Le Chili, nouvel émergent de la transition énergétique ?

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  • Christophe-Alexandre Paillard

    Christophe-Alexandre Paillard

    ACHC, EHN2 auprès du préfet de la Haute-Savoie, maître de conférences à Science-Po Paris et Sciences-Po Lille, chercheur associé de l’Université Bernardo O’Higgins (UBO, Santiago, Chili)

Au-delà de ces questions organisationnelles des conférences climatiques et du nouveau positionnement du Brésil sur la scène internationale, ce revirement met aussi en lumière l’importance qu’attache aujourd’hui le Chili à la protection de l’environnement, toutes tendances politiques confondues, et à la nécessité de lutter concrètement contre les changements climatiques en cours. Cette position actuelle n’était pas forcément évidente à l’examen des politiques publiques économiques, énergétiques et environnementales de ces trente dernières années. Le Chili dispose, en effet, d’un modèle économique fortement exportateur, basé sur l’exploitation de ses ressources naturelles, minières, agricoles et halieutiques, destiné à soutenir la croissance et à faire du pays un État développé capable de rejoindre les pays les plus économiquement avancés du monde, au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dont il est membre depuis le 11 janvier 2010. Le rapport de l’OCDE consacré aux performances environnementales du Chili rappelle d’ailleurs que « la demande totale d’énergie du Chili est assurée pour un tiers par des sources renouvelables ; ce qui le place au cinquième rang des pays de l’OCDE dans ce domaine – dont les principales sont le bois de feu et l’hydroélectricité. Les émissions de gaz à effet de serre ont néanmoins augmenté de 23 % entre 2000 et 2010, et cette hausse devrait se poursuivre. En 2015, le Chili s’est engagé à réduire l’intensité de ces émissions de 30 % par rapport à 2007 d’ici à 2030, voire de porter l’objectif à 45 % si le soutien financier international est suffisant » [2]. L’intérêt manifesté par le Chili pour ces questions de lutte contre les changements climatiques et d’énergie renouvelable s’explique aussi par le fait que ce pays, doté de très importantes ressources minières, est au cœur de la révolution énergétique du XXIe siècle, du fait de l’utilisation massive de métaux dans toutes les technologies « vertes » liées à la transition énergétique et de l’usage croissant de batteries largement constituées de lithium, dont il est le premier producteur et exportateur mondial.

Conscient de l’importance des changements énergétiques, climatiques et miniers actuellement en cours dans le monde, le Chili est donc aujourd’hui à la recherche d’un équilibre entre la nécessité de poursuivre sa stratégie exportatrice de matières premières, qui lui a si bien réussi ces trente dernières années, tout en assurant une meilleure protection de son environnement naturel. Cette stratégie passe, entre autres, par un plus large recours aux énergies renouvelables, ainsi que par la gestion d’une richesse minière qui peut être à la fois une chance, pour continuer de soutenir le développement du pays, et une malédiction, si ces ressources développent les convoitises extérieures ou l’empêchent de diversifier son économie par un phénomène bien connu de « maladie hollandaise » [3], soit une trop grande dépendance aux revenus tirés des matières premières.

Le modèle économique exportateur choisi par le Chili répond à trois objectifs destinés à moderniser le pays, en le dotant des moyens de financer cette modernisation. Il s’agit de créer les bases d’une économie industrielle lui permettant de ne plus être qu’un simple exportateur de matières premières ; de créer un modèle social avancé en réduisant les inégalités sociales qui restent importantes, malgré des progrès plus que significatifs et qui font de ce pays un exemple pour l’Amérique latine ; de faire appel aux investisseurs et aux États étrangers pour soutenir ce modèle de développement en en faisant des partenaires économiques et commerciaux stables, de long terme et désireux d’investir au Chili du fait de son attractivité économique, fiscale et juridique.

L’environnement, par construction, restait donc le parent pauvre de ce modèle économique, mais deux éléments-clés sont venus bouleverser ce schéma au cours des dix dernières années. Tout d’abord, les autorités chiliennes se sont rapidement rendu compte que les richesses naturelles du pays, ses parcs, ses forêts, ses paysages, le désert d’Atacama, des sites exceptionnels d’observation de l’Univers comme ceux du Cerro Paranal, ainsi qu’une faune marine et terrestre particulièrement riche pouvaient constituer d’indéniables atouts pour son développement, par exemple pour la construction d’un tourisme haut de gamme. Il est donc apparu nécessaire de développer une politique plus favorable à la protection de cet environnement privilégié, malgré certains ratés récents. Ainsi, l’affaire des 690 000 saumons massivement traités aux antibiotiques et échappés, en juillet 2018, de l’immense ferme d’élevage de Punta Redonda, dans la région de Los Lagos, justement privilégiée pour la qualité de son environnement et ses beautés naturelles, est venue rappeler qu’il n’était pas franchement évident de concilier une politique environnementaliste volontariste avec un modèle de développement économique massivement exportateur, basé par exemple sur un élevage très intensif de poissons principalement destinés au marché chinois.

