Chine : l’insertion commerciale comme catalyseur du développement ? / Par Emmanuel Hache

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En janvier 2017, à quelques jours d’intervalle, les présidents américain et chinois se sont livrés à une bataille de communication à distance sur la question du libre-échange au niveau international. Le 45e président des États-Unis, Donald Trump, marquait le premier jour officiel de son mandat en engageant le retrait de son pays du Partenariat transpacifique (TPP), quand son homologue chinois, Xi Jinping, affirmait pour sa part, lors du Forum économique mondial de Davos, l’importance de l’ouverture commerciale, un facteur qui a permis à près de 700 millions de ses concitoyens de sortir de la pauvreté. Par ce même discours, et par anticipation d’un probable repli protectionniste américain, la Chine confirmait également qu’elle prenait le relais des États-Unis au sein du système commercial international. Dans ce contexte marqué par de nombreuses incertitudes, l’espace créé par l’administration Trump constitue en effet une réelle opportunité pour l’affirmation d’une gouvernance chinoise au niveau mondial. D’autant que Pékin a toujours su faire preuve, par le passé, d’un certain pragmatisme en mêlant des objectifs domestiques à une affirmation progressive sur le plan international.

La Chine est ainsi devenue en l’espace de trente ans une superpuissance économique – elle représente environ 15 % du produit intérieur brut (PIB) mondial [1] en 2016 selon la Banque mondiale, contre 2 % en 1990 – et la première puissance commerciale de la planète. Selon l’Organisation mondiale du commerce (OMC), elle constituait, en 2016, plus de 13 % des exportations mondiales, devançant les États-Unis (9 %) et l’Allemagne (8,4 %). Si ce chiffre marque un recul par rapport à 2015 [2], il ne peut toutefois occulter l’ascension fulgurante d’un pays devenu premier exportateur mondial dès 2009, alors qu’il représentait moins de 1 % de ces exportations en 1979 [3].

Dans son livre Quand la Chine change le monde, Erik Izraelewicz écrivait : « Le gigantisme de l’avion (le pays le plus peuplé de la planète), l’originalité de son moteur (l’hypercapitalisme), et le moment de son envol (une heure de pointe de la mondialisation), voilà ce qui différencie le cas chinois des décollages économiques précédents » [4]. Son adhésion à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), en décembre 2001, et la politique de conquête extérieure des marchés (« Go Global ») décrétée par le gouvernement chinois ont constitué les étapes supplémentaires d’une stratégie d’ouverture menée depuis la fin des années 1970. La Chine a profité d’une dynamique de mondialisation comparable à celle observée à la fin du XIXe siècle, dont elle a par la suite permis l’accélération. Cette insertion semble ainsi avoir porté son développement économique et sa montée en puissance. Dans le contexte actuel de ralentissement du commerce international, il semble pertinent de s’interroger sur la réalité de la dépendance chinoise à ces marchés extérieurs, dans un contexte où le pays opère, de son côté, une transition de son économie vers un modèle tourné vers la consommation.

L’odyssée chinoise sur les marchés mondiaux

La littérature économique a analysé le rôle du commerce international dans le processus de développement de différents pays et de nombreuses études confirment que les pays ouverts aux échanges internationaux ont tendance à être plus productifs que les pays renfermés sur leur seul marché domestique. Jeffrey D. Sachs et Andrew Warner montrent, par exemple, que la croissance d’un pays est supérieure après une période de libéralisation commerciale [5]. Bela Balassa [6] et David Dollar [7] mettent également en évidence que les pays ouverts sur l’extérieur ont une croissance supérieure. Les gains à l’échange apparaissent en effet nombreux : économies d’échelle, changement de la structure du PIB avec une industrialisation progressive du pays, diffusion de la technologie, amélioration de la productivité, convergence des prix relatifs entre le marché domestique et les marchés extérieurs, et in fine montée en gamme technologique [8]. Ces facteurs permettent d’enregistrer une hausse des salaires et un développement du pays.

