Entretiens / Europe, Stratégie, Sécurité
1 décembre 2021
Relations extérieures du Royaume-Uni : quelle boussole ?
Le Royaume-Uni est confronté à de vastes changements depuis sa sortie de l’Union européenne. Contrats à renégocier, relations complexes avec ses anciens partenaires européens, le pays cherche à établir un nouveau cap. Quelle stratégie Boris Johnson adopte-t-il dans sa relation avec la France ? Assiste-t-on à un changement d’alliances du Royaume-Uni ? Avec quelles conséquences ? Le point avec Patrick Chevallereau, chercheur associé à l’IRIS, spécialiste des questions transatlantiques et franco-britanniques.
Les tensions se font croissantes entre la France et le Royaume-Uni sur les questions migratoires et de la pêche. Que nous dit la gestion de ces questions sur les relations entre les deux pays ?
Les relations franco-britanniques n’ont probablement jamais été aussi mauvaises depuis des décennies et les deux pays sont dans une situation intérieure assez particulière. Boris Johnson mène une campagne de dissimulation des effets négatifs du Brexit que sont les pénuries diverses, une immigration finalement moins facilement contrôlée qu’à l’époque où le pays faisait partie de l’Union européenne, un ralentissement des investissements, etc. Emmanuel Macron doit de son côté faire avec une campagne présidentielle qui a déjà commencé, et avec des adversaires qui ne