Émergence et développement : une relation complexe et contrariée / Par Dalila Chenaf-Nicet

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  • Dalila Chenaf-Nicet

    Dalila Chenaf-Nicet

    Maître de conférences HDR à l’Université de Bordeaux.

Le mot « émerger », qui nous vient du latin « emergere », signifie « sortir de » ou encore « apparaître ». Cette apparition, qui pour le dictionnaire Larousse est « soudaine », peut concerner divers systèmes. Dans le cas des systèmes économiques, l’émergence renvoie donc à l’apparition soudaine de performances industrielles et commerciales au sein d’économies qui jusqu’alors n’en étaient pas coutumières. Les pays émergents sont ainsi des pays en développement « performateurs » [1], dont la croissance économique est soutenue par un changement structurel qui autorise une insertion dans les chaînes de valeur mondiales. Les deux moteurs de leur croissance extravertie sont, d’une part, une forte attractivité aux capitaux étrangers et, d’autre part, une ouverture commerciale via des accords de libre-échange et d’intégration régionale qui accélèrent l’accès aux marchés internationaux.

Alors que les divers acronymes qui désignent les pays dits émergents ne cessent de se multiplier [2] et que les listes de pays établies par les agences de notation ne sont pas toujours superposables, l’on peut identifier une trentaine de pays qui, à un moment du temps, ont pu être qualifiés de pays émergents. Il existe ainsi une grande diversité de pays, qu’il est possible de distinguer entre les petits, comme le Viêtnam ou le Sri Lanka, ou les plus grands, comme ceux constituant le groupe des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine Afrique du Sud, auxquels on ajoute généralement la Turquie). Au-delà la grande hétérogénéité du groupe des émergents, il est possible de mettre en évidence des régularités dans les principaux mécanismes qui mènent à l’émergence : une insertion internationale forte, une bonne compétitivité-coût des produits exportés due à une main-d’œuvre bon marché mais suffisamment éduquée, une stabilité politique et institutionnelle favorable aux affaires, une forte intervention de l’État sont généralement les facteurs principaux des modèles de croissance des pays émergents. On retrouve ici de fortes similarités avec le « modèle de développement extraverti » adopté par les nouveaux pays industrialisés (NPI) dans les années 1960 (Corée du Sud, Hong-Kong, Singapour, Taiwan). Ces nations ayant aujourd’hui, à l’instar de la Corée du Sud, rejoint le rang des pays développés, les années précédant la crise des subprimes furent marquées par un grand optimiste quant à la capacité des pays émergents à transformer, eux aussi, leur croissance en développement économique et humain.

Depuis le début de crise, en 2007-2008, les mauvais résultats économiques des émergents inquiètent les prévisionnistes, qui redoutent leurs conséquences pour la stabilité mondiale. Au regard de ces contre-performances, le monde prend soudainement conscience que les pays émergents sont structurellement fragiles. Pourquoi donc le modèle d’émergence trébuche-t-il aujourd’hui et peine-t-il à se transformer en modèle de développement ? Les expériences des NPI des années 1960-1970 permettent de saisir la trajectoire des émergents du XXIe siècle, ainsi que leurs difficultés à faire évoluer leur modèle économique et social.

Des modèles d’émergence inspirés des modèles de développement extraverti des NPI

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les pays nouvellement indépendants choisirent entre deux types de stratégies de développement. Le premier, de nature autocentrée, regroupe les modèles de substitutions aux importations – essentiellement en Amérique latine – et des industries industrialisantes (Inde ou Algérie). Ces stratégies protectionnistes avaient pour objectif d’asseoir la croissance sur une industrialisation forcée et une production orientée en priorité vers le marché intérieur. Le deuxième, basé sur la promotion des exportations, avait pour ambition de « roder » la fabrication de produits de consommation courante à faible valeur ajoutée et de faible technologie sur les marchés intérieurs afin de développer des effets d’apprentissage et une forte productivité, pour ensuite inonder les marché extérieurs de produits à bas coûts. Cette stratégie, qui permit une diversification du tissu productif des NPI, fit le succès du Japon et de la Corée du Sud.