Depuis la politique d’ouverture lancée par le gouvernement chinois en 1979, la croissance domestique et le commerce international du pays ont ainsi enregistré des tendances marquées, tout comme son PIB par tête (tableau n° 1). Selon les statistiques nationales [9], entre 1952 et 1978, le PIB de la Chine avait certes enregistré une croissance moyenne de 6,78 %, mais le PIB par tête avait connu une progression inférieure à la moyenne mondiale, de 2,3 % contre 2,6 % [10].

L’ouverture de l’économie chinoise est amorcée en décembre 1978 sous l’impulsion de Deng Xiaoping – alors vice-Premier ministre et vice-président du Parti communiste – et se révèle multiforme. Mais l’ouverture commerciale du gouvernement chinois est avant tout une ouverture politique. En effet, dans les années 1950, les liens commerciaux de la Chine se limitaient quasi exclusivement à l’Union soviétique, qui lui fournissait à la fois son modèle de développement – références idéologiques, théoriques et principes d’organisation – et un appui économique important – aide économique et technique. Les pays européens, les États-Unis et le Japon avaient mis en place un embargo à son égard après qu’elle eut envoyé des « volontaires » pour aider à expulser les forces des Nations unies de Corée du Nord [11]. La rupture avec Moscou, consommée en 1960 après moult dissensions depuis 1956 – non-condamnation du stalinisme par la Chine, rapprochement soviéto-américain, critique de la politique de Grand Bond en avant, etc. – provoque un isolement de la Chine, marqué par un effondrement des échanges avec l’Union soviétique dès 1961.

Dans ce contexte contraint, l’ouverture de l’économie devient à la fin des années 1970 la base du développement économique chinois. La stratégie de Pékin est double. Elle vise à la fois à attirer des capitaux étrangers sur son territoire, mais également à promouvoir les échanges extérieurs. La suppression du monopole de l’État sur le commerce extérieur ouvre la porte à une transformation en profondeur de l’économie. Élimination des barrières empêchant la convergence entre les prix domestiques et les prix extérieurs, décentralisation des décisions concernant le commerce extérieur vers les entreprises autorisées et les provinces, et politique de change favorable [12] à l’insertion sur les marchés internationaux sont autant de mesures qui symbolisent ce changement d’état d’esprit. La réussite des « dragons » asiatiques [13] incite également Pékin à sortir de son isolement commercial. Durant sa phase de préaccession à l’OMC, la Chine enregistrera ainsi quatre variantes [14] de politiques commerciales marquées par des taux d’ouverture extérieure différenciés (tableau n° 2) : substitution aux importations et promotion marginale des exportations (1980-1983), promotion des exportations et neutralisation de la substitution aux importations (1984-1990), promotion des exportations et libéralisation commerciale marginale (1991-1993), libéralisation commerciale radicale (1994-2001).

Toutefois, les années 1980 restent essentielles dans l’ouverture économique de la Chine, avec le passage d’une économie planifiée de type soviétique à un « socialisme de marché », marqué notamment par son lot de réformes intérieures – démantèlement des communes populaires, rétablissement du profit comme critère de gestion des entreprises, primes de rendement pour les salariés – et commerciales. Ces dernières seront soutenues par un régime douanier préférentiel – exemption de droits de douane des produits importés destinés à être assemblés ou transformés pour l’exportation – et par une protection du marché intérieur. La Chine adopte ainsi une stratégie d’ouverture inspirée de celle des dragons asiatiques, avec la création de capacités d’exportation dans les industries légères. Elle entreprend de tirer parti de son avantage comparatif dans les industries intensives en main-d’œuvre et profite, tout comme ses prédécesseurs, d’une politique de change au bénéfice de l’ouverture commerciale, avec un taux de change fixe du renminbi par rapport au dollar.

