Juin 2017
Démocratisation et vitalité populaire des régimes autoritaires / Par Pascal Boniface
Contestations démocratiques, désordre international ?RIS N°106 - Été 2017
Le monde bipolaire avait le mérite de la clarté, à défaut d’avoir celui de la justice. Deux blocs s’y opposaient : l’Ouest représentait l’économie de marché et la démocratie, l’Est symbolisait la planification bureaucratique et la dictature. Ce dernier mettait en avant une égalité formelle plutôt qu’une égalité réelle. Il n’avait pas entièrement tort. Il est en effet difficile d’être réellement libre si l’on ne dispose pas des moyens de subsistance : le droit au travail, le droit au logement et le droit à la dignité ne peuvent être tout à fait ignorés. Aujourd’hui, c’est le fait d’une certaine gauche autorevendiquée qui fait l’impasse sur la question sociale pour se focaliser sur la morale et l’identité, et fait le jeu de l’extrême droite. Ainsi chacun revendiquait-il de représenter la liberté face à l’oppression.
Il ne reste pas moins que la liberté d’aller et venir, d’exprimer son mécontentement à l’égard des autorités, de pensée, de croire ou de ne pas croire n’étaient pas respectés à l’Est du Rideau de fer. Et que, malgré les multiples imperfections du « pire des systèmes à l’exception de tous les autres », il valait mieux se situer à l’Ouest. Là encore, Winston Churchill l’avait habilement souligné : « La différence entre dictature et démocratie ? En démocratie, lorsque l’on frappe à votre porte à six heures du matin, c’est le laitier. » Les régimes communistes, de Joseph Staline à Mao Zedong, n’étaient pas simplement dictatoriaux ; ils étaient réellement totalitaires. L’on pouvait disparaître à la suite d’une simple dénonciation n’ayant donné lieu à aucun procès. Il n’y avait ni liberté publique ni liberté individuelle. Au sein du cercle familial, l’on pouvait légitimement craindre la délation en cas de « déviation politique », réelle ou supposée. L’État décidait ce que vous aviez le droit de lire, d’écouter, jusqu’aux vêtements que vous pouviez porter. La différence entre les deux systèmes était aussi nette que profonde. S’il existe encore aujourd’hui de nombreux régimes où la liberté d’expression n’est pas respectée et où les citoyens n’élisent pas leurs dirigeants, il n’y a plus cette chape de plomb qui fait hésiter à parler librement, y compris devant conjoint(e) et enfants.
L’effondrement du monde bipolaire s’est donc traduit par une avancée globale de la démocratie. D’une part, les régimes communistes avaient peu ou prou adouci et relâché, au moins partiellement, la répression – Leonid Brejnev fut un dictateur moins brutal que Joseph Staline. D’autre part, les régimes démocratiques se multipliaient. Dans les années 1980, les pays latino-américains s’étaient débarrassés de leurs dictatures les plus sanglantes. Après le démantèlement du Rideau de fer, les États européens ont retrouvé à la fois leur souveraineté et leur liberté. Les « conférences nationales » avaient déjà été enclenchées dans de nombreux pays africains francophones. Bref, la démocratie semblait en marche de façon inexorable. Quant aux États-Unis de Bill Clinton, ils changeaient leur politique d’endiguement au profit d’une politique d’élargissement : il ne s’agissait plus de contenir l’Union soviétique mais d’élargir le champ de la démocratie, à la fois au nom de principes universels mais également dans l’intérêt et la sécurité des États-Unis. Aujourd’hui, le nombre de pays démocratiques a augmenté et les régimes autoritaires, s’ils demeurent nombreux, sont moins répressifs qu’auparavant.
Malgré ces évolutions heureuses, l’atmosphère est plutôt à la désillusion. Les médias – occidentaux – dénoncent régulièrement les abus de régimes répressifs dont certaines actions révulsent les consciences. Quant aux citoyens des régimes démocratiques, ils semblent las, prêts à se détourner du système, quand ils ne l’utilisent pas pour mettre en place des pouvoirs forts, bien loin des idéaux démocratiques. Ce désenchantement au sein des démocraties établies est incontestable. Les peuples qui exercent depuis longtemps leur droit à choisir leurs dirigeants semblent de moins en moins satisfaits par cette possibilité. L’abstention devient massive. Le vote, un droit souvent acquis dans le sang, est de moins en moins exercé, au point que certains songent, y compris en France, à en faire un devoir – ce qui existe déjà dans certains pays, à différents endroits du globe. L’on réfléchit également à comptabiliser le vote blanc ou nul, qui exprime l’insatisfaction, voire le rejet des choix proposés. Parmi les électeurs qui continuent à exercer ce droit, beaucoup le dirigent vers des partis qui contestent le « système », notamment à la suite d’affaires de corruption qui défraient de plus en plus la chronique. La « fatigue démocratique » [1] semble s’installer.
