médiation des organes exécutifs ou représentatifs, tout en reconnaissant à la totalité des utilisateurs d’Internet le rôle de gouvernement et d’orientation normalement attribué à quelques-uns. » [20]

Toutefois, malgré cette tentative de se présenter comme un « non-parti », le M5S peut être catégorisé comme un véritable et réel parti, suivant la définition proposée par Giovanni Sartori, c’est-à-dire « tout groupe politique identifié par une étiquette officielle qu’il présente à des élections à travers lesquelles il est en mesure de placer ses membres à des postes de représentants publics » [21]. Néanmoins, il est clair que le M5S présente des différences évidentes avec les partis traditionnels. En effet, l’élément caractéristique de cette formation est que les procédures de sélection de son personnel se réalisent par Internet, tant au niveau national – comme à l’occasion des élections générales de 2013 – qu’au niveau local – comme dans le cas récent des élections municipales de Rome (2016). Afin de souligner la différence par rapport aux partis traditionnels, les parlementaires du M5S doivent souscrire au « code de conduite à destination des élus du Mouvement 5 étoiles au Parlement », qui lie les élus à la réalisation du programme du M5S en ce qui concerne les règles relatives à la transparence et à l’appréciation des propositions émanant du portail du mouvement. En outre, pour renforcer l’image de « non-parti », ce code exige des parlementaires du mouvement qu’ils refusent le titre de « député » et qu’ils optent pour le terme de « citoyenne » ou de « citoyen ». Cependant, ces pratiques participatives et caractéristiques de « non-parti » ne représentent qu’une seule face de la médaille. En effet, même si Beppe Grillo ne s’est jamais présenté publiquement comme le leader du M5S, mais plutôt comme son « porte-voix », et n’a jamais été candidat à quelconque charge publique, la structure organisationnelle du mouvement repose entièrement sur son blog. Ainsi qu’il est souligné par le non-statut, il « est reconnu [à Internet] un rôle central dans le processus d’adhésion au Mouvement, de consultation, de délibération, de décision et d’élection. » [22]

À la centralité du blog de Beppe Grillo correspond également un contrôle effectif du M5S, qui se configure tel un parti « personnel » [23], ce qui l’éloigne considérablement des partis pirates précédemment évoqués pour le rapprocher des partis populistes de droite radicale qui se caractérisent souvent par un leadership charismatique. Beppe Grillo dispose en fait d’un contrôle juridique sur le mouvement : il a le droit exclusif d’autoriser ou de refuser l’utilisation du symbole, dispose d’un pouvoir discrétionnaire décisif sur le choix des candidats et sur les éventuelles expulsions du parti [24]. La centralisation est également manifeste dans le cadre des stratégies de communication, lesquelles sont entièrement contrôlées par Casaleggio Associati [25], même depuis la mort du « gourou » Gianroberto Casaleggio en avril 2016. Le contrôle de l’appareil du parti par Beppe Grillo a déclenché des tensions internes, et les dissidences ont entraîné une vague d’expulsions qui a soulevé des doutes quant au caractère effectivement démocratique du mouvement.

*

Le succès du M5S, comme celui qu’enregistrent actuellement d’autres partis populistes en Europe, peut être compris comme une réponse à la perception massivement répandue d’une crise de la représentation et de l’accountability [26] des démocraties européennes, en particulier à la lumière des processus d’intégration européenne et de mondialisation. Plus précisément, pour reprendre les termes de Colin Crouch, les démocraties avancées apparaissent de plus en plus comme des postdémocraties : « Même si les élections continuent à se dérouler et à conditionner les gouvernements, le débat électoral est un spectacle fermement contrôlé, conduit par des groupes rivaux de professionnels experts dans les techniques de persuasion et couvre un nombre limité de questions choisies par ces groupes. La masse des citoyens joue un rôle passif, consentant, voire apathique, se limitant à réagir aux signaux qu’elle reçoit. Mis à part le spectacle de la lutte électorale, la politique se décide en privé par l’intégration entre les gouvernements élus et les élites qui représentent presque exclusivement des intérêts économiques. » [27]

