De la vulnérabilité au weak power : le Bangladesh face au changement climatique / Par Alice Baillat

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Difficile de contester l’idée selon laquelle les petites et les grandes puissances ne sont pas sur un pied d’égalité dans une négociation multilatérale. Les conférences des parties (COP) à la Conventioncadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) illustrent bien la nature asymétrique des rapports de puissance, tant elles sont traversées par des inégalités de capacités et de responsabilités des États. Il serait aisé, comme Ruth Gordon, de considérer que « le changement climatique est une nouvelle manifestation de l’impuissance et de la marginalité des pays pauvres » [1]. Un tel jugement semble toutefois prématuré, pour ne pas dire erroné.

L’histoire des négociations climatiques montre en effet que ces pays sont parvenus à plusieurs reprises à retirer des gains satisfaisants de leur participation aux COP, qui rassemblent 196 États parties [2]. La question qui se pose est donc moins « pourquoi les États les plus faibles acceptent-ils de négocier avec des États plus forts ? » que « quelles sont les ressources et les stratégies propres à ces pays pour peser sur le processus et les résultats des négociations ? ». Cet article entend répondre à cette question en proposant le concept de « weak power », construit à partir d’une étude empirique de l’action politique et diplomatique du Bangladesh pour lutter contre les effets du changement climatique.

Le weak power, un concept pour penser l’influence des États les plus faibles dans une négociation multilatérale

Avant d’examiner les déterminants de l’action climatique du Bangladesh, une définition du weak power s’impose. Il correspond à la capacité d’acteurs étatiques et non étatiques structurellement faibles et perçus comme tels, de contourner et / ou de transformer en avantage comparatif leur déficit de puissance structurelle en vue d’exercer une influence sur d’autres acteurs dans un secteur d’action publique internationale donné, et d’obtenir des résultats conformes à leurs intérêts [3]. Il propose un cadre d’analyse permettant de penser l’influence et la participation des pays les plus faibles dans une négociation multilatérale, à travers l’identification de leurs ressources, stratégies et formes de leadership spécifiques.

Appliqué au Bangladesh et à sa réponse aux défis posés par le changement climatique, le weak power désigne la capacité du pays à faire de sa vulnérabilité un levier d’action publique et diplomatique, ce qui lui permet de se doter d’une image a priori paradoxale de pays à la fois « le plus vulnérable », mais aussi « le plus résilient ». Autrement dit, il caractérise la transformation habile et stratégique de la vulnérabilité du Bangladesh en atout politique, diplomatique et stratégique.

Avec une population approchant les 170 millions d’habitants, le Bangladesh est l’un des pays les plus peuplés de la planète, mais aussi l’un des plus pauvres et des plus vulnérables aux dégradations environnementales. Son exposition aux aléas climatiques l’a placé sous les feux des projecteurs des médias et des organisations non gouvernementales (ONG), au point que cet État est rarement connu pour autre chose que les catastrophes qui le frappent régulièrement. A priori peu enviable, cette étiquette de pays « le plus vulnérable » a pourtant permis au Bangladesh de gagner en importance et en visibilité sur la scène internationale. Mais la vulnérabilité a également favorisé une prise de conscience précoce des dangers du changement climatique pour le développement, la stabilité et la sécurité du territoire. Elle a conduit l’ensemble des acteurs – gouvernement, citoyens, ONG, experts – à mettre en place des politiques et des mesures d’adaptation et de gestion des catastrophes naturelles avant-gardistes qui font aujourd’hui du pays un modèle à suivre dans ces domaines. Véritable consécration de ces efforts, la Première ministre du Bangladesh a reçu, le 27 septembre 2015, le prix des Champions de la Terre du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) – soit la plus haute distinction environnementale onusienne – en guise de reconnaissance de son leadership dans la lutte contre le changement climatique.