Mettant en parallèle cette « fatigue démocratique » et la poussée des régimes autoritaires, certains n’hésitent pas à prédire que le vent ne souffle pas en faveur des démocraties, qui vont refluer face à la vague autoritariste. Ce pessimisme n’est pas de mise. Il se base sur un temps court. Déjà dans les années 1980, de nombreux essayistes ou responsables occidentaux annonçaient le triomphe des dictatures – qui ne rencontraient pas d’entraves – sur les démocraties qui se « finlandisaient ». La politique de détente rendait ces dernières trop « molles » face aux régimes communistes. L’on sait ce qu’il est advenu par la suite. Les discours alarmistes ne sont souvent que le masque de la politique des faucons. Bien entendu, il peut y avoir des reculs provisoires. Le classement 2017 de Freedom House révèle que moins de la moitié de la population mondiale vit au sein d’une démocratie. Sur 195 pays évalués en 2016, 87 (45 %) seraient « libres », 59 (30 %) « partiellement libres » et 49 (25 %) « non libres ». Selon l’organisation non gouvernementale (ONG), 2016 marquerait la onzième année consécutive de recul de la liberté dans le monde.
Développement de l’information et montée en puissance des sociétés civiles
Le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) a bouleversé le paysage mondial des libertés. La Corée du Nord est désormais le seul régime totalitaire de la planète bénéficiant du monopole de l’information. Partout ailleurs, ce type de système a été battu en brèche. Lorsque Mikhaïl Gorbatchev prend le pouvoir en Union soviétique en 1985, les informations sur le monde extérieur à destination des membres du bureau du Parti communiste sont issues d’un tri minutieux, opéré par une demi-douzaine de fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères [2]. Du fait du développement des chaînes télévisées et des réseaux sociaux, pareille situation est désormais inenvisageable. À l’inverse, comme l’a écrit il y a près de vingt ans Jean-Marie Guéhenno, un régime totalitaire bénéficierait aujourd’hui de moyens de contrôler sa population auxquels George Orwell n’avait même pas songé lorsqu’il écrivait 1984 [3].
Marc Dugain et Christophe Labbé ont avec talent mis en garde contre l’ensemble des dérives potentielles sur nos choix personnels et collectifs que les géants des NTIC sont en mesure d’exercer [4]. Il n’en reste pas moins qu’aujourd’hui chacun peut avoir accès à des informations qui lui étaient auparavant cachées. Il n’y a pas plus de manipulation sur les réseaux sociaux qu’au sein des médias classiques. Les « intellectuels faussaires » sont le produit de ces derniers, pas des réseaux sociaux. Chacun peut, à son niveau, être récepteur et émetteur d’informations. De nombreuses répressions ont ainsi pu être dénoncées grâce à de simples téléphones portables, qu’il s’agisse des exactions de masse du président syrien Bachar Al-Assad ou de brutalités policières un peu partout dans le monde. Il n’est désormais plus possible politiquement pour les Américains de fomenter un coup d’État en Indonésie (1965, 500 000 morts) ou au Chili (1973, 6 000 morts) : ils ne pourraient plus supporter le « coût » de l’opinion internationale. Les goulags soviétique et chinois ont également disparu.