Ensuite, le Chili, en raison de son positionnement géographique – il s’étire sur plus de 4 300 kilomètres du Nord au Sud –, de ses spécificités climatiques – son étirement fait qu’il possède une très grande variété de climats et de sites très propices à l’hydraulique, au solaire et à l’éolien – et de ses richesses minières stratégiques, essentielles à l’industrie de la transition énergétique vers une économie mondiale moins carbonée, se tourne de plus en plus vers les énergies renouvelables. Le pays a aussi fait ce choix parce qu’il ne disposait pas de ressources énergétiques carbonées propres en quantités significatives, à l’exception de gisements de gaz et de pétrole en Patagonie et en Terre de Feu chiliennes. Le Chili doit donc importer ces ressources fossiles de pays tiers, par exemple du gaz naturel d’Argentine, pour fournir de l’énergie à son industrie minière. En 2017, les énergies fossiles représentent encore 78,86 % de sa consommation intérieure brute d’énergie primaire. Le dynamisme de son économie et le recours croissant à des énergies fossiles importées ont d’ailleurs conduit à une hausse des émissions de gaz à effet de serre de 3,7 % entre 2006 et 2016 [4], liée à l’augmentation de la consommation de ces ressources fossiles pour soutenir sa croissance.

Si l’importance croissante des énergies renouvelables dans le bilan électrique du pays est réelle – environ 43 % du total –, elle ne doit pas masquer l’essentiel : le Chili a encore massivement recours aux énergies carbonées du fait du poids du secteur des transports routiers, de la hausse du niveau de vie et de la généralisation parmi sa population d’appareils fortement consommateurs d’électricité (climatisation, moyens bureautiques, téléphones portables, etc.), et de la croissance de besoins déjà massifs en énergie de son industrie minière pour répondre à la demande mondiale en métaux. Le Chili n’est donc pas tout à fait l’« eldorado » des énergies renouvelables [5], même s’il est effectivement en avance par rapport à la moyenne des pays de l’OCDE. D’autres États membres de cette organisation sont beaucoup plus en retard, à l’exemple du Mexique, dont la production d’énergie primaire venue des énergies renouvelables était limitée à 8,7 % du total en 2016, alors que la part des renouvelables dans la production d’électricité stagnait à 15,3 % du total, selon les estimations faites par l’Agence internationale de l’énergie (AIE).

Le Chili dispose d’une palette variée d’énergies renouvelables, principalement de l’hydroélectrique, qui occupe une place spécifique dans le bilan énergétique chilien. En effet, cette forme d’énergie couvre 26 % des besoins électriques du pays, contre 6 % pour le solaire et l’éolien, avec plus ou moins 6 % de la consommation intérieure brute d’énergie primaire du pays pour l’hydroélectricité, contre un peu plus de 1 % pour le solaire et l’éolien en 2016 [6]. Le document de politique nationale de l’énergie pour 2050, intitulé Energía 2050 : política energética de Chile, publié en 2015 [7], fixe toutefois un cadre énergétique de long terme s’appuyant sur quatre grandes priorités que sont la qualité et la sécurité de l’approvisionnement, l’énergie au service du développement, la promotion d’énergies favorables à l’environnement et l’efficacité énergétique / l’éducation aux problématiques énergétiques. Conséquence de cette orientation, le gouvernement chilien s’est engagé, en janvier 2018, à se passer du charbon pour produire de l’électricité à l’horizon 2050. En 2016, le charbon reste cependant la principale source de production électrique, avec 42 % du total. 28 centrales fonctionnant au charbon, d’une capacité cumulée de 4,8 gigawatts (GW), doivent fermer d’ici 2050 si elles ne sont pas équipées à cet horizon de systèmes de capture et de stockage de dioxyde de carbone (CO2), ce qui en fait tout de même un objectif vague et plutôt lointain.

