La corruption institutionnelle au sein du sport international : phénomène nouveau, problèmes anciens ? / Par Pim Verschuurren

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Ces derniers mois ont vu la révélation de plusieurs grands scandales de corruption touchant les plus hautes instances du sport international. En 2015, les États-Unis et la Suisse ont en effet ouvert deux instructions judiciaires à l’encontre de dirigeants de la Fédération internationale de football association (FIFA), organe régulateur du football à l’échelle planétaire, notamment pour des faits de corruption. Une procédure disciplinaire interne a également été entamée, conduisant en quelques mois à la suspension, entre autres, du président de l’organisation, Joseph Blatter, et de l’un de ses vice-présidents, Michel Platini, par ailleurs à la tête de l’Union des associations européennes de football (UEFA). Quelques semaines après les premières arrestations à la FIFA, l’Association internationale des fédérations d’athlétisme (IAAF) était, à son tour, visée par un rapport d’investigation de l’Agence mondiale antidopage (AMA) révélant des pratiques de dopage organisé et, surtout, du racket et de la corruption de la part de responsables de l’organisation. Enfin, des journalistes britanniques ont récemment accusé publiquement l’Association des joueurs de tennis professionnels (ATP) d’avoir volontairement enterré, au cours des dix dernières années, de nombreuses et sérieuses accusations de manipulations de rencontres du circuit. Sans susciter le même intérêt médiatique, une enquête avait également été ouverte en 2013, en Allemagne, contre le président de la Fédération internationale de handball (IHV) et en 2015, au Brésil, contre le président de la Fédération internationale de volley-ball (FIVB). Si l’on y ajoute les récentes affaires de matchs truqués qui ont touché le tennis en Belgique, le cricket en Inde ou le football au Canada, le sport international est empêtré dans un grave problème d’image, qui se double d’un problème de légitimité, tant se pose la question de savoir si les organisations sportives internationales ne seraient pas culturellement contaminées par l’argent sale et la corruption, et si elles sont véritablement en mesure de répondre aux exigences de transparence et d’assainissement.

Progrès et archaïsme

L’histoire de ces instances internationales est brève et singulière. Ces organisations ont toutes moins de cent vingt-cinq ans [1] et sont restées des associations non gouvernementales dont le but officiel est d’organiser la pratique et la compétition de disciplines sportives. Nées d’initiatives privées, elles ont dû s’imposer pour devenir les instances régulatrices officielles de leurs disciplines et sont aujourd’hui en situation de quasi-monopole : souvent, elles interdisent ou empêchent les athlètes ou les équipes de participer à des compétitions qu’elles n’ont pas homologuées. Au-delà de cet aspect, les autorités sportives ont aussi progressivement cherché à renforcer leur indépendance et à se protéger de toute régulation étatique du sport, dans l’objectif de se prémunir des tentatives d’instrumentalisation des compétitions, en s’appuyant notamment sur l’utilisation des Jeux olympiques de Berlin, en 1936, par la propagande nazie. Cette volonté d’autonomisation les a parfois poussées à nier les réalités politiques qui les rattrapaient, ainsi de la tenue des Jeux de Mexico 1968 malgré le massacre d’étudiants quelques semaines plus tôt ou de la poursuite des Jeux de Munich 1972 malgré la prise d’otages et l’assassinat, par un commando palestinien, de membres de l’équipe olympique israélienne. Elle a également eu pour conséquence des périodes de forte précarité financière.

Cette situation d’incertitude financière s’est résolue au cours des trente dernières années, de sorte que ces organisations génèrent aujourd’hui des revenus considérables, et en croissance constante. Prenons l’exemple de la FIFA : alors qu’elle ne survivait qu’avec environ 1 500 francs suisses annuels durant ses vingt premières années d’existence, ne générait que 1,5 million de revenus en 1970, puis 10 millions en 1989, elle a réalisé en 2014 plus de 2 milliards de recettes [2]. Ses revenus ont donc été multipliés par 200 en l’espace de trente ans. Cette croissance exponentielle est due aux contrats de sponsoring et de droits télévisuels, développés à partir de 1982. Là où la FIFA était financée à 85 % par les contributions de ses fédérations membres en 1930, ces participations représentaient moins de 1 % des revenus de l’organisation en 2002 [3].