Un pays pionnier dans le domaine de l’adaptation et de la gestion des catastrophes naturelles

Naturellement exposé aux cyclones et aux inondations en raison de sa situation géographique au cœur du delta du Bengale, le Bangladesh a investi dès son indépendance, en 1971, dans la mise en place d’un système de gestion des risques de catastrophes, qui a depuis fait ses preuves. Ainsi, alors que le cyclone Bhola faisait près de 500 000 morts en 1970, le cyclone Aila n’en causait lui « que » 300 en 2009. À l’origine de ce résultat, un système d’alerte précoce centré notamment sur un accès rapide des populations les plus vulnérables à des informations fiables, leur permettant de prendre la bonne décision entre fuir ou rester pour protéger leurs maisons et leurs biens, et transmises par le biais des radios locales, de la technologie mobile ou de milliers de volontaires formés pour avertir des dangers [4]. Considéré par les institutions onusiennes comme un modèle à suivre en matière de réduction des risques de catastrophes, le Bangladesh n’attire plus seulement l’attention pour les crises humanitaires déclenchées par les inondations et les cyclones dévastateurs, mais aussi pour les leçons qu’il est en mesure d’apporter au reste du monde. L’invitation par le Goddard Institute for Space Studies (GISS) – un centre de recherche de l’Administration nationale de l’aéronautique et de l’espace états-unienne (NASA) – de spécialistes bangladais de la gestion des catastrophes naturelles pour venir partager leur expérience après le passage de l’ouragan Sandy sur la ville de New York en 2012 est tout aussi anecdotique qu’éclairante à cet égard [5].

Alors que les impacts du changement climatique sur son territoire sont d’ores et déjà réels et constatables, le Bangladesh a été l’un des premiers pays à relever le défi climatique et à développer des solutions innovantes, malgré des capacités de financement limitées et des problèmes de gouvernance multiples. Il est notamment loué pour avoir été le premier pays en développement (PED) à formuler, dès 2009, une stratégie de lutte contre le changement climatique et un plan d’action associé. Si celle-ci accorde logiquement la priorité aux mesures d’adaptation, elle intègre aussi des programmes d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre (GES), pourtant non imposés par les décisions de la CCNUCC compte tenu de la contribution négligeable du Bangladesh aux émissions mondiales (0,35 %) et de son faible niveau de développement [6]. Le pays a ainsi mis en place le plus grand programme de panneaux solaires individuels au monde, qui permet actuellement de fournir de l’électricité à plus de 20 millions de foyers, notamment en zones rurales [7].

Afin de financer son action climatique nationale, le Bangladesh est aussi le premier pays à avoir créé, en 2009, un fonds fiduciaire entièrement alimenté par les fonds propres du gouvernement, le Bangladesh Climate Change Trust Fund [8]. Doté en 2015 de 400 millions de dollars, cet instrument était alors mieux alimenté que le fonds multidonateurs parallèlement mis en place, le Bangladesh Climate Change Resilience Fund [9]. Ce mécanisme financier est régulièrement mis en avant dans les COP par les négociateurs bangladais pour démontrer la capacité du pays à gérer des volumes financiers importants et susciter la confiance des bailleurs internationaux pour attirer de nouveaux financements, malgré les soupçons de corruption et d’abus dont il fait l’objet. Présenté comme un exemple de bonne pratique à reproduire, ce fonds a servi de modèle à la mise en place de mécanismes similaires aux Maldives et en Indonésie.

Ces innovations ont contribué à activer le weak power du Bangladesh dans les négociations climatiques internationales. Elles ont en effet permis au pays de se positionner comme un « bon élève » de la lutte mondiale contre le changement climatique et un exemple à suivre. Il a ainsi gagné en autorité et en légitimité, notamment au sein du groupe des pays les moins avancés (PMA), dont il est devenu l’un des porte-parole dans les négociations, mais également pu revaloriser son image internationale en insistant sur sa résilience, et non uniquement sur sa vulnérabilité. Cette résilience doit aussi beaucoup au dynamisme des ONG et des communautés locales, qui ont appris à vivre avec les catastrophes naturelles : elles ont développé un savoir expérientiel précieux et mis en place des stratégies ingénieuses pour s’adapter à ces aléas.