L’hydroélectricité occupe une place privilégiée dans l’industrie chilienne des énergies renouvelables, en raison du nombre de sites propices à la construction de barrages au Sud du pays. La région du Río BíoBío possède, par exemple, les barrages de Ralco (764 mégawatts [MW]), de Pangue (456 MW) et d’Angostura (320 MW). Toutefois, en 2013, le développement des barrages hydroélectriques a connu un arrêt brutal. Le projet HidroAysén de construire cinq barrages hydroélectriques sur les fleuves Baker et Pascua, dans la région d’Aysén, en Patagonie chilienne, d’une capacité totale estimée de 2,75 GW, a profondément heurté l’opinion publique. De fait, ce projet pharaonique, approuvé le 9 mai 2011 par le président Miguel Juan Sebastián Piñera Echenique, aurait eu des conséquences sur l’existence de onze réserves naturelles et de six parcs nationaux. 4 000 habitants devaient également être déplacés et relogés. Entre 6 000 et 10 000 hectares devaient être engloutis sous les eaux et le transport de l’électricité issue de ces barrages jusqu’à la région de Santiago, à 2 200 kilomètres plus au Nord, supposait l’installation d’au moins 1 500 pylônes de grande hauteur pour construire les lignes à haute tension nécessaires. Un milliardaire américain, Douglas Rainsford Tompkins, propriétaire du parc naturel de Pumalin en Patagonie, fondateur des marques Esprit et The North Face, et décédé en décembre 2015, menait d’ailleurs depuis 2006 une campagne intitulée « Patagonie sans barrage » contre les deux porteurs du projet HidroAysén, l’espagnol Endesa, propriété du groupe italien Enel, et le chilien Colbún SA, électricien et entreprise gestionnaire de barrages, créée en 1982 et privatisée en 1997. Dans ces conditions, la présidente chilienne d’alors, Michelle Bachelet, avait choisi, en juin 2014, d’arrêter ce projet. L’actuel président, Miguel Juan Sebastián Piñera Echenique, réélu en décembre 2017 après un premier mandat entre 2010 et 2014, malgré ses positions de 2011, n’a pas donné de nouvelles suites au projet du fait de la décision conjointe prise le 17 novembre 2017 par les entreprises Endesa et Colbún SA de l’arrêter définitivement.

Heureuse pour l’environnement de la Patagonie, cette décision a toutefois eu pour conséquences d’arrêter les projets hydroélectriques chiliens, de ne pas utiliser plus avant son important potentiel hydroélectrique et de s’en remettre à ce stade aux énergies carbonées pour continuer d’assurer l’approvisionnement électrique du pays et soutenir la croissance économique. Ces incertitudes énergétiques ont d’ailleurs lourdement pesé dans le choix de construire un immense terminal de gaz naturel liquéfié sur le site de Mejillones, dans la région d’Antofagasta, au Nord du territoire, pour fournir en électricité l’industrie minière du désert d’Atacama, en particulier les mines de cuivre, première richesse du pays. Mis en service en 2010, ce site, construit et géré par l’entreprise française ENGIE, dispose d’une capacité de stockage de 187 000 mètres cubes. Son importance et son succès ont aussi contribué à relancer l’exploration gazière en Patagonie, à l’Ouest de Punta Arenas, en Terre de Feu.

Autre conséquence à plus long terme, le Chili recourt à l’importation de charbon bon marché en provenance d’Australie ou de Colombie, ralentissant de facto sa transition énergétique du fait du faible coût et des facilités d’usage qu’offre cette énergie fossile. Par ailleurs, la production nationale de charbon a été relancée en 2013 dans l’île Riesco, avec les entreprises Copec, une société holding créée en 1934, gestionnaire de stations d’essence, d’oléoducs et productrice de cellulose, et Ultramar, une société maritime chilienne de transport. Le groupe australien Carbon Energy Ltd, que le gouvernement chilien a encouragé à investir au Chili [8], fait partie de ces groupes qui s’intéressent aussi à la relance de l’industrie charbonnière chilienne dans le Sud du pays, tout particulièrement dans les régions du Río BíoBío et de Valdivia, sur les secteurs de Los Ríos et de Los Lagos. Le Chili est donc pour le moment bien loin des objectifs de passage à une économie décarbonée, car sa croissance économique reste largement tributaire du recours massif aux énergies carbonées, en particulier dans les deux secteurs-clés que sont les transports et l’industrie minière.