Investissements directs étrangers, internationalisation des entreprises et de la monnaie chinoises

Cette ouverture économique a été précédée d’un retour progressif de la Chine sur la scène internationale. En 1971, le pays intègre l’Organisation des Nations unies (ONU) et devient membre permanent de son Conseil de sécurité, ce qui entraîne le départ de Taiwan. Dès 1972, les relations diplomatiques entre la Chine et les États-Unis sont marquées par la visite du président Nixon à Pékin. En mai 1980, le pays réintègre le Fonds monétaire international (FMI). Signataire de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) en 1947 [15], la Chine le rejoint en tant qu’observateur en 1982 [16] et retrouve son statut de membre dès 1986, ouvrant une période de quinze ans jusqu’à devenir membre à part entière, en décembre 2001, d’une institution GATT devenue OMC en 1995.

Sur le territoire chinois sont mises en place, dès 1979, des zones économiques spéciales (ZES) à Shantou, Xiamen, Zhuhai et Shenzhen, dans les provinces du Guangdong et du Fujian. Les deux premières ont la particularité d’avoir des liens assez étroits avec la diaspora chinoise ; les deux suivantes disposent d’une proximité géographique avec Macao et Hong-Kong. La Chine cherche alors avant tout à attirer des investissements directs étrangers (IDE) afin de bénéficier de transferts de technologies et d’acquérir des méthodes modernes de gestion.

Près de quarante ans après le lancement de cette politique, la Chine est devenue un acteur majeur sur le marché des IDE internationaux. Faibles au début des années 1980, ces investissements vont enregistrer une croissance marquée après la mise en place des réformes de 1992, pour dépasser les 100 milliards de dollars au début des années 2000. Longtemps considérée comme un unique pays d’accueil, la Chine est même désormais exportatrice nette d’IDE. Les flux sortants sont ainsi passés de 7 à plus de 180 milliards de dollars entre 2001 et 2016 (figure n° 1). Dès le début des années 2000, Pékin a mis en place un système de régulation pertinent et efficace pour conquérir les marchés extérieurs : support pour la mise en place de structures compétitives, mise en réseau des firmes qui investissent à l’étranger, encouragement d’IDE favorisant le développement économique du pays – matières premières, renforcement de la base technologique. Cette politique du « Go Global » consolide le développement économique chinois. Couplée à l’adhésion à l’OMC en décembre 2001, elle constitue une étape complémentaire de la stratégie d’ouverture menée depuis la fin des années 1970, qui a notamment permis une émancipation des entreprises chinoises du marché intérieur pour répondre à une triple logique de sécurité énergétique [17], de développement à l’international et de restructuration.

Ce mouvement s’est accompagné d’une volonté d’internationalisation progressive du renminbi et de la place du pays sur les marchés financiers internationaux. Les instruments sont multiples en la matière : deux fonds souverains nationaux qui investissent les réserves de change sur les marchés internationaux (State Administration of Foreign Exchange [SAFE] et China Investment Corporation [CIC]) ; banques nationales (Eximbank, China Development Bank) qui, dès 2010, ont engagé des montants de prêts considérables ; banques commerciales, dont certaines ont intégré les premières places des classements internationaux en matière de fonds propres. Même si elles ont fondu depuis leur plus haut niveau de juin 2014, les réserves de change de la Chine s’établissent encore à l’heure actuelle à environ 3 000 milliards de dollars. Le pays possède désormais tous les atouts d’une puissance financière internationale. En outre, le renminbi s’internationalise, comme le montrent les chiffres de la Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication (SWIFT) [18] : en janvier 2016, il est ainsi devenu la cinquième monnaie la plus utilisée dans les transactions commerciales, avec près de 2,45 % des paiements globaux – contre 1,39 % en janvier 2014. Et ce mouvement devrait s’accélérer, car la Chine continue de conclure des accords de swaps de devises, accords de compensation entre banques avec de nombreux pays européens. Elle a également renforcé sa coopération avec la City de Londres, appelée à servir de tête de pont de la « yuanisation » européenne. Ailleurs dans le monde, l’Afrique du Sud, le Ghana, la Malaisie, le Nigeria, Maurice et le Zimbabwe utilisent déjà le renminbi comme monnaie de règlement et de réserves.