Un « hub » de l’expertise climatique du Sud

La vulnérabilité climatique du Bangladesh a non seulement constitué un important levier d’action publique en matière d’adaptation, mais aussi transformé le pays en véritable terrain d’expérimentation et de production de nouveaux savoirs. Comme le résume Saleemul Huq, un scientifique bangladais renommé dans le domaine de l’adaptation, « l’une des caractéristiques de l’adaptation en tant que science, c’est que les riches n’ont aucun avantage. Les pauvres ont un avantage comparatif, car nous sommes assis sur le problème, nous devons y faire face. Nous développerons les solutions au fur et à mesure, plus qu’Oxford, Harvard ou Yale. Ils ont les modèles informatiques qui peuvent tout simuler, mais ils n’ont pas le problème. Ils devront venir à nous » [10]. Tout comme le Bangladesh fut, au moment de son indépendance, considéré comme un laboratoire du développement, son exposition aux événements climatiques extrêmes en a fait également un laboratoire de l’adaptation attirant de nombreux chercheurs et ONG étrangers. Qui veut observer les impacts tangibles du changement climatique, étudier la résilience locale ou tester de nouveaux programmes d’adaptation, ne peut faire l’économie de venir au Bangladesh, qui a ainsi gagné en visibilité et en attraction internationales.

La vulnérabilité s’est également révélée un atout pour le développement au Bangladesh d’une expertise locale du « Sud », faisant aujourd’hui figure d’exception au sein des PMA. Celle-ci se concentre entre les mains d’un groupe restreint d’experts de la société civile, souvent proches du gouvernement, formés dans des universités prestigieuses à l’étranger et très fortement insérés dans des réseaux de recherche transnationaux, ce qui leur permet de contribuer au rayonnement scientifique du pays. Entre science et militantisme, ces experts doublent leur savoir d’un effort de communication politique, assistant le gouvernement dans la formulation de sa politique climatique nationale et de son argumentaire diplomatique dans les COP.

Preuve de la reconnaissance de cette expertise climatique bangladaise, il est par exemple étonnant de constater que le Bangladesh est le PMA qui contribue le plus aux rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), ces derniers reflétant encore très largement l’expertise produite au « Nord » [11]. Les auteurs bangladais sont, en outre, exclusivement présents dans le groupe de travail II du GIEC, qui s’attache à l’étude des impacts, de la vulnérabilité et de l’adaptation, ce qui confirme là encore la reconnaissance d’une expertise spécifique.

Un leadership moral

Une politique climatique avant-gardiste ainsi qu’une expertise avancée en matière d’adaptation ont octroyé au Bangladesh un certain leadership politique et scientifique qui, sans rivaliser avec celui des grandes puissances, lui a permis néanmoins d’accroître son influence dans les négociations climatiques, notamment au sein du groupe des PMA, dont il est l’une des figures de proue. Ces pays, aux côtés des petits États insulaires du Pacifique, sont désignés comme des victimes innocentes du changement climatique, subissant de plein fouet les impacts du réchauffement planétaire qu’ils n’ont pas contribué à créer. Ils jouissent ainsi d’un leadership moral qui leur permet de mobiliser autour de leur cause les médias et les opinions publiques, et de faire pression sur les pays industrialisés pour que ces derniers entendent leurs revendications dans les négociations [12]. Ayant recours aux principes de justice climatique, de pollueur-payeur ou encore de responsabilité historique, ils en appellent au devoir moral des pays développés de réduire leurs émissions de GES et d’aider les plus vulnérables à s’adapter à l’aide de transferts technologiques et financiers. Il est ainsi fréquent, dans les COP, d’assister à des déclarations « émouvantes » de la part des responsables politiques des pays les plus vulnérables, qui dénoncent l’injustice climatique dont leur pays est l’objet et alertent sur les menaces que le changement climatique fait peser sur leur territoire et leur population.