Malgré le coup d’arrêt donné à l’énergie hydroélectrique et la faible probabilité de voir les projets décrits ci-dessus relancés, le Chili tente aujourd’hui d’accroître la part des énergies renouvelables, essentiellement le solaire, dans son mix énergétique. Le Chili dispose, en effet, au Nord de son territoire, du désert d’Atacama, qui présente le taux d’irradiation solaire le plus élevé au monde, avec 300 jours d’ensoleillement par an ; une région tout à fait privilégiée pour installer des centrales photovoltaïques, le rendement des panneaux solaires y étant par exemple le double de celui de leurs homologues français. D’ailleurs, en décembre 2016, Électricité de France (EDF) a inauguré la centrale solaire de Boléro, dans le désert d’Atacama. Cette ferme solaire de 146 MW est la plus importante jamais construite par le groupe et il s’agit de la troisième en importance du Chili. Elle est composée de près de 500 000 panneaux solaires, sur une surface de 500 hectares, soit l’équivalent de 700 terrains de football, et doit permettre d’alimenter en électricité quelque 190 000 foyers.

La qualité des rendements photovoltaïques chiliens attire donc les investisseurs étrangers, qui sont également séduits par la stabilité juridique, économique et politique du pays. Ils se heurtent toutefois au système social chilien, qui est très largement constitué d’oligopoles, aussi bien dans la distribution alimentaire que dans la distribution électrique. Quatre compagnies se sont longtemps partagé ce marché, l’américain AES-Gener, le chilien Colbún SA, l’italien Enel et le français ENGIE, qui possède au Chili une capacité de production de 3,1 GW dans des actifs thermiques comme le gaz et le charbon. Cette situation explique les prix élevés de l’électricité dans le pays, soit en moyenne 88 euros le coût du mégawattheure (MWh). Mais les acteurs du solaire et de l’éolien bousculent ce marché. Ainsi, en août 2016, un appel d’offres pour des projets de génération d’énergie, toutes technologies confondues, y compris des renouvelables, a conduit à l’établissement d’un tarif d’achat record pour l’électricité solaire, soit 29,10 dollars/MWh. Dans ces conditions, et du fait de l’existence d’un marché solide et en expansion, y compris dans les années à venir chez certains voisins du Chili, comme le Pérou et l’Argentine, les investissements devraient se poursuivre. Le gouvernement chilien souhaite atteindre 70 % d’énergies renouvelables dans la production électrique nationale d’ici à 2050, suivant les objectifs arrêtés par Energía 2050 : política energética de Chile.

À l’inverse du solaire, qui est effectivement promis dans les prochaines années à d’importants développements au Chili, l’éolien reste aujourd’hui en retrait, malgré de récents investissements. Les premiers parcs éoliens chiliens ont été construits à Canela I (18 MW) et Canela II (69 MW), dans la province de Coquimbo, à la limite Sud du désert d’Atacama et mis en service en 2007. Le parc éolien d’El Arrayán (115 MW), le plus puissant du Chili, a été mis en service en 2014, à 400 kilomètres au Nord de Santiago, pour alimenter en électricité la mine de cuivre de Los Pelambres. Comme pour le solaire, EDF s’est lancée dans ce secteur avec la construction, à partir de février 2017, du parc de Cabo Leones (115 MW), dans le désert d’Atacama.

Ces quelques exemples montrent cependant que le Chili est largement tributaire d’investisseurs étrangers et de technologies étrangères, pour les panneaux solaires comme pour les éoliennes, ce qui pourrait en fait accroître sa dépendance énergétique ou industrielle dans les prochaines années. Le pays dispose toutefois d’un argument de poids dans ses négociations, l’importance de ses richesses minières nécessaires au développement mondial du transport électrique, du stockage et des futures technologies liées aux énergies renouvelables.

Les considérables ressources minières dont dispose le Chili peuvent être un outil de négociation pour implanter de futures industries de construction de technologies liées aux renouvelables. Comme le rappelle le rapport de la Banque mondiale intitulé The Growing Role of Minerals and Metals for a Low-Carbon Future, publié en juillet 2017, le Chili sera un acteur-clé de la transition énergétique du fait de ses ressources en cuivre et en lithium [9], un métal essentiel à la production de batteries, au vu de l’essor des voitures électriques, mais aussi de ses réserves critiques de rhénium et de molybdène. Ces métaux, tout comme les 17 métaux de la famille des terres rares, sont indispensables à cette transition.