Des exportations à la consommation intérieure

La nécessité d’une croissance inclusive

L’ouverture extérieure a permis à la Chine de s’imposer sur les marchés internationaux, mais cet objectif s’est réalisé au prix d’un accroissement des inégalités : inégalités spatiales entre les zones portuaires et les zones intérieures ; inégalités sectorielles entre le secteur manufacturier, vecteur du développement commercial, et le secteur agricole, parent pauvre de la croissance chinoise. En parallèle, le modèle de croissance extensif s’essouffle. Ainsi, après avoir culminé à plus de 14 % en 2007, le taux de croissance de l’économie chinoise est passé de 10,6 % en 2010 à 6,7 % en 2016, soit son taux le plus faible depuis près de vingt-six ans (tableau n° 3). Ce mouvement s’observe alors que le pays est en train de vivre l’un des plus importants changements de modèle de l’histoire économique mondiale, et ce, dans un contexte global plutôt défavorable : la croissance mondiale s’inscrit entre 2,4 et 2,9 % depuis 2012 et de nombreuses incertitudes pèsent sur le commerce international. Tout comme le Japon des années 1990, la Chine est entrée dans une « décennie de transition » et concentre de nombreux maux économiques : bulle immobilière, surcapacités de production, forte augmentation des dettes contractées par l’ensemble des agents économiques. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la dette chinoise dépasserait ainsi, fin 2016, 255 % du PIB [19], contre 151 % en 2006. Une large part de ce mouvement est due à la hausse de la dette des entreprises, et plus particulièrement des entreprises d’État, mais également des ménages, ce qui induit un risque systémique sur l’ensemble du système financier chinois.

De nombreuses interrogations subsistent sur les nouvelles orientations de la politique chinoise. Les dernières statistiques domestiques montrent, par exemple, que la croissance a été tirée par les investissements et la bonne santé du commerce international sur les premiers mois de l’année 2017. Toutefois, il est nécessaire de relativiser les craintes actuelles : le ralentissement observé est structurel et paraît naturel à bien des égards. En effet, il est difficile d’imaginer une économie de la taille de celle de la Chine croître de plus de 10 % par an. En outre, la stratégie chinoise est guidée par le fait que Pékin n’a plus besoin, comme par le passé, de créer des millions d’emplois, car sa population active en âge de travailler diminue : le plein emploi ne passe plus, désormais, par la nécessité d’une croissance à deux chiffres. Dans cette phase de transition, les aspects qualitatifs – impacts énergétiques et environnementaux de la croissance passée –, les défis sociétaux – vieillissement de la population, migrations et inégalités des territoires – et économiques – gérer les restructurations de l’industrie chinoise et favoriser l’économie digitale – sont devenus les priorités du gouvernement chinois.

Le changement de modèle de croissance inspire ainsi un changement que veut porter le XIIIe plan quinquennal : la croissance chinoise se doit désormais d’être inclusive, et cet objectif passe notamment par une meilleure répartition de ses fruits. Selon l’OCDE [20], les inégalités de revenus [21], qui avaient augmenté entre 2004 et 2008, ont diminué depuis cette période, un mouvement porté notamment par une forme de convergence des revenus entre les différentes provinces et par la réduction de l’écart entre les revenus en milieu rural et en milieu urbain. Entre 2005 et 2015, la part de la population vivant sous le seuil de pauvreté en milieu rural est ainsi passée de 30 % à moins de 6 %. L’intérêt marqué du gouvernement dans la recherche et développement et dans l’éducation reste, en outre, le meilleur garant du développement économique. En 2015, les étudiants chinois ayant passé le test PISA [22] ont largement dépassé les résultats de la moyenne des pays de l’OCDE.