Si ce leadership semble surtout symbolique et ne conduit pas véritablement à infléchir le résultat des COP, qui reste le produit des rapports de forces entre grandes puissances et économies émergentes, il permet néanmoins d’obtenir certaines avancées. Inscrit dans l’Accord de Paris, l’objectif ambitieux de limiter l’augmentation de la température globale à 1,5 °C est ainsi le produit d’une intense mobilisation des pays les plus vulnérables, en amont et pendant la COP21, soutenus par les ONG, et qui a porté ses fruits. Si cet objectif est considéré comme inatteignable compte tenu des efforts considérables qui devraient être fournis en matière de réduction des émissions de GES, il a néanmoins constitué un moyen de pression efficace pour les pays les plus vulnérables pendant les négociations et donné de la visibilité à leur situation particulière.

Mutualiser les ressources pour être plus fort : l’importance des coalitions

Bien qu’aucun État ne négocie seul dans les négociations internationales, l’asymétrie des rapports de forces rend d’autant plus importante la création d’alliances et de coalitions pour les plus faibles. Grâce à leur majorité numérique – et à la règle onusienne d’un État égal une voix –, à leur leadership moral mais aussi au soutien d’experts et d’ONG, les pays les plus vulnérables sont parvenus au fil des COP à s’imposer comme des acteurs essentiels des négociations et à inscrire certaines de leurs demandes à l’agenda.

L’une des stratégies les plus communément employées par ces pays consiste à « emprunter » les ressources qui font défaut à leurs délégations pour pouvoir peser dans les discussions [13]. Afin de pallier les lacunes des négociateurs des PMA, qui peinent souvent à maîtriser l’ensemble des enjeux mis à l’agenda des COP et la complexité du processus de négociation lui-même, des ONG et des think tanks ont mis en place des ateliers de formation pour « coacher » les négociateurs et augmenter leurs capacités de négociation [14]. Ces acteurs non étatiques intègrent également souvent les délégations de leur État, afin d’assister les négociateurs sur les sujets les plus techniques.

Par ailleurs, la mise en place d’une diplomatie collective permet de mutualiser les ressources humaines, financières et scientifiques, et de dépasser ainsi certains des obstacles récurrents à la participation des PMA dans les COP : petite taille des délégations nationales – certaines ne comptent pas plus de deux ou trois négociateurs – qui empêche de participer à toutes les sessions de négociations parallèles et donc d’y représenter les intérêts du pays, déficit d’expertise, barrières linguistiques, etc. [15]

La formation de coalitions a, de plus, permis aux PED de défendre des intérêts communs et de faire bloc face aux pays développés, le tout afin d’accroître leur pouvoir de négociation collectif et de faire entendre leurs revendications partagées. Le G77 + Chine regroupe l’ensemble des PED et forme ainsi le groupe le plus imposant des négociations climatiques. Grâce à son poids numérique, il est parvenu à obtenir des concessions importantes de la part des grandes puissances. C’est, par exemple, à ses efforts que l’on doit la mise à l’agenda du thème de l’adaptation dans les COP ou encore le maintien du principe de responsabilités communes mais différenciées, qui structure le multilatéralisme climatique depuis sa création en 1992 [16]. Si ce principe a été fortement contesté lors de la COP21 par les puissances occidentales, qui demandaient sa remise en cause en raison de la montée en puissance de la Chine, elles ne sont pas parvenues à diviser le G77 + Chine sur ce sujet. L’unité du groupe n’est toutefois que de façade, et est de plus en plus mise à mal par les écarts croissants de développement économique et de niveau d’émissions de GES des membres. Depuis l’échec de Copenhague, en 2009, sont ainsi montées des velléités d’autonomisation et de leadership des pays les plus vulnérables, qui se réorganisent autour de leurs intérêts propres.