La crise de légitimité des démocraties européennes, déjà mise en évidence par C. Crouch au début des années 2000, s’est aggravée sous l’effet des vagues de crises ayant frappé le Vieux Continent au cours des dernières années : une grande récession, une série dramatique d’attentats terroristes, un flux de migrants sans précédent, jusqu’au « Brexit ». Bien que la combinaison de ces facteurs ait favorisé le succès soudain et massif du M5S en Italie et du populisme dans différents pays européens, ces partis ont profité de cet environnement favorable à des degrés divers selon les contextes nationaux. En effet, alors que les partis populistes ont enregistré une croissance substantielle dans certains pays, parmi lesquels la France, l’Allemagne, la Grèce, l’Italie, la Pologne, l’Espagne, la Suède et la Hongrie, d’autres restent épargnés par ce phénomène, en particulier le Portugal, alors que dans d’autres cas encore, les plus récentes vagues de crise n’ont pas conduit à une expansion électorale significative. De manière plus générale, il faut aussi souligner que les partis populistes parviennent à recueillir un plus grand nombre de suffrages aux élections européennes qu’aux élections nationales générales. L’existence et la progression du populisme sont inexorablement liées aux contradictions non seulement des démocraties libérales contemporaines, mais aussi de nos sociétés au sens plus large.

Plus généralement, l’on peut affirmer que le populisme varie dans son impact : selon les cas, il peut jouer le rôle de « correctif » ou de « menace » à la démocratie représentative [28]. D’un côté, les populistes donnent en effet la parole à des groupes qui ne se sentent pas représentés par les élites, et cette tendance peut contribuer à augmenter la capacité de réaction de ces dernières. De l’autre, toutefois, l’importance accordée à la souveraineté populaire et aux pratiques de démocratie directe contribue certainement à la délégitimation des systèmes politiques contemporains. Cet impact ambivalent du populisme est évident dans le cas du M5S, lequel est vu par ses soutiens comme un élément de participation et de démocratisation, mais se caractérise parallèlement par un clair impact déstabilisant sur le système politique, en particulier du fait de son refus de coopérer avec les partis préexistants.

Le M5S demeure un unicum européen. Même s’il présente quelques similitudes avec les partis pirates sur la e-democracy et avec les indignados pour l’accent mis sur la participation, il diffère sensiblement de ceux-ci par la forte centralisation organisationnelle dont dispose son leader charismatique et par ses propositions programmatiques. À cet égard, la nature particulière du profil idéologique du M5S représente justement la principale inconnue pour son avenir. En effet, là où le succès électoral a conduit à une adaptation organisationnelle et à l’émergence de nouvelles personnalités, comme Luigi Di Maio et Alessandro Di Battista, les autres choix stratégiques concernant l’orientation programmatique ne sont toujours pas résolus. Cela paraît évident au regard de la récente tentative du M5S d’intégrer le groupe parlementaire européen ADLE (Alliance des démocrates et libéraux pour l’Europe). En effet, le vote en ligne des inscrits en faveur de cette intégration (78,5 %) a provoqué de nombreux désaccords au sein du mouvement, et la tentative s’est conclue par un échec. L’ADLE a en effet rejeté la candidature du M5S, qui a été à son tour contraint de faire machine arrière et de revenir dans le groupe eurosceptique EFDD (Europe de la liberté et de la démocratie directe), dirigé par Nigel Farage. Une redéfinition programmatique du M5S sera également nécessaire dans le contexte du système politique italien, en vue d’une éventuelle participation à un futur gouvernement du pays. Cependant, précisément du fait sa nature quasi idéal-typique d’acteur ayant fondé son identité sur la critique féroce des partis existants et sur le refus de faire affaire avec eux, tout choix de coalition éventuel – si tant est qu’il ait lieu – déclenchera très probablement une spirale des conflits internes, laquelle pourrait mettre également en péril l’unité du M5S et ouvrir la voie à de possibles scissions.