Le Chili détient en effet 46 % des réserves mondiales de lithium actuellement considérées comme exploitables [10], contre 38 % pour la Bolivie, 20 % pour la Chine, 17 % pour l’Australie et 12,5 % pour l’Argentine. Les réserves mondiales varient de 15 à 25 millions de tonnes. Mais la Bolivie n’exploite que marginalement ses ressources en lithium concentrées dans le salar d’Uyuni, une ancienne mer intérieure devenue un désert de sel de 12 000 kilomètres carrés [11]. Cette quasi-absence d’exploitation en Bolivie représente, à terme, un véritable risque d’étranglement pour l’industrie mondiale, surtout en cas de forte croissance du marché des voitures électriques, même si, le 6 février 2019, l’État bolivien, l’entreprise d’État bolivienne YLB et l’entreprise chinoise Xinjiang TBEA Group Co., Ltd ont signé un contrat d’une valeur de 2,3 milliards de dollars pour le développement et l’exploitation du lithium bolivien.

En 2017, le Chili a perdu sa place de premier producteur mondial, avec 32,8 % de la production de ce métal alcalin – sur un total global de 45 000 tonnes –, contre 43,5 % pour l’Australie, 7 % pour la Chine et 13 % pour l’Argentine. Le Chili et l’Australie sont donc actuellement les deux producteurs-clés mondiaux [12]. La demande de lithium a explosé ces quinze dernières années, notamment pour la production de batteries lithium-ion pour le marché de l’informatique, la téléphonie ou l’industrie automobile. Les batteries et piles au lithium de type lithium-ion sont plus légères et performantes que les batteries de précédente génération à base de nickel-hydrure métallique [13].

Plus largement, et au-delà du lithium, le Chili apparaît comme l’un des acteurs centraux du commerce mondial des métaux. Il joue d’ailleurs un rôle significatif sur différents marchés, tels que ceux du cuivre, du molybdène, du rhénium, du sélénium et de l’argent, à la fois comme producteur, mais aussi comme détenteur de réserves minérales essentielles à l’économie de la transition énergétique. Ainsi, le molybdène, miné directement ou comme sous-produit de l’exploitation minière du cuivre, est utilisé dans les alliages de haute résistance et les aciers de haute température, mais également comme support du silicium pour la réalisation de semi-conducteurs de puissance, grâce aux coefficients de dilatation très voisins de ces deux matériaux, dans les écrans à cristaux liquides (LCD) et les panneaux photovoltaïques, car il est un excellent conducteur de chaleur et d’électricité. En 2016, la Chine détenait 42 % des réserves mondiales, devant les États-Unis, avec 27 %, et le Chili, avec 12 %. En 2017, selon l’Institut d’études géologiques des États-Unis (USGS), la production était assurée à 45 % par la Chine, à 15 % par les États-Unis et à 20 % par le Chili.

Enfin, le Chili est le premier producteur de rhénium, avec 52 % du total mondial, devant les États-Unis, avec 16 %, et la Pologne, avec 17 %, sur un total mondial de 52 tonnes produites en 2017. Le Chili détient, par ailleurs, les premières réserves mondiales connues avec 52 % du total, devant les États-Unis et la Russie. Le rhénium est tiré de la molybdénite, sous-produit de l’extraction du cuivre, et constitue l’un des métaux les plus rares au monde. Découvert en 1925, il est aujourd’hui essentiellement utilisé par l’industrie aérospatiale pour créer des alliages qui résistent à de très hautes températures, par exemple pour la fabrication de superalliages pour les ailettes des turbines des moteurs d’avion, et de plus en plus dans les turbines des centrales électriques, là aussi pour fabriquer des ailettes. Mais, la production mondiale n’étant que de 50 tonnes par an, le risque de pénurie est réel et les trois principaux motoristes de l’industrie aéronautique (General Electric, Rolls Royce et Pratt & Whitney) en achètent l’essentiel, laissant peu de place à tout nouvel entrant ou à une utilisation plus massive dans l’industrie électrique au détriment des moteurs d’avion.

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La lutte contre les changements climatiques passera donc inévitablement par le Chili, conduisant à faire de ce pays un enjeu géopolitique majeur pour la stabilité mondiale. Santiago s’y prépare et renforce d’ailleurs largement son outil de défense, entre autres avec l’aide de la France, pour se protéger d’éventuelles convoitises de puissances tierces. Sa sécurité future est à ce prix.