Les Jeux olympiques ont connu une évolution financière similaire. Alors qu’aucun pays ne souhaitait organiser les Jeux de 1984, à l’exception des États-Unis, pour des raisons d’instabilités politiques – les deux précédentes Olympiades avaient été perturbées par les boycotts – et financières – les Jeux de Montréal de 1976 avaient créé un immense déficit financier pour la ville-hôte –, les Américains ont proposé de financer la compétition via le secteur privé, orchestrant un nouveau mode d’organisation à dimension fortement commerciale. Simultanément, le CIO a développé un programme de sponsoring recentré autour d’une dizaine d’entreprises-phares, permettant de multiplier ses revenus commerciaux, alors que les droits TV gonflaient parallèlement à la popularité des Jeux, qui gagnait les différentes couches sociales de la quasi-totalité des pays de la planète. Ainsi, les prochains Jeux de Rio de Janeiro vont générer plus de 5 milliards d’euros, dont 1,5 sera reversé au pays-hôte. Les revenus totaux annuels du CIO sont ainsi passés de 3,7 millions de francs suisses en 1980 à plus de 1,5 milliards aujourd’hui, et sont en grande partie conservés par le mouvement olympique – alors que ce sont les pays-hôtes qui doivent financer les Jeux olympiques et notamment leur sécurisation, poste de dépense majeur depuis le début des années 2000.

Si la manne financière perçue par ces organisations en charge du sport international est donc considérable, leur fonctionnement interne et leurs processus décisionnels n’ont pourtant que peu évolué. Les revenus financiers liés à la Coupe du monde de football ont ainsi été démultipliés, mais le mode de désignation de ses pays-hôtes reste le même : il s’agit toujours d’un vote anonyme de la vingtaine de personnalités qui composent le Comité exécutif de la FIFA. Une récente réforme, réalisée sous le poids des pressions extérieures, a toutefois promis que la prochaine désignation s’effectuera par un vote des 209 fédérations nationales. De même, au niveau budgétaire, les révélations des justices américaine et suisse ont confirmé ce que le journaliste d’investigation Andrew Jennings décrivait depuis plusieurs années déjà, à savoir que les hauts dirigeants de la FIFA bénéficiaient de comptes bancaires personnalisés internes à l’organisation, par lesquels transitaient de nombreux flux financiers liés aux contrats signés par elle. Les fraudes sont également faciles entre les fédérations nationales, les confédérations régionales et l’échelon mondial de la FIFA. Comme A. Jennings l’a également explicité, il a ainsi pu arriver que la FIFA offre à une confédération régionale des lots de diffusion télévisuelle largement en deçà des prix du marché afin qu’une marge importante puisse ensuite être réalisée sur leur revente. Les billets pour les rencontres de la Coupe du monde font également l’objet de trafics internationaux fortement lucratifs, comme l’a montré un scandale sur la billetterie du Mondial 2014. Entre outre, ce type de malversations a été révélé dans le cadre d’enquêtes extérieures à la FIFA, démontrant que les systèmes de contrôle ou d’audit financier internes ne sont pas suffisamment performants.

L’association danoise Play the Game publie chaque année un rapport et un classement sur la gouvernance des fédérations sportives internationales en intégrant quatre critères : la transparence et la communication publique, les procédures démocratiques, les contre-pouvoirs et la solidarité [4]. Sur les 35 fédérations analysées en 2015, seules quatre disposent d’un comité qui vérifie l’intégrité et le profil d’éventuels candidats à des hauts postes, 12 publient un audit financier, six ont des règles disciplinaires claires sur les règles de conflits d’intérêts, et aucune ne publie les rémunérations totales de ses dirigeants, ni n’attribue l’accueil des grandes compétitions selon une procédure transparente et objective évaluant les dossiers de candidature de façon indépendante. Notons pourtant que dans ce classement et selon ces critères, la FIFA apparaît comme la deuxième fédération la plus intègre.

Les fédérations sportives internationales souffrent donc d’un modèle de gouvernance archaïque, hérité d’une époque où la faiblesse des enjeux économiques n’imposait pas une gestion rigoureuse des budgets et des compétitions. La mutation financière du sport ne s’est pas accompagnée des réformes administratives et politiques nécessaires pour continuer à superviser les activités de façon saine et transparente, tout en dissuadant les tentatives individuelles ou collectives d’accaparement des revenus. Une double responsabilité incombe ainsi à ces organisations. D’une part, ce sont elles qui, depuis trente ans, ont systématiquement entrepris de commercialiser à outrance les compétitions sportives ; elles ont donc un devoir moral de se protéger des convoitises et des dérives suscitées par ce surplus financier. D’autre part, la jouissance de la position prédominante conférée par l’autonomie du sport et la revendication d’indépendance vis-à-vis du politique et des États imposent à ces organisations privées des obligations et des responsabilités supérieures à celles qu’on attend, par exemple, d’une multinationale. Car si le but de la multinationale est de réaliser du profit, celui d’une organisation sportive s’apparente aujourd’hui de plus en plus à une forme de service public, tant le sport se rapproche désormais de la définition du bien public.