  • [1] Voir Marco Almagisti, Luca Lanzalaco et Luca Verzichelli, La transizione politica italiana. Da Tangentopoli a oggi, Rome, Carocci, 2014.
  • [2] NdT : en français dans le texte.
  • [3] Voir Guy Hermet, Les populismes dans le monde. Une histoire sociologique, XIXe-XXe siècle, Paris, Fayard, 2001.
  • [4] Voir Mattia Zulianello, « Anti-System Parties Revisited : Concept Formation and Guidelines for Empirical Research », Government and Opposition, 10 mai 2017.
  • [5] Voir Pietro Orsatti, « Grillo e il suo spin doctor : la Casaleggio Associati », MicroMega, vol. 25, n° 5, 2010.
  • [6] Roberto Biorcio et Paolo Natale, Politica a 5 Stelle, Milan, Feltrinelli, 2013, p. 28.
  • [7] Voir Lorenzo Mosca, « The Five Star Movement : Exception or Vanguard in Europe ? », The International Spectator, vol. 49, n° 1, 2014.
  • [8] Voir Mattia Zulianello, « When political parties decide not to govern : party strategies and the winners and losers of the Monti technocratic government », Contemporary Italian Politics, vol. 5, n° 3, 2013.
  • [9] Voir Filippo Tronconi, Beppe Grillo’s Five Star Movement, Farnham, Ashgate, 2015.
  • [10] Cas Mudde, « The populist zeitgeist », Government and opposition, vol. 39, n° 4, 2004, p. 543.
  • [11] « Comunicato politico trentatre », Il Blog di Beppe Grillo, 11 avril 2010.
  • [12] Beppe Grillo, A riveder le stelle, Milano, Rizzoli, 2010, p. 10.
  • [13] Voir Mattia Zulianello, « Analyzing party competition through the comparative manifesto data : some theoretical and methodological considerations », Quality & Quantity, vol. 48, n° 3, 2014.
  • [14] « Il M5S non è di destra né di sinistra », Il Blog di Beppe Grillo, 11 janvier 2013.
  • [15] Marco Tarchi, L’Italia populista : dal qualunquismo a Beppe Grillo, Bologne, Il Mulino, 2015, p. 338.
  • [16] Peter Učeň, « Parties, populism, and anti-establishment politics in East Central Europe », SAIS Review of International Affairs, vol. 27, n° 1, 2007.
  • [17] Ibid., p. 54.
  • [18] « L’euro uccide le imprese », beppegrillo.it.
  • [19] « Come si esce dall’euro », beppegrillo.it.
  • [20] « Non statuto del Movimento 5 Stelle », également disponible sur beppegrillo.it, art. 4.
  • [21] Giovanni Sartori, Parties and party systems : A framework for analysis, Colchester, ECPR Press, 1976, p. 62.
  • [22] « Non statuto del Movimento 5 Stelle », art. 4.
  • [23] Mauro Calise, « The personal party : an analytical framework », Italian Political Science Review / Rivista Italiana di Scienza Politica, vol. 45, n° 3, 2015.
  • [24] Filippo Tronconi, op. cit., p. 5.
  • [25] Simone Natale et Andrea Ballatore, « The web will kill them all : new media, digital utopia, and political struggle in the Italian 5-Star Movement », Media, Culture & Society, vol. 36, n° 1, 2014, p. 108.
  • [26] NdT : en anglais dans le texte.
  • [27] Colin Crouch, Postdemocrazia, Rome / Bari, Laterza, 2003, p. 6.
  • [28] Cas Mudde et Cristóbal Rovira Kaltwasser, Populism in Europe and the Americas : Threat or Corrective for Democracy ?, New York, Cambridge University Press, 2012.