La Chine, si elle est loin d’être une démocratie, n’a plus rien à voir avec celle du temps de Mao Zedong. Il est d’ailleurs savoureux d’observer que d’anciens adorateurs du dictateur dénoncent aujourd’hui la dictature de Beijing [5]. Une journaliste comme Maria Antonietta Macciocchi écrivait à l’époque, sans susciter le rire de nombre de ses lecteurs, que les médecins aux pieds nus soignaient les patients chinois grâce à l’aide de la pensée de Mao Zedong, faisant totalement l’impasse sur la répression exercée par le régime [6]. À l’époque, les informations étaient délivrées par Le Petit Livre rouge ou Le Quotidien du peuple, chacun s’habillait de la même façon et était terrorisé, au sens premier du terme, par les autorités. Aujourd’hui, les internautes chinois sont au nombre de 700 millions. Et même si la censure existe, elle peut être partiellement détournée et ne s’exerce pas de façon absolue. S’il demeure interdit de remettre en cause la légitimité du Parti communiste chinois (PCC), des marges d’expression sont possibles. C’est d’ailleurs sous la pression de l’opinion publique que Beijing a modifié sa politique concernant la lutte contre le réchauffement climatique, la protection de l’environnement étant devenue l’une des préoccupations principales des Chinois. La Chine n’échappe plus à de nombreuses manifestations, y compris contre l’arbitraire de ses autorités locales. Ses citoyens ne votent pas pour élire leurs dirigeants, mais l’on pourrait penser qu’ils voteraient pour l’équipe en place s’ils étaient en droit de le faire, pour la simple et bonne raison que le système fonctionne et que demain paraît meilleur qu’aujourd’hui. Le PCC ne tire pas sa légitimité de l’étude de la raison dialectique ou de la théorie de la contradiction de Mao Zedong, mais d’un taux de croissance performant. Il y a une société civile en Chine. Comme l’écrit David Baverez, les Occidentaux votent pour des élus à qui ils ne font pas confiance, tandis que les Chinois font confiance à des responsables qu’ils n’élisent pas [7].
À l’automne 2014, le « mouvement des parapluies » – qui tient son nom du moyen que les manifestants utilisaient pour se protéger des gaz lacrymogènes – a paralysé une partie de Hong-Kong pendant deux mois, réclamant un véritable suffrage universel lors de l’élection du chef de l’exécutif. Celui-ci – en l’occurrence Madame Carrie Lam – est en fait solidement encadré par Beijing. Idéalement, un chef de l’exécutif hongkongais doit remplir trois conditions : plaire à Beijing, à la communauté des affaires à Hong-Kong et à la population. Or, la première et la troisième sont difficilement compatibles. Un chef de l’exécutif qui bénéficie de la confiance de Beijing apparaît suspect à une partie de la population ; un chef de l’exécutif qui dispose d’une forte légitimité populaire suscite la méfiance de Beijing. À l’époque, certains commentateurs, envisageant une contagion démocratique qui aurait pu atteindre la Chine continentale, anticipaient une répression par la force du mouvement, à l’image de ce qui était survenu sur la place Tiananmen. Mais ceux qui émettaient une telle hypothèse se sont trompés de lieu et d’heure. D’une part, Hong-Kong n’est pas Beijing. D’autre part, et surtout, ce qui était possible en 1989 ne l’est plus en 2014.
Des acquis démocratiques non occidentaux
Les thèses essentialistes sur l’incapacité de certains peuples à vivre sous un régime démocratique, ou tout simplement à y aspirer, sont définitivement démenties par les faits. Il a longtemps été dit que les sociétés asiatiques, empruntes de confucianisme, n’étaient pas éligibles à la démocratie. Les cas de Taiwan ou de la Corée du Sud, qui disposent de solides sociétés civiles, d’élections qui débouchent sur des alternances politiques – plus nettes qu’au Japon –, sont venus dynamiter cette théorie. Il avait également été expliqué que l’Afrique était congénitalement impropre à la démocratie. Il n’y avait en effet eu qu’une seule alternance politique par le biais d’élections entre 1960 et 1990 – à l’île Maurice. Depuis, une quarantaine ont eu lieu. S’il y a encore des pouvoirs qui se maintiennent depuis trop longtemps de façon plus ou moins répressive – Tchad, Congo, Ouganda, Rwanda, Cameroun –, cela n’est plus applicable à l’échelle du continent. Au Burkina Faso, après vingt-sept ans d’exercice solitaire du pouvoir et une tentative de modifier la Constitution pour s’y maintenir, Blaise Compaoré en a été chassé par des manifestations populaires en octobre 2014. Au Burundi, Pierre Nkurunziza a remporté de façon très contestable et dans un contexte très tendu les élections de juillet 2015. L’issue est encore incertaine en République démocratique du Congo (RDC), où Joseph Kabila essaie de se maintenir au pouvoir. Au Sénégal, la tentative du président Abdoulaye Wade de passer en force pour un troisième mandat a échoué face aux mouvements Y’en a marre et M23. En Afrique du Sud, Jacob Zuma voit son pouvoir contesté, l’ombre de Nelson Mandela ne suffisant plus à éteindre les critiques.
Le monde arabe semble encore et toujours faire exception. Les « printemps » n’ont pas suscité, à l’exception de la Tunisie, un « tsunami démocratique », mais ont débouché sur un statu quo (Golfe, Maroc, Algérie), une répression militaire (Égypte, Bahreïn), une situation de chaos (Libye, Irak) et une guerre civile d’une cruauté inouïe (Syrie). Il ne faudrait pas en déduire une malédiction génétique imputable à la zone : il s’agit plutôt d’un environnement géopolitique instable, associé à une étape historique.