  • [1] Voir l’article que consacre le quotidien brésilien O Globo à cette décision de ne pas organiser la COP25 au Brésil en 2019 : André de Souza, Eduardo Bresciani et Mateus Coutinho, « Bolsonaro diz que pediu cancelamento da COP-25 no Brasil e cita “Triplo A” », O Globo, 28 novembre 2018.
  • [2] Voir le rapport de l’OCDE, OECD Environmental Performance Reviews : Chile 2016, Paris, Éditions OCDE, juillet 2016.
  • [3] La « maladie hollandaise » est un phénomène économique qui relie l’exploitation des matières premières au déclin de l’industrie manufacturière et de l’agriculture. L’accroissement des recettes d’exportations tirées de la vente des matières premières, comme le pétrole ou le gaz, provoque l’appréciation de la devise et la création d’une économie de rente, peu diversifiée, qui, à plus long terme, favorise la mauvaise gouvernance, la corruption, la perte de compétitivité et entraîne finalement un déclin socioéconomique global du pays.
  • [4] Pour ces chiffres, voir la 67e édition de la BP Statistical Review of World Energy, publiée en juin 2018.
  • [5] Voir « Le Chili, nouvel eldorado des énergies renouvelables ? », Connaissances des énergies, 7 février 2018 (en ligne).
  • [6] Ces ordres de grandeur sont tirés des rapports annuels de l’Agence internationale de l’Énergie (AIE), en particulier le World Energy Outlook, et le rapport de l’AIE publié sur le Chili en 2018, Energy policies beyond IEA countries, Chile 2018, qui détaille très largement ce qu’est et ce que sera la politique énergétique chilienne.
  • [7] Ministerio de Energia, Energía 2050 : política energética de Chile, Santiago, Gobierno de Chile, 2015.
  • [8] Le gouvernement chilien déploie, depuis la mise en place de la dictature militaire en 1973, une stratégie économique favorisant les investissements et l’implantation d’entreprises étrangères. L’OCDE considère d’ailleurs le Chili comme étant l’un des pays les plus sûrs et les plus favorables aux investissements étrangers. À titre d’exemple, les entreprises françaises investissent de plus en plus au Chili, à l’image d’Alstom pour la modernisation du métro de Santiago, ou d’Aéroports de Paris et de Vinci, qui ont pris en main la rénovation et la gestion de l’aéroport international de Santiago Arturo-Merino-Benítez pour une durée de vingt ans.
  • [9] Voir Christophe-Alexandre Paillard, « Le Chili a-t-il rejoint le premier monde ? », Diplomatie, n° 95, novembre-décembre 2018 ; « Entreprises minières, des acteurs incontournables tributaires de la demande mondiale », Grands Dossiers Diplomatie, n° 28, octobre-novembre 2015 ; « Minerais stratégiques, un enjeu majeur dans la guerre économique mondiale », Grands Dossiers Diplomatie, n° 24, décembre 2014-janvier 2015 ; « Le Chili, pays clef pour les minerais stratégiques », Géoéconomie, n° 59, Institut Choiseul, automne 2011 ; et « La Bolivie peut-elle bouleverser le marché du lithium ? », in Les nouvelles guerres économiques, Paris, Ophrys, 2011, pp. 236-241.
  • [10] En raison de sa très grande réactivité chimique, le lithium n’existe pas à l’état natif dans le milieu naturel et ne s’y trouve que dans des composés le plus souvent ioniques. On l’extrait de minéraux de type pegmatite, ainsi que d’argiles et de saumures, ce qui explique sa forte concentration dans les bassins salés du désert d’Atacama et des hauts plateaux andins (Argentine, Bolivie et Chili). Il est produit industriellement par électrolyse d’un mélange de chlorure de lithium et de chlorure de potassium.
  • [11] Une usine-pilote de lithium a été ouverte à Llipi, dans le salar d’Uyuni, et produit du carbonate de lithium depuis 2013.
  • [12] Les chiffres de production et ceux des réserves des différents métaux cités dans cette partie varient considérablement d’un organisme à l’autre. L’USGS reste la référence pour ces évaluations dans ses Mineral Commodity Summaries (janvier 2018).
  • [13] La Chine cherche par tous les moyens à pénétrer le marché chilien et à contrôler les productions minières de ce pays. En novembre 2018, le Tribunal de la Libre Competencia (TDLC) chilien a permis à l’entreprise chinoise Tianqi de racheter 24 % des parts de SQM (Sociedad Mineria y Quimica de Chile) au canadien Nutriem. On peut également citer le rachat de 27 % de Transelec, entreprise génératrice d’électricité ; l’association entre Sigdo Koppers et China Railways Group Limites pour un projet de train entre Santiago et Valparaíso ; ou encore l’achat à hauteur de 12,5 % de Fósforo, entreprise d’allumettes.