Le groupe des PMA, auquel le Bangladesh appartient, s’attache ainsi à défendre la situation et les besoins spécifiques de ces pays. Ses membres usent de leur leadership moral pour convaincre les pays développés de leur accorder la priorité dans le financement de l’adaptation et de tenir compte des pertes et dommages irréversibles provoqués par les impacts du changement climatique. Ce dernier dossier a été particulièrement poussé à l’agenda par le Bangladesh, et démontre la capacité d’influence des PMA et de l’Alliance des petits États insulaires (AOSIS). Après d’âpres débats et des années de lobbying pour inscrire cette question à l’ordre du jour des négociations, ces pays ont réussi à faire inscrire l’une de leurs revendications phares lors de la COP21, à savoir le traitement des questions de pertes et dommages, d’un côté, et d’adaptation, de l’autre, dans deux articles distincts de l’Accord de Paris. D’abord réticents, car craignant que cela n’ouvre le droit à de nouvelles demandes de compensations financières, les pays développés n’ont eu d’autre choix que d’accepter la demande des pays les plus vulnérables afin de les convaincre de signer le texte et d’éviter un nouvel échec après celui de Copenhague. Le diable se cache cependant bien souvent dans les détails : l’article consacré aux pertes et dommages exclut en pratique toute responsabilité juridique, et donc toute possibilité de demander des indemnisations aux pays développés devant des tribunaux. Il s’agissait d’une ligne rouge des États-Unis, qui refusaient de signer l’accord en l’absence de cette condition. Cet exemple démontre la capacité des petits pays à influencer le processus de négociation, mais leur difficulté à véritablement peser sur les résultats de celle-ci, en raison du retour en force de la realpolitik dans les derniers moments d’une COP.

Les pays vulnérables se sont également rassemblés au sein de groupes de pression et d’influence pour porter leur voix, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’enceinte des COP. Le Climate Vulnerable Forum (CVF) s’est ainsi formé peu de temps avant la COP21, à Paris, à l’initiative des Maldives et de dix autres pays, dont le Bangladesh. Il rassemblait 43 membres lors de la COP21 et a permis de donner une réelle impulsion politique, dès le premier jour de la conférence, en signant devant les caméras du monde entier la Déclaration Manille-Paris. Celle-ci prônait notamment une action internationale plus ambitieuse, via la signature d’un accord international contraignant, et un objectif de limitation de l’augmentation de la température globale à 1,5 °C au lieu de 2 °C. Grâce à une forte campagne de mobilisation, le CVF n’a cessé de faire pression pour que ce dernier objectif soit inscrit dans l’Accord de Paris, jusqu’à y parvenir.

Le CVF se positionne également comme un gardien et un moteur des négociations climatiques, prenant des initiatives ambitieuses et impulsant des changements significatifs. À la COP22, ses membres se sont ainsi engagés à atteindre 100 % d’énergies renouvelables dans leur mix énergétique d’ici 2050. Cette décision peut sembler marginale, puisque l’essentiel des efforts de réduction des émissions de GES doit être fourni par les plus gros pollueurs. Mais elle a le mérite d’afficher la volonté de ces pays de prendre le leadership dans le domaine du changement climatique, au moment où les États-Unis, plus gros pollueur historique, annoncent leur retrait de l’Accord de Paris.

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Si les pays les plus vulnérables sont parvenus à peser davantage dans les négociations que leur poids initial ne pouvait a priori le laisser penser, il convient toutefois de relativiser leur influence. S’ils parviennent bien à mettre à l’agenda de nouveaux enjeux et à agir sur le processus de négociation, leurs revendications, malgré quelques succès, se retrouvent le plus souvent écartées du texte final ou intégrées dans une version délestée de son ambition initiale, comme le démontre l’exemple des compromis réalisés autour de l’article sur les pertes et dommages lors de la COP21.