Des investigations contrariées

Le fonctionnement artisanal, voire personnalisé de ces organisations nuit à la différenciation des actes de corruption d’actes de « copinage », de clientélisme ou de conflits d’intérêts. Des formes très variées de rétributions financières, matérielles ou informelles, ou de marchandages ont ainsi été constatées au cours des récentes affaires qui ont animé les chroniques médiatiques au sujet de l’attribution de contrats, de la désignation de villes ou pays-hôtes de compétitions sportives, ou dans le cadre d’élections ou de nominations au sein de ces instances. L’utilisation par les procureurs d’autres chefs d’inculpation, comme la gestion déloyale ou l’escroquerie, est aussi une conséquence de la difficulté des enquêteurs à prouver un acte de corruption, qui requiert de démontrer qu’un individu ou une entité a soudoyé ou tenté de soudoyer un représentant d’une autorité sportive. Par exemple, une pratique visiblement répandue est celle d’un pays candidat à la réception d’un événement sportif – un pays plutôt puissant, donc – promettant l’organisation d’un match amical, ce qui va permettre au représentant d’un petit pays de dégager – et de s’accaparer en privé – d’importants revenus liés aux droits TV sur cette rencontre. Il est alors difficile de savoir ce qui est contraire à l’éthique, ce qui est légal ou ne l’est pas, en fonction du contexte et de la juridiction concernée. Qui plus est, comment prouver que l’organisation de ce match amical a été réalisée en échange d’un vote, du reste anonyme ?

L’autre pierre d’achoppement pour les enquêteurs découle du caractère résolument international des organisations sportives. Dans le cas de la FIFA, des confédérations régionales et des fédérations nationales sont également impliquées dans les enquêtes judiciaires, ainsi que des entreprises et individus en tout endroit de la planète. Difficile alors pour les enquêteurs de suivre les flux d’argent, d’autant que l’absence de victime compromet souvent la chance de voir des investigations démarrer. En outre, le fait que les organisations sportives soient hébergées en Suisse n’a pas, jusque-là, aidé à l’encadrement de leurs activités. Les dirigeants sportifs étaient en effet immunisés de toute instruction judiciaire pour des faits de blanchiment d’argent jusqu’à décembre 2014, et pour des faits de corruption jusqu’à juin 2015. Il a fallu la soudaine enquête du Federal Bureau of Investigation (FBI) pour que le parquet fédéral suisse décide, pour la première fois de l’Histoire, de sérieusement provoquer un ménage interne à la FIFA.

Enfin, les institutions du sport international réunissent des acteurs variés, aux relations atypiques. Si les contrats peuvent mettre en relation des consultants, entreprises, dirigeants au niveau mondial, régional ou national, ces contacts conservent toujours un caractère privé et cloisonné, voire endogame. Un exemple caractéristique est celui du rôle des agents de joueurs. Ces individus représentent des personnes ou des clubs, et s’activent pour faciliter les transferts des premiers entre les seconds. Leur importance est capitale dans ces flux qui peuvent atteindre des dizaines de millions d’euros pour une seule vente. Or ces agents, souvent méconnus, pouvant d’ailleurs provenir de l’entourage des joueurs, ne sont quasiment pas contrôlés. La FIFA ayant récemment choisi de déléguer la régulation des transferts au niveau national, ce sont les différentes fédérations qui peuvent choisir de délivrer ou non des agréments à ces agents, ce qui est le cas en France – alors que pour les agents immobiliers ou d’autres formes d’intermédiaires, c’est l’État qui délivre et contrôle ces mêmes agréments. Mais une fédération sportive n’a ni les compétences juridiques ni les capacités techniques de contrôler l’identité et l’intégrité de ce type d’individus.

Par ailleurs, étant donné l’opacité administrative et l’absence de procédures pour favoriser et protéger les lanceurs d’alerte, la probabilité d’assister à des dénonciations internes d’éventuelles fraudes est faible. Les récents scandales institutionnels ont ainsi principalement été provoqués par des éléments extérieurs au sport. Des journalistes d’investigation soupçonnaient ou dénonçaient par exemple depuis plusieurs années les agissements internes à la FIFA. Mais il aura fallu une enquête du FBI pour confirmer ces accusations et pousser l’organisation à un ménage interne. En ce qui concerne le tennis, ce sont encore des journalistes qui ont relayé les informations accumulées par d’anciens policiers, qui avaient été mobilisés dans le cadre d’une enquête sur une rencontre frauduleuse en 2007-2008. Les médias ont aussi eu un rôle dans le scandale éclaboussant le monde de l’athlétisme, avant que l’AMA ne publie un rapport dénonçant les pratiques de dopage organisé de certains pays et les fraudes initiées par la fédération internationale.

Il apparaît donc qu’en l’état, le changement et la responsabilisation des grandes instances sportives internationales ne peuvent être provoqués sans une intervention externe et / ou sans un grand scandale qui viendrait accroître la pression extérieure. Organe suprême de la gouvernance sportive, le CIO avait lui aussi dû affronter un scandale lié aux attributions des Jeux olympiques d’hiver 1998 et 2002, pour lesquelles des pots-de-vin avaient été versés – sous la forme notamment de bourses d’études aux États-Unis et de voyages – à plusieurs membres de l’organisation. Ceux-ci ont été exclus et quelques nouvelles règles ont été instaurées, dont la plus sérieuse est l’interdiction faite aux membres du CIO de visiter les villes candidates et une certaine surveillance des comités de candidature.

De plus, en décembre 2014, un paquet de 40 réformes a été adopté sous le nom d’« Agenda 2020 », avec des objectifs variés, comprenant notamment la transparence et la modernisation de l’organisation, le renforcement de la variable de la « durabilité » des Jeux et la limitation de leur gigantisme. Il reste encore à voir les applications concrètes de ces vœux. En ce qui concerne l’attribution des prochaines Olympiades, peu de choses ont évolué, puisqu’elle s’effectue toujours par un vote à bulletin secret de 115 individus en grande partie cooptés, qui ne répondent qu’à eux-mêmes. Rien ne prouve que la durabilité de l’événement ou d’autres valeurs tout aussi louables feront parties de leurs principaux critères d’attribution.

L’autonomie et la morale

La série de scandales qui touche le sport institutionnel depuis quelques mois risque fort de se poursuivre dans le futur. Elle aura d’ores et déjà permis de mettre sur la table le sujet de l’autonomie sportive, principe que le mouvement sportif continue de défendre afin de protéger les compétitions et le sport en général de toute instrumentalisation politique de la part des États. Or, de façon volontaire ou non, l’autonomisation du sport a empêché la responsabilisation des autorités sportives, qui n’ont aujourd’hui de compte à rendre à personne. L’autonomie du sport est une notion elle-même politique, progressivement cultivée par les autorités sportives et d’autant plus défendue à partir des années 1980, non seulement en réponse aux boycotts politiques des Jeux olympiques, mais aussi à partir du moment où la commercialisation à outrance du sport a permis de générer des revenus considérables, qu’il était tentant de protéger de toute captation publique.

De plus, une fédération sportive n’est en théorie pas plus indépendante du politique que ne l’est une entreprise multinationale. Le rôle de la Suisse, qui héberge une soixantaine d’organisations sportives internationales, est primordial à cet égard. Le sujet de l’intégrité du sport international se rapproche ainsi du sujet de l’intégrité du commerce international, et de celui des paradis fiscaux et règlementaires, ces territoires fiscalement et juridiquement « attractifs », où le laxisme juridique et la faible coopération avec les services de police et de justice étrangers permettent de sanctuariser les entités et les personnes hébergées. Alors que la Suisse coopère de plus en plus avec les autorités de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en matière de lutte contre l’évasion fiscale, le pays semble aussi vouloir « lever le couvercle » de la gouvernance sportive. L’immunité des dirigeants sportifs pour les faits de corruption et de blanchiment ayant été récemment levée, l’instruction judiciaire ouverte en juin 2015 pour la fraude au sein de la FIFA peut apparaître comme le début d’une nouvelle ère, quelques années après que l’instruction judiciaire ouverte dans le cadre de l’affaire International Sport and Leisure (ISL) [5] n’eut pas abouti à une condamnation publique, les faits de corruption privée n’étant à l’époque pas interdits en Suisse [6]. Il semble donc qu’un mur d’impunité soit tombé en 2015, et que la relation qu’entretient le sport avec les autorités suisses soit sur le point de se normaliser. Ce changement règlementaire, auquel il faut ajouter la pression grandissante de l’opinion publique (médias, organisations non gouvernementales) et des responsables politiques, place les organisations sportives au pied du mur, devant le défi de la régulation, qui implique l’application de plusieurs mesures essentielles :

La première difficulté liée à la mise en place de ces réformes est que les dirigeants qui doivent les adopter et en superviser l’application sont ceux-là même qui ont été façonnés dans l’ancien système de gouvernance ou qui, pire, en ont personnellement profité. La deuxième difficulté est que ces réformes ne découlent pas tant d’une obligation juridique, mais d’une obligation morale. Celle-ci devrait pourtant s’imposer au-delà des normes et obligations réglementaires. Car à force d’avoir voulu neutraliser et universaliser les grands événements sportifs, les instances sportives ont contribué à en faire quasiment un bien public. Dès lors, l’organisation de ces compétitions et de toutes les activités liées à ces disciplines devient d’intérêt général, impliquant des responsabilités que l’on confère habituellement à des représentants d’organisations publiques. Or, la relation pouvoirs publics-mouvement sportif est principalement formalisée au niveau national. C’est à cet échelon que les organisations sportives se voient déléguer des missions de services publics – comme en France – et qu’est instauré un ensemble de relations financières – sous la forme de subventions – et politiques – comme pour les candidatures à la réception de grands événements sportifs – qui devrait être plus souvent utilisé par les autorités publiques pour responsabiliser le mouvement sportif. À titre d’exemple, un des articles de la récente Convention du Conseil de l’Europe contre la manipulation des rencontres sportives précise que les États pourraient envisager d’interrompre les subventions financières si les autorités sportives ne respectaient pas les engagements prévus par le traité dans la protection de l’intégrité des compétitions.

À l’inverse, au niveau international, aucun lien juridique ou politique ne permet d’engager la relation entre les gouvernements et le mouvement sportif dans son ensemble. La question de la gouvernance internationale du sport n’est donc pas traitée. Seule instance publique mondiale engagée sur le sport, l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) a refusé, par le biais de ses États membres, la mention du concept d’autonomie du sport dans sa Charte de l’éducation physique et du sport révisée en novembre 2015, pourtant réclamée par le mouvement sportif. Il revient ainsi aux États d’engager ce dernier, non pour remettre en cause son indépendance mais pour formaliser son statut et le mettre juridiquement devant ses responsabilités dans l’administration du sport.

Si l’accumulation de scandales à la tête du sport international ne doit pas donner à penser que l’ensemble du système sportif mondial est fondamentalement compromis, il n’est désormais plus possible, à l’inverse, de croire qu’il s’agit d’un épiphénomène criminel, tel qu’il existerait à la marge de n’importe qu’elle activité humaine financiarisée. Le système de gouvernance international du sport est le fruit d’une histoire politique particulière, qui lui a légué une certaine autonomie, pour ne pas dire immunité, dans la supervision des activités sportives. Il a aussi hérité d’une orientation politique prise au tournant des années 1980, à savoir la commercialisation immodérée des compétitions, qui a conduit au développement des enjeux financiers du sport. Les phénomènes de corruption institutionnelle sont donc un problème relativement nouveau pour les instances sportives internationales qui, sous une pression extérieure inédite, sont désormais contraintes de revoir leur modèle traditionnel de gouvernance hérité de leurs origines.


  • [1] Le Comité international olympique (CIO) a été créé en 1894, la FIFA en 1905, l’IAAF en 1912, la Fédération internationale de tennis (ITF) en 1913.
  • [2] Niall McCarthy, « FIFA’s Extraordinary Revenue Figures », Forbes, 27 mai 2015.
  • [3] FIFA, FIFA Financial Report 2003, Ordinary FIFA Congress, Paris, 20-21 mai 2004, p. 39.
  • [4] Arnout Geeraert, Sports Governance Observer 2015. The legitimacy crisis in international sports governance, Copenhague, Play the Game, octobre 2015.
  • [5] L’affaire ISL est liée à une entreprise de marketing sportif (ISMM-ISL) qui, jusqu’à sa faillite en 2001, gérait les droits médias de la FIFA. Le groupe aurait versé aux alentours de 160 millions de francs suisses de pots-de-vin au sein de la FIFA. La procédure judiciaire a été abandonnée en 2010, car la corruption privée n’était pas interdite en Suisse au moment des faits. Un accord confidentiel dévoilé plus tard a néanmoins contraint l’ancien président de la FIFA Joao Havelange et le président de la fédération brésilienne, Ricardo Texeira, à payer une amende étant donné qu’ils avaient tous deux reçu environ 41 millions de francs suisses de la part d’ISL.
  • [6] Andrew Jennings, Le scandale de la FIFA, Paris, Seuil, 2015, pp. 269-273.