Éviter la trappe

Plus globalement, c’est le piège de la trappe des pays à revenu intermédiaire [23] que la Chine va devoir affronter. Cette notion rappelle la difficulté rencontrée par de nombreux pays pour se hisser parmi les pays dits « à revenu élevé » dans leur processus de développement économique. Si l’Inde appartient par exemple à la classe des pays à revenu intermédiaire inférieur, le Brésil et la Chine font partie des pays à revenu intermédiaire supérieur. Avec un revenu par tête d’environ 22 540 dollars en 2016, la Russie appartient pour sa part déjà à la classe des pays à revenu élevé. Une étude conduite en 2013 par le FMI et le Development Research of the State Council en Chine est particulièrement explicite à ce sujet : sur les 101 pays analysés qui se situaient, en 1960, dans la tranche des pays à revenu intermédiaire, seuls 13 étaient passés dans la tranche des pays à haut revenu en 2008 [24]. La plupart des pays d’Amérique latine n’ont pu, par exemple, s’en extirper. A contrario, l’Asie est particulièrement porteuse d’enseignements, puisque Hong-Kong, Taiwan, le Japon et la Corée du Sud sont sortis de cette trappe, portés par un modèle de développement propre et intégré – le modèle des « oies sauvages » [25]. Le processus de transition économique actuellement opéré par la Chine vise à rééquilibrer la croissance, en passant d’une économie basée sur les exportations de produits manufacturés à une économie de services fondée sur l’innovation, pour in fine augmenter le revenu moyen par habitant. Mais sortir de la trappe des pays à revenu intermédiaire suppose de surmonter de nombreux défis : désindustrialiser l’Ouest de son territoire et industrialiser l’Est, réduire les inégalités régionales et de revenus, améliorer la productivité, gérer au mieux le dégonflement des bulles spéculatives immobilière et boursière observées depuis quelques années, etc.

Dans ce contexte, la question de la réussite de la transition économique chinoise est fondamentale. Les travaux d’Angus Maddison ont permis d’observer historiquement une forte décélération du taux de croissance des économies atteignant un PIB d’environ 11 000 dollars par habitant, notamment dans les principaux pays asiatiques – Japon, Corée du Sud, Hong-Kong, Singapour et Taiwan. La Chine ne fait pas exception. Toutefois, il est intéressant d’observer que son ralentissement est intervenu plus tôt que celui du Japon, de Taiwan ou de la Corée du Sud. En effet, le Japon a atteint le seuil de 11 000 dollars par tête dans les années 1970, alors que son PIB par tête représentait plus de 70 % de celui des États-Unis. La Corée du Sud l’a dépassé alors que son PIB par tête représentait environ 45 % du PIB par tête américain. Pour la Chine, ce chiffre est d’environ 23,5 %, ce qui permet aux plus optimistes et aux adeptes de déterminismes économiques d’envisager un atterrissage de la croissance chinoise moins douloureux.

L’enjeu de l’influence

Dans ce contexte, le commerce international pourrait continuer à tirer la croissance chinoise dans les années à venir. Toutefois, c’est peut-être à un niveau plus régional que des modifications pourraient s’opérer. En effet, depuis l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis et l’abandon du TPP, la Chine propose un projet d’intégration global marqué par le sceau de la connectivité – le projet des nouvelles routes de la soie (Belt and Road Initiative [26], BRI) – et avance un possible leadership régional sur les questions commerciales [27].

Le TPP, dont les négociations avaient débuté en 2008 n’a pas été ratifié par les États-Unis. Il proposait un partenariat avec 12 pays représentant environ 40 % du PIB mondial et plus du tiers des exportations mondiales, et constituait la partie commerciale du pivot asiatique initié en 2011 par Barack Obama. En cela, il était symbolique de la stratégie d’influence économique américaine dans la région visant à contrecarrer celle, grandissante, de la Chine. La porte ouverte laissée par son abandon par les États-Unis est importante pour deux raisons majeures. D’une part, le retrait américain donne à la Chine une capacité supplémentaire de rayonner d’un point de vue commercial dans la région. D’autre part, il pourrait permettre à la diplomatie commerciale chinoise d’imposer ses propres standards en matière d’accords bilatéraux ou multilatéraux. Ce dernier point est essentiel pour comprendre la pensée libre-échangiste de la Chine. Pragmatique, elle s’est parfaitement moulée dans le contexte structurant de la mondialisation des années 1990 et 2000, l’immensité et le potentiel de son marché intérieur constituant un rempart aux critiques sur la faiblesse de sa monnaie nationale ou les errements de sa politique commerciale (dumping). Toutefois, les incertitudes économiques et politiques actuelles lui offrent la primeur de la décision dans l’agenda commercial régional et mondial en fonction de ses propres préoccupations économiques. La Chine rêve ainsi d’un leadership commercial mondial alors qu’en interne, le pays vit un recadrage idéologique majeur avec une consolidation marquée du pouvoir de Xi Jinping.

*

Portée en partie par le commerce international depuis la politique d’ouverture initiée en 1979, l’émergence de la Chine a permis une accélération de sa croissance et de son développement. Depuis 2001, cette dynamique continue de susciter craintes et débats aux États-Unis comme en Europe, où sont dénoncées tour à tour la sous-évaluation de la monnaie chinoise ou celle des subventions du gouvernement aux entreprises. La puissance chinoise semble déjà s’imposer dans la guerre économique que mènent et continueront de mener ses entreprises sur tous les continents. Malgré la volonté gouvernementale de réorienter l’économie vers la consommation interne, les questions commerciales continuent d’occuper l’agenda des dirigeants chinois et de générer des tensions entre les principales zones commerciales mondiales. Le refus par l’Europe, les États-Unis et le Japon de donner à la Chine le statut d’économie de marché, comme promis par l’OMC lors de son accession en 2001, devrait connaître de nouveaux bouleversements dans les années qui viennent. En effet, à travers sa volonté d’imposer ses propres standards commerciaux ou à travers le projet BRI, Pékin souhaite modeler le système international à son avantage pour lui permettre de développer une croissance plus inclusive.

À ce titre, il importe toujours de rappeler ces propos anonymes chinois : « Si le XIXe siècle a été pour nous celui de l’humiliation, le XXe celui de la restauration, le XXIe siècle sera celui de la domination ». Et si, au final, cette domination de la Chine s’illustrait parfaitement dans le contexte actuel, marqué par sa capacité à alimenter, puis à transformer une dynamique internationale entreprise dans les années 1990, à savoir la mondialisation ?


  • [1] En dollars courants.
  • [2] En 2015, selon l’OMC, la Chine représentait 13,7 % des exportations mondiales.
  • [3] Entre 1979 et 2016, les exportations chinoises sont passées de 14 à 2 100 milliards de dollars et ses importations de 18 à 1 600 milliards de dollars. Entre 2000 et 2008, les exportations et les importations ont enregistré des taux de croissance respectifs de 25,1 % et de 24,2 %. L’excédent de la balance commerciale a atteint un niveau record en 2015 à 678,8 milliards de dollars, contre 22,6 milliards en 2001. En 2009, la Chine a dépassé l’Allemagne comme premier exportateur mondial de marchandises et est devenue la deuxième importatrice mondiale. L’Europe (546,7 milliards de dollars), les États-Unis (519,6 milliards) et les pays de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean) constituent ses trois principaux partenaires commerciaux et font également parmi de ses plus grands excédents commerciaux. Selon les douanes chinoises, Hong-Kong représente le premier excédent commercial de la Chine avec 271,5 milliards de dollars, suivi des États-Unis (250 milliards de dollars) et de l’Union européenne (131 milliards de dollars).
  • [4] Erik Izraelewicz, Quand la Chine change le monde, Paris, Grasset, 2005, p. 19.
  • [5] Jeffrey D. Sachs et Andrew Warner, « Economic Reform and Process of Global Integration », Brookings Papers on Economic Activity, vol. 26 n° 1, 1995.
  • [6] Bela Balassa, « Policy Responses to Exogenous Shocks in Developing Countries », American Economic Review, vol. 76, n° 2, 1986, mai 1986.
  • [7] David Dollar, « Outward-Oriented Developing Economies Really Do Grow More Rapidly : Evidence from 95 LDCs, 1976-1985 », Economic Development and Cultural Change, vol. 40, n° 3, avril 1992.
  • [8] Voir Jong-Wha, « Capital Goods Import and Long-Run Growth », Development Economics, vol. 48, n° 1, 1995 ; et Joachim Wagner, « Exports and Productivity : A Survey of the Evidence from Firm Level Data », The World Economy, vol. 30, n° 1, janvier 2017.
  • [9] Voir le site stats.gov.cn/english/Statisticaldata/AnnualData
  • [10] Angus Maddison, Chinese Economic Performance in the Long Run, second edition revisited and updated, 960-2030 AD, Development Center Studies, Paris, OCDE, 2007, p. 20.
  • [11] Si la plupart des pays ont levé l’embargo à la fin des années 1960, les États-Unis ont maintenu cette interdiction jusqu’en 1971.
  • [12] Le taux de change de la monnaie nationale, le yuan, est resté inchangé sur la période 1957-1970. Il s’est apprécié durant la décennie 1970, avant d’enregistrer une forte dévaluation par la suite, un schéma observé pour les autres économies asiatiques en développement.
  • [13] Corée du Sud, Hong-Kong, Singapour et Taiwan.
  • [14] Sheng Bin, China’s Trade Development Strategy and Trade Policy Reforms : Overview and prospect, Winnipeg, The International Institute for Sustainable Development, avril 2015.
  • [15] En 1950, à la suite de la demande de Tchang Kaï-chek, la Chine se retire du GATT.
  • [16] La République de Chine a pour sa part réintégré le GATT en tant qu’observateur en 1965, sans toutefois s’y intéresser pleinement. Pour plus de détails sur la question, lire Ivan Bernier, « La Chine, le GATT et l’Organisation mondiale du commerce », Les Cahiers du droit, vol. 37, n° 3, 1996.
  • [17] Voir Emmanuel Hache et Sandrine Rol, « Géopolitique et géoéconomie de la Chine : nouveau pacte du Quincy ou consensus de Beijing ? », La Revue internationale et stratégique, n° 105, IRIS Éditions – Armand Colin, printemps 2017.
  • [18] Voir le site swift.com
  • [19] En comparaison, suivant la même méthodologie, la dette est estimée pour les pays suivants : Japon, 378 % ; France, 283 % ; États-Unis, 249 % ; Allemagne, 177 %, Inde, 129 %.
  • [20] Angus Maddison, op. cit.
  • [21] Mesurées par l’indice de Gini.
  • [22] Le programme PISA (Programme for International Student Assessment) est une enquête internationale qui vise à évaluer les compétences et les connaissances des élèves de 15 ans.
  • [23] Différentes définitions existent : selon la Banque mondiale, sont considérés comme pays à revenu intermédiaire les pays ayant un revenu par tête compris entre 4 126 dollars et 12 735 dollars. Certains universitaires considèrent la borne 11 000-17 000 dollars comme plus pertinente pour étudier cette question.
  • [24] Corée du Sud, Espagne, Guinée équatoriale, Grèce, Hong-Kong, Irlande, Israël, Japon, Maurice, Porto Rico, Portugal, Singapour et Taiwan.
  • [25] Voir notamment Kaname Akamatsu, « A historical Pattern of Economic Growth in Developing Countries », The Developing Economies, vol. 1, n° 1, août 1962.
  • [26] Voir notamment Samuel Carcanague, « Désenclaver pour mieux régner ? Rivalité des grandes initiatives régionales en Asie centrale » ; et Emmanuel Hache et Kevin Mérigot, « Géoéconomie des infrastructures portuaires de la route de la soie maritime », La Revue internationale et stratégique, n° 107, IRIS Éditions – Armand Colin, automne 2017.
  • [27] Voir Emmanuel Hache, « Quels accords commerciaux en Asie après le retrait des États-Unis du traité trans-pacifique (TPP) ? », Asia Focus #38, Programme Asie, IRIS, juillet 2017.