Néanmoins, le changement climatique, s’il constitue indéniablement un défi de taille pour ces pays, peut aussi être pour eux une opportunité de leadership et de changement. L’exemple du Bangladesh montre que la vulnérabilité, a priori peu enviable, peut devenir un formidable levier d’action publique lorsqu’elle déclenche une prise de conscience et un engagement politique de l’État concerné. Elle est aussi un atout diplomatique dont se saisissent les plus vulnérables pour asseoir leur leadership moral et légitimer leurs revendications. Loin d’être de simples victimes passives et innocentes, ces pays sont donc au contraire de plus en plus des acteurs majeurs de la lutte contre le changement climatique. Attachés au multilatéralisme climatique dont dépend en partie leur survie, ils impulsent une dynamique positive dans des négociations trop souvent paralysées par les rapports de forces entre les parties les plus puissantes. Sources d’innovations en matière d’adaptation, ils sont aussi capables d’apporter des leçons au reste du monde, et de jouer ainsi un rôle actif dans la nécessaire transformation des économies et des sociétés vers un monde plus résilient, plus sûr et plus juste.


  • [1] Ruth Gordon, « Climate Change and the Poorest Nations : Further Reflections on Global Inequality », University of Colorado Law Review, vol. 78, 2007, p. 1565.
  • [2] Sur l’exemple de l’Inde, lire dans ce dossier Dhanasree Jayaram, « From “Spoiler” to “Bridging Nation” : The Reshaping of India’s Climate Diplomacy ».
  • [3] Voir Alice Baillat, Le weak power en action. La diplomatie climatique du Bangladesh, thèse de doctorat en science politique soutenue à l’Institut d’études politiques de Paris le 17 mars 2017 (non publiée).
  • [4] Mizan R. Khan et M. Ashiqur Rahman, « Partnership approach to disaster management in Bangladesh : a critical policy assessment », Natural Hazards, vol. 41, n° 2, 2007.
  • [5] « Lessons from Bangladesh for a post-Sandy New York », International Institute for Environment and Development, 22 janvier 2013.
  • [6] Ministry of Environment and Forests, Bangladesh Climate Change Strategy and Action Plan, Dacca, Government of the People’s Republic of Bangladesh, 2009.
  • [7] « Solshare, la start-up qui met en partge l’énergie solaire au Bangladesh », Medium – We Lab, 3 mars 2017.
  • [8] S. M. Munjurul Hannan Khan, Saleemul Huq et Md. Shamsuddoha, « The Bangladesh National Climate Funds. A brief history and description of the Bangladesh Climate Change Trust Fund and the Bangladesh Climate Change Resilience Fund », LDC Paper Series, IIED / ECBI, 2012.
  • [9] Ibid.
  • [10] Daniel Nelson, « Climate change adaptation as a new academic discipline », University World News, 16 mars 2013.
  • [11] Voir Alice Baillat, op. cit.
  • [12] Inés de Agueda Corneloup et Arthur P. J. Mol, « Small island developing states and international climate change negotiations : the power of moral “leadership” », International Environmental Agreements : Politcs, Law and Economics, vol. 14, n° 3, septembre 2014.
  • [13] Carola Betzold, « Borrowing Power to Influence International Negotiations : AOSIS in the Climate Change Regime, 1990-1997 », Politics, vol. 30, n° 3, septembre 2010.
  • [14] C’est le but par exemple de l’European Capacity Building Initiative (ECBI), une initiative conjointe de l’International Institute for Environment and Development (IIED) et de l’Oxford Climate Policy lancée en 2005, qui propose des formations aux négociateurs des pays en développement et leur apporte, entre autres, un soutien juridique.
  • [15] Dana R. Fisher et Jessica F. Green, « Understanding Disenfranchisement : Civil Society and Developing Countries’ Influence and Participation in Global Governance for Sustainable Development », Global Environmental Politics, vol. 4, n° 3, août 2004.
  • [16] Ce principe se fonde sur l’idée qu’il serait inéquitable de soumettre les membres du G77 + Chine aux mêmes obligations d’atténuation que les pays développés, compte tenu de leur moindre responsabilité historique et de la primauté de leur droit au développement.