Le régime et son périmètre
La frontière entre démocratie et dictature s’est atténuée. Les démocraties sont moins performantes, et l’expression des citoyens y est biaisée par le poids de l’argent dans la désignation des élus et la possession des médias. Le poids de l’argent détermine désormais en grande partie la possibilité de se présenter ou non à des élections. Le coût de l’élection présidentielle américaine de 2016 est évalué à plus de 2 milliards de dollars. Le président élu, Donald Trump, est un milliardaire fantasque qui a mis sa fortune au service de son élection. Quant à ceux qui ne disposent d’aucune fortune personnelle, ils en appellent à des donateurs dont la générosité n’est aucunement dénuée d’intérêts et dont la somme ne représente certainement pas l’intérêt collectif. Le système d’élections permanentes, pour des congressistes élus tous les deux ans, loin d’incarner une vitalité démocratique, devient une prime à la médiocrité, au court terme et au poids des lobbies. Dans de nombreux autres pays, le poids des oligarques est déterminant : ils tirent les ficelles en coulisses, voire se présentent directement aux élections.
Les dictatures sont quant à elles plus molles, moins terrifiantes et laissent plus d’espace aux citoyens. Partout, grâce à l’élévation du niveau d’alphabétisation, l’augmentation du niveau de vie et le développement des NTIC, les sociétés civiles se sont créées et développées – Corée du Nord exceptée. La ligne de fracture entre ces deux régimes n’est donc plus si tracée. Il y a encore des démocraties et des régimes autoritaires, mais il n’y a plus de systèmes totalitaires. De plus, la lutte contre la corruption, principal facteur de mobilisation et de contestation, est désormais commune.
En Roumanie, par exemple, pays où la corruption est un mal endémique, des manifestations gigantesques, à la suite de l’incendie d’une discothèque, ont débouché sur l’inculpation du Premier ministre en exercice. Fait rarissime en Asie, la présidente sud-coréenne Park Geun-hye, accusée d’abus de pouvoir et de corruption, a elle aussi été poussée à la démission et inculpée par la justice. En Russie, les vidéos de l’opposant Alexeï Navalny accusant Vladimir Poutine de corruption ont été vues par 1,5 million de personnes sur YouTube, dans un pays où le sentiment de pression et de menace occidentales est perçu comme une atteinte à la souveraineté. En Chine, Xi Jinping, sous la pression de l’opinion, s’est lancé dans une vaste campagne de lutte contre la corruption. En Inde, au Brésil et en Afrique du Sud, la population se révolte également. Ce n’est pas que ce phénomène se soit tellement accru à la surface de la planète, c’est qu’il est désormais de plus en plus identifiable, porté à la connaissance des citoyens et jugé de plus en plus insupportable par ces derniers, quel que soit le régime au sein duquel ils vivent.
Le court-termisme est certainement l’une des principales menaces qui pèsent sur nos démocraties établies. Du fait de leur impopularité, les responsables politiques tentent de coller au maximum aux préoccupations supposées de l’opinion en suivant le cours parfois erratique de ses mouvements et oubliant leurs obligations à long terme. Ils y perdent alors encore un peu plus de crédibilité. Il y a de plus en plus d’hommes politiques et de moins en moins d’hommes d’État. Non seulement, le long terme est sacrifié sur l’autel des prochaines élections, mais également du sondage du jour. Le développement des chaînes d’information continue, en boucle dans tous les bureaux du pouvoir des pays occidentaux, vient amplifier ce mouvement. Certes, l’on n’attend plus de nos responsables qu’ils plantent des chênes pour pouvoir construire des bateaux cent ans plus tard, comme le faisait Colbert, mais du moins pourraient-ils éviter d’agir selon le principe « je suis leur chef, donc je les suis ». La démocratie exige aussi des responsables capables de dresser les perspectives, d’avoir une vision à long terme que les citoyens, contrairement à ce qu’ils pensent, sont parfaitement capables de saisir. Ce court-termisme pose un défi particulier aux démocraties : elles deviennent moins armées contre les défis du futur, dont les régimes autoritaires n’ont pas à se préoccuper dans l’immédiat. Les exemples de Vladimir Poutine ou de Xi Jinping sont parlants à cet égard. Les décisions qu’ils prennent, aussi contestables soient-elles, sont beaucoup plus souvent guidées par un souci du long terme que les réactions que leur opposent les dirigeants occidentaux.