La fin des années 1970 et le début des années 1980 scellèrent définitivement le destin des stratégies autocentrées. Tout d’abord car en termes de croissance et de performances, ces stratégies ont été moins efficaces que les stratégies extraverties. Ensuite parce que la crise de la dette des pays en développement (PED) dans les années 1980 les conduisit à adopter des mesures libérales inscrites dans les politiques d’ajustement structurel (PAS) imposées par les institutions internationales (Fonds monétaire international [FMI] et Banque mondiale). C’est à cette période que le modèle des NPI, qui avait assuré le décollage de l’Asie, devint une référence incontournable en matière de développement et d’ouverture aux échanges. Sur cette base se sont succédé plusieurs vagues de NPI, que l’on nomma les « Bébés tigres » (Indonésie, Malaisie, Philippines, Thaïlande et Viêtnam), les « Pumas » ou « Jaguars » (Argentine, Chili, Colombie et Mexique), avant que n’apparaisse en 1981 le terme de pays émergents [3].

Les similitudes entre les modèles des NPI et les modèles d’émergence

Si l’on revient un instant sur l’histoire des NPI asiatiques, il est possible de trouver des régularités dans leurs stratégies qui, au bout du compte, fondèrent pour eux un modèle de développement. Dans un premier temps, ces pays ont adopté des réformes garantissant l’émergence d’une classe moyenne en capacité de créer une véritable demande intérieure : intervention systématique de l’État pour orienter le changement, réformes agraires, politique de crédit favorable aux secteurs industriels et investissement en capital humain. Il s’agissait de bâtir un système productif en passant par une conquête du marché intérieur. Dans un deuxième temps, forts d’un système productif rentable, ces pays ont entamé la conquête des marchés internationaux afin de diversifier leur tissu productif. Dans le dernier temps, les activités bas de gamme ont été délocalisées tandis que s’opérait une montée en gamme des productions nationales, rendue possible grâce à une forte accumulation de capital humain. L’objectif était, pour les NPI, de faire évoluer leur modèle et de se positionner finalement sur des segments à forte valeur ajoutée. Les émergents des années 1980 ont, dans leurs stratégies, adopté de nombreux ingrédients de cette recette.

Tout d’abord, l’intervention de l’État pour dynamiser le processus de changement structurel est un facteur régulier de l’émergence. Ce point renvoie à l’idée d’une « bonne gouvernance » à même de rassurer les investisseurs ou d’assurer une allocation efficace des ressources productives. Ces réformes, qui ont parfois conduit au désengagement de l’État et à un fonctionnement plus libéral des marchés, s’inscrivent toutefois dans la volonté des pays de proposer aux investisseurs nationaux et internationaux un climat des affaires amélioré, dans un cadre institutionnel stable.

Le deuxième point de convergence est la stabilité institutionnelle, qui est souvent liée à l’existence d’un État « solide », qui encadre fortement l’activité économique [4] et qui enclenche des réformes « market friendly », comme par exemple la modification des codes de l’investissement, la création de zones-franches ou bien l’ouverture prudente des comptes de capital, etc. [5] L’objectif est toujours de parvenir à faciliter le climat des affaires et à attirer les investisseurs internationaux.

