Géopolitique des relations russo-chinoises / Pierre Andrieu

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  • Eline Pruvost

    Eline Pruvost

    Assistante de recherche à l’IRIS

« Il était loin le temps où la puissante URSS apportait son assistance socialiste fraternelle à une Chine pauvre et arriérée » (p. 121), affirme Pierre Andrieu ancien ambassadeur de France, dans son ouvrage Géopolitique des relations russo-chinoises. À l’heure de la reconfiguration de l’ordre mondial et de l’émergence de nouveaux pôles de puissance, ces deux grands asiatiques ont ouvert la voie, depuis une dizaine d’années, à une coopération sans limite. À travers huit chapitres, Pierre Andrieu décrit avec justesse les origines de leurs relations, les éléments culturels et politiques qui orientent leurs actions diplomatiques, et les intérêts géostratégiques qui sont le vecteur de ce rapprochement.

Si Pékin et Moscou ne partagent pas de racines culturelles ou linguistiques, leur fraternité est idéologique et repose sur leur opposition à l’impérialisme américain. Si l’auteur insiste sur cette « connivence idéologique » (p. 43), leur relation ambigüe témoigne davantage d’une amitié de circonstance que d’une alliance formelle et solide entre bons voisins.

L’auteur l’affirme, le partenariat stratégique entre Xi Jinping et Vladimir Poutine n’est pas une alliance militaire. Ce « nouveau type de relations » (p. 77), comme les deux dirigeants aiment s’en féliciter, permet à chacun de demeurer indépendant dans la conduite de sa politique étrangère. La Chine, pragmatique, ne s’est pas positionnée quant à l’invasion de l’Ukraine. Ce partenariat est d’ailleurs « contraint » (p. 8) et affecté tant par la défiance que la dépendance mutuelle. En effet, les rancœurs historiques liées aux traités inégaux ou la peur du « péril jaune » continuent par exemple d’animer les mémoires des dirigeants chinois.

La Russie, d’abord modèle de développement pour la Chine communiste, se trouve désormais en position de junior partner face à celle qui est devenue à son tour la deuxième puissance mondiale. La dépendance chinoise vis-à-vis des armes et des matières premières russes tend à diminuer, alors qu’elle développe progressivement son commerce d’hydrocarbures avec l’Asie centrale. L’auteur consacre une grande partie de son livre à décrire comment cette région d’influence privilégiée de V. Poutine pourrait ainsi devenir un terrain de rivalités russo-chinoises. Cette asymétrie de pouvoir dans les rapports économiques pourrait s’avérer de plus en plus problématique pour l’avenir de cette relation.

Le dénouement de la guerre en Ukraine sera également un enjeu géopolitique déterminant pour la Chine. Même si elle a intérêt à ce que son allié sorte vainqueur, la politique étrangère menée par V. Poutine reste embarrassante pour Pékin. En déclarant la guerre, la Russie s’est aliéné les puissances européennes avec lesquelles la Chine espère continuer d’entretenir des relations. C’est néanmoins pour cette dernière l’opportunité de s’imposer comme une nouvelle force médiatrice, malgré sa « neutralité prorusse » (p. 121), et de s’affirmer davantage dans son rapport de force avec la Russie.

En résumé, les projections internationales de Pékin et Moscou apparaissent bien différentes, et pourront se révéler progressivement comme des obstacles à leur entente. D’une part, la Chine, puissance désormais affirmée et néanmoins encore montante, cherche à dominer l’ordre mondial tout en en maintenant des relations cordiales avec les pays occidentaux. De l’autre, la Russie, affaiblie et imprévisible, entretient le désordre et renforce son isolement. L’ascendant de la Chine sur son partenaire pourrait compromettre sa bonne volonté à respecter les intérêts russes, en réclamant par exemple d’anciens territoires annexés en Sibérie. On regrette toutefois que ces hypothèses ne soient pas plus développées dans la conclusion de l’ouvrage, bien que la Chine semble encore peu encline à tourner le dos à son allié. De plus, le portrait d’une Russie en pleine déchéance mériterait d’être nuancé, elle qui demeure une puissance diplomatique importante et exerce une réelle influence politique, culturelle et économique en Asie centrale et, de plus en plus, en Afrique et au Moyen-Orient.