Si le général de Gaulle s’était en son temps basé sur les sondages pour savoir s’il fallait se doter de l’arme nucléaire contre l’avis du protectorat américain, se retirer des organes militaires intégrés de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) ou rompre avec Israël après la guerre des six jours, il est tout à fait probable qu’il n’aurait pris aucune de ces décisions majeures. Ces mesures ont obtenu un large consentement populaire a posteriori et restent des marqueurs nationaux relativement forts, soutenus par la majorité des Français.
L’Occident et le futur de la démocratie
Comment continuer à élargir le champ de la démocratie ? Pas par l’extérieur et encore moins par la guerre, celle d’Irak – ou de Libye – montrant le caractère catastrophique de ces tentatives. La démocratie est issue d’un processus long et interne, non un produit express d’importation. L’appel de dirigeants occidentaux à « démocratiser » les régimes non occidentaux est vain. Le monde occidental n’a plus le monopole de la puissance et ne dispose plus des moyens d’imposer ses vues au reste du monde. De plus, de ses soutiens à des dictatures qui lui étaient favorables à la guerre d’Irak et Guantanamo, il a perdu beaucoup de sa superbe morale, n’en déplaise aux occidentalistes sourds et aveugles. Cela ne signifie pas, pour autant, qu’il faille rester statique. L’accompagnement passe par l’aide à la société civile et la multiplication des contacts avec les ONG, plutôt que chapitrer les gouvernements.
Le rôle et l’action des ONG sont remis en cause dans de nombreux pays, qu’ils soient autoritaires ou démocratiques. Vladimir Poutine a fait fermer le bureau d’Amnesty International à Moscou et s’en prend aux organisations qui recevraient un financement de l’étranger et agiraient donc au nom d’intérêts antinationaux. En Hongrie, Viktor Orbán s’attaque aux ONG soutenues par Georges Soros. Mais les premiers ministres indien Narendra Modi ou israélien Benyamin Netanyahou n’emploient des méthodes et rhétoriques guère différentes.
La dénonciation du complot de l’étranger est la chose la mieux partagée au monde par les régimes qui sont contestés par une partie de leur opinion et ne veulent pas se remettre en cause, de l’Égypte du maréchal Sissi au Venezuela de Nicolás Maduro, en passant par l’Ukraine de Petro Porochenko, la Russie de Vladimir Poutine, l’Arabie saoudite du roi Salman et l’Iran d’Hassan Rohani. Jouer sur la fibre nationaliste est toujours un moyen de ressouder l’opinion sur fond de dénonciation d’ingérence étrangère. Si l’on ne peut nier l’existence de cette dernière, il est inexact de lui conférer un rôle majeur. Les « révolutions de couleur » ont bien eu lieu à cause de la colère des peuples ukrainien et géorgien, et non de financements américains. Un pays étranger peut accompagner un mouvement, mais en aucun cas le créer. Mao Zedong, sûr du triomphe ultime du communisme, déclarait que le vent d’Est l’emportait sur le vent d’Ouest. Le vent démocratique, porté par le souffle des sociétés civiles, l’emporte aujourd’hui sur celui de l’autoritarisme et de la dictature. Il y a encore du chemin à parcourir mais la direction est la bonne.
- [1] Lors des Internationales de Dijon, le 1er avril 2017, Roselyne Bachelot, reprenant une étude du CEVIPOF, déclarait que 60 % des Français jugent que notre démocratie fonctionne mal, 39 % sont en situation de méfiance et 33 % ressentent du dégoût. Seuls 2 % des Français font confiance aux hommes et femmes politiques et 5 % aux institutions.
- [2] Lire Andreï Gratchev, Gorbatchev, le pari perdu ? De la perestroïka à l’implosion de l’URSS, Paris, Armand Colin, 2011.
- [3] Jean-Marie Guéhenno, La fin de la démocratie, Paris, Flammarion, 1993.
- [4] Marc Dugain et Christophe Labbé, L’homme nu. La dictature invisible du numérique, Paris, Robert Laffont – Plon, 2016.
- [5] Voir Pascale Nivelle, Histoire du petit livre rouge, Paris, Tallandier, 2016.
- [6] Maria Antonietta Macciocchi, De la Chine, Paris, Seuil, 1974.
- [7] David Baverez, Paris-Pékin express. La nouvelle Chine racontée au futur président, Paris, François Bourin, 2017. Voir également « Trois questions à David Baverez » sur le blog de Pascal Boniface, Mediapart, 6 avril 2017.