L’émergence suppose également une forte insertion internationale des industries dans les chaînes de valeur globales. Les NPI, dont le développement reposait sur un changement structurel assuré par une stratégie industrielle de remontée de filières, sont là encore des exemples suivis par les émergents actuels. Des réformes qui permettent l’insertion accrue des industries dans les chaînes de valeur, comme l’ouverture plus large du compte courant (baisse des tarifs douaniers et adoption des règles de l’Organisation mondiale du commerce [OMC]) et l’ouverture du compte de capital (réduction des contrôles sur les mouvements internationaux de capitaux et politique d’attractivité pour les capitaux étrangers) ont également été adoptées par les pays candidats à l’émergence. L’ouverture du compte courant est donc un élément récurrent des réformes adoptées tour à tour par les NPI, puis par les grands (Chine, Inde, Brésil, Afrique du Sud) ou par les plus petits émergents (Viêtnam, Île Maurice). Les NPI avaient, pour leur part, développé leurs exportations grâce aux baisses de tarifs négociées de manière multilatérale au sein du GATT dans le cadre du Dillon Round (1961-1962) puis du Kennedy Round (1963-1967), ainsi que grâce au système de préférences généralisées (SPG). Aujourd’hui, l’émergence de la Chine est associée à la politique de la « porte ouverte », celles de l’Inde, du Brésil ou du Chili sont marquées par l’abandon des politiques de substitutions aux importations et par une plus forte extraversion. Quant au Viêtnam, son insertion dans la mondialisation, qui débute avec la politique du « Doi Moi », s’affirmera par son accession à l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean) en 1995 et son adhésion à l’OMC en 2007. Tous les émergents ont ainsi accepté de baisser substantiellement leurs droits de douane dans les années 1980.

Les pays émergents, tout comme autrefois les NPI, sont également ceux qui ont réalisé une ouverture prudente de leur compte de capital pour attirer investisseurs étrangers. Ils ont, depuis les années 1990, supprimé un grand nombre de restrictions [6], soit comme la Chine plutôt sur les capitaux long (investissements directs étrangers [IDE]), soit comme le Mexique sur l’ensemble des capitaux (IDE et investissements de portefeuille). L’afflux de capitaux étrangers a ainsi permis aux émergents d’accéder à des transferts de technologie et à une épargne mondiale qui leur assura le financement de leurs investissements productifs et industriels.

Enfin, un dernier élément est celui de la régionalisation des échanges et de la production. Le Japon, premier des NPI, avait déjà axé son décollage économique sur une base régionale. En effet, à partir des années 1960, le pays, voyant les salaires augmenter, délocalisait sa production textile vers les autres pays de la zone afin de maintenir sa compétitivité-coût. Ce fut ensuite le tour de l’acier dans les années 1970, puis de l’automobile et de la construction navale dans des années 1980, et enfin de l’électronique dans les années 1990. Les NPI asiatiques de la première vague (Corée du Sud, Taiwan, Singapour, Hong-Kong) respectèrent ce schéma de pays voisins sous-traitants en transférant, avec un décalage de dix années par rapport au Japon, leurs activités de production de textile et de cuir, d’acier, de construction navale et d’électronique vers les NPI asiatiques de la deuxième vague (Indonésie, Malaisie, Philippines, Thaïlande). La Chine s’inscrit aujourd’hui dans cette logique de « base arrière », puisque l’on constate une internationalisation de ses grands groupes, qui délocalisent notamment leur production consommatrice en main-d’œuvre vers le Viêtnam et les pays d’Asie du Sud-Est, aux coûts salariaux plus faibles [7]. Beijing y voit le moyen de maintenir sa compétitivité-coût sur les marchés mondiaux.

Un statut à confirmer

L’émergence est donc un jeu subtil et fragile d’interdépendances entre plusieurs variables économiques et institutionnelles. En effet, pour qu’elle soit effective, il est impératif que des réformes permettent une internationalisation des capitaux, qui doit à son tour garantir le changement structurel et la diversification du tissu productif. C’est alors sur une base industrielle plus solide, en capacité d’absorber la main-d’œuvre disponible, d’augmenter le revenu par habitant et la demande intérieure que la croissance se consolide, ce qui peut alors inciter les entreprises étrangères à investir dans le pays. L’émergence suppose également un dynamisme endogène de la croissance – croissance auto-entretenue –, dont les performances à l’international favorisent l’accumulation des réserves de change qui alimentent le changement structurel, et donc finalement la croissance.

Dans le cas de la Corée du Sud, aujourd’hui douzième puissance économique mondiale, ce jeu subtil, qui l’a menée d’une émergence industrielle à un développement économique, s’est déroulé en deux temps. Le premier, qui s’étend des années 1960 aux années 1970, permit de développer les industries légères au sein d’entreprises fortement subventionnées par l’État – les chaebol. Ces dernières bénéficiaient d’une main-d’œuvre bon marché – les salaires s’élevaient aux alentours de 50 dollars par mois – et productive – le temps de travail était généralement supérieur à 46 heures par semaine –, et réussirent à s’imposer aisément sur les marchés extérieurs. Ceci conduisit, sur la période, à un taux de croissance de production industrielle en volume de plus 17 % en moyenne par an, tandis que celui du produit national brut (PNB) atteignait 8,8 % [8]. Ces croissances furent alimentées par des investissements massifs dans les secteurs industriels, avec un investissement qui progressa au rythme de 30 % par an grâce à une épargne nationale couvrant plus de 60 % des besoins de capitaux.

C’est en 1972 que la Corée du Sud entame son processus de croissance autoentretenue en faisant évoluer sa structure productive alors que la concurrence des NPI de la deuxième vague se fait plus vive. Elle entame alors un processus de remontée de filières qui consiste, après avoir développé les industries légères d’exportation, à développer les industries lourdes (sidérurgie, construction navale, mécanique, électronique, etc.). Elle assure ainsi une plus grande autosuffisance dans de nombreux secteurs d’activités, qui limite d’autant ses importations manufacturières et réduira sa contrainte extérieure. Elle développe ensuite des zones franches afin d’attirer les capitaux étrangers et bénéficier de transferts de technologie profitables à ses grands groupes industriels à la recherche d’une plus grande internationalisation (Samsung, LG, Daewoo, etc.). C’est donc à partir de cette période que les salaires de la main-d’œuvre qualifiée, essentiellement dans les nouveaux secteurs de haute technologie coréens et au sein des firmes étrangères, progressent fortement – plus de 9 % par an de 1970 à 1981. La répartition des revenus qui s’améliore permet alors de soutenir une demande intérieure dès lors en capacité d’absorber la croissance de la production industrielle. Afin de soutenir ce programme de conquête des secteurs industriels de haute technologie inscrit au sein de ses IIIe et IVe plans quinquennaux, la Corée de Sud a, pour finir, mis en place un vaste programme d’alphabétisation qui permit à 96 % de la population d’atteindre, en 1980, au moins quinze années de scolarisation. L’amélioration de son capital humain s’organisait également autour d’un système de cours du soir ou de formations assurées au sein des entreprises elles-mêmes [9].

Alors que les émergents actuels ont franchi avec succès la première étape du modèle – industries légères, main-d’œuvre bon marché et conquête des marchés tiers –, il semble qu’ils éprouvent aujourd’hui de réelles difficultés à engager la deuxième – remontée de filières, main-d’œuvre qualifiée, croissance autoentretenue et conquête du marché intérieur.

Des modèles d’émergence qui peinent à se muer en modèle de développement

Les premiers signes de ralentissement de la croissance des émergents à partir des années 2008 ont un temps laissé croire que ces pays connaissaient un simple épisode d’ajustement après des périodes de surchauffe. L’ampleur des programmes de soutien à la croissance en Chine, au Brésil, au Mexique, en Russie ou en Inde au lendemain de la crise des subprimes a, en effet, momentanément masqué des maux plus profonds. Cependant, les fortes décélérations de la croissance révèlent aujourd’hui autant les problèmes structurels que rencontrent ces États que les limites de leur modèle de croissance.

Des performances macroéconomiques dégradées

Les croissances à deux chiffres, qui étaient une des caractéristiques les plus marquantes de l’émergence du point de vue d’économies développées souffrant habituellement d’une croissance en berne, sont aujourd’hui un lointain souvenir. Du côté des grands émergents, on note par exemple que l’Inde connaît son plus faible taux de croissance depuis dix ans. Depuis l’été 2013, le FMI ne manque pas de s’inquiéter de ses déficits budgétaires et de balance des comptes courants aggravés, d’une inflation trop élevée et d’une dépendance vis-à-vis des flux de capitaux trop importante [10]. Plus grande puissance d’Amérique latine, le Brésil connaît de graves problèmes institutionnels et souffre d’une forte récession, avec une croissance négative qui a pu atteindre -3,85 % en 2015, selon le FMI. La Chine elle-même, qui espère pour 2016 une croissance d’environ 6,5 % – son plus bas niveau depuis vingt-cinq ans – connaît une forte dégradation de ses termes de l’échange et reste très exposée à la faiblesse de la demande mondiale et de sa production bas de gamme [11].

Un modèle vulnérable aux chocs extérieurs

Si le modèle d’émergence est clairement en panne aujourd’hui, c’est qu’il a du mal à évoluer pour permettre aux pays de faire face aux deux défis que sont, d’une part, la faiblesse de la demande mondiale quand les demandes intérieures restent trop faibles pour prendre le relais et, d’autre part, la nécessité d’effectuer une montée en gamme des produits qu’une main-d’œuvre plus qualifiée devrait assurer mais qui nécessiterait des hausses de salaires, alors que la recherche d’une meilleure compétitivité reste au cœur des stratégies d’émergence. La croissance des pays émergents, comme ce fut le cas pour les NPI, repose aujourd’hui sur des exportations de produits bas de gamme dont la compétitivité-coût est assurée par des bas salaires et une monnaie sous-évaluée. Les monnaies faibles, qui renchérissent le prix des importations, ainsi que de faibles revenus réduisent la demande interne. Selon ces mécanismes, des exportations soutenues et un faible niveau d’importations assurent les excédents commerciaux et l’accumulation des réserves de change [12]. Ce modèle, qui repose sur une croissance soutenue de la demande mondiale nécessaire à l’absorption des exportations rend donc les pays émergents vulnérables aux chocs extérieurs. Or, la dernière crise et le ralentissement de la demande mondiale ont révélé la nécessité pour ces pays d’axer davantage leur développement sur leur marché intérieur, et donc sur une croissance plus « harmonieuse », selon les mots de l’ancien président chinois Hu Jintao, conduisant à une meilleure répartition des revenus et à une plus forte protection sociale.

Les émergents doivent, en effet, transformer leur croissance extravertie en croissance inclusive reposant sur des salaires plus élevés et une classe moyenne élargie. Cependant, ces pays se trouvent face à des contradictions fortes, puisque la croissance par extraversion repose justement sur des salaires faibles garantissant la compétitivité à l’export, mais qui maintiennent en retour la demande intérieure à un faible niveau. Une croissance inclusive suppose, au contraire, une hausse du niveau de vie et des salaires, ce qui ne manque pas de dégrader la compétitivité-coût et les performances à l’exportation. Une des solutions est alors que se développe effectivement un marché intérieur qui viendrait suppléer la demande extérieure, grâce à une meilleure distribution des revenus et une plus forte protection sociale, alors que la conquête des marchés tiers pourrait être favorisée par une population mieux formée, autorisant la montée en gamme de la production [13].

Si la nécessité de faire évoluer le modèle de croissance semble aujourd’hui évidente, la période tourmentée que rencontrent les émergents rendra la chose peu aisée. La fragilité économique de la Chine ne cesse de se dévoiler, alors qu’aux mauvais résultats commerciaux, à la chute inquiétante des entrées de devises et à la défiance des investisseurs étrangers s’ajoute aujourd’hui la montée en puissance de la dette des entreprises et des créances douteuses dans le bilan des banques chinoises [14]. De son côté, le Brésil, englué dans les scandales de corruption et dont la décroissance devrait atteindre 2,5 % en 2016, subit de plein fouet le ralentissement de la Chine, qui est son premier partenaire commercial.

À l’heure où les grands émergents rencontrent des problèmes de tensions sociales (Chine, Brésil), démographiques (Chine), d’inégalités spatiales et de revenus (Chine et Brésil), d’inflation (Brésil, Inde), d’instabilité politique (Brésil, Égypte, Tunisie), de faibles performances macroéconomiques (Chine) ou d’absence de classe moyenne suffisamment importante pour assurer une demande intérieure, les doutes demeurent donc quant à la capacité de ces pays à transformer leur modèle de croissance en modèle de développement.


  • [1] Voir Dalila Chenaf-Nicet, « Les pays émergents : performance ou développement ? », La vie des idées, 4 mars 2014 (en ligne).
  • [2] On trouve par exemple les CIVETS (Colombie, Indonésie, Viêtnam, Égypte, Turquie, Afrique du Sud), les E-Seven (Chine, Inde, Brésil, Mexique, Russie, Indonésie, Turquie), les EAGLEs (Bangladesh, Brésil, Chine, Inde, Indonésie, Irak, Mexique, Nigeria, Pakistan, Philippines, Russie, Arabie saoudite, Thaïlande, Turquie).
  • [3] C’est à notre connaissance en 1981 qu’Antoine van Agtmael, économiste à la Société financière internationale, va utiliser pour la première fois le terme de « pays émergents » pour faire, à l’intérieur de la catégorie des PED, la distinction entre les pays qui présentent des risques pour les investisseurs internationaux et ceux qui peuvent être des terres d’opportunités.
  • [4] Christophe Jaffrelot, « Le phénomène des pays émergents », Revue constructif, n° 21, novembre 2008.
  • [5] Voir Dalila Chenaf-Nicet et Éric Rougier, « IDE et croissance dans les économies méditerranéennes : le rôle des changements structurels », in Hakim Ben Hammouda, Nassim Oulmane et René Sandretto (dir.), Émergence en Méditerranée. Attractivité, investissements internationaux et délocalisations, Paris, L’Harmattan, Histoire et perspectives méditerranéennes, 2010 ; et Dalila Chenaf-Nicet et Éric Rougier, « Une analyse macroéconomique de l’attractivité des PSEM », in Mihoub Mezouhagui (dir.), Les localisations industrielles au Maghreb. Attractivité, agglomérations et territoires, Tunis / Paris, IRMC – Karthala, 2009.
  • [6] Voir Vincent Caupin, « Les pays émergents face au flux (et reflux) de capitaux », in CEPII, L’économie mondiale 2015, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2014.
  • [7] Voir Lionel Fontagné et Loriane Py, « Determinants of Foreign Direct Investment by Chinese Enterprises in the European Union », CEPII Research Report, n° 2010-01, juillet 2010 ; et Françoise Lemoine, « Les investissements internationaux de la Chine : stratégie ou pragmatisme ? », Revue d’économie financière, n° 102, 2001/2.
  • [8] Dominique Barjot, « Le développement économique de la Corée du Sud depuis 1950 », Les Cahiers de Framespa, n° 8, 2011.
  • [9] Roland Benabou, « La Corée du Sud ou l’industrialisation planifiée », Économie prospective internationale, n° 10, CEPII, 2e trimestre 1982.
  • [10] FMI, « Asia : Responding to Slower Growth and Tighter Global Liquidity », IMF Survey, octobre 2013.
  • [11] Guillaume Gaulier, Joaquim Jarreau, Françoise Lemoine, Sandra Poncet et Deniz Ünal, « Chine : fin du modèle de croissance extravertie », La Lettre du CEPII, n° 298, 21 avril 2010.
  • [12] Patrick Artus et Bei Xu, « Changement du modèle de croissance de la Chine : nécessité, difficultés », Flash Économie. Recherche Économique, n° 481, Natixis, 9 juillet 2012.
  • [13] Ibid.
  • [14] FMI, Rapport sur la stabilité financière dans le monde, Washington, 13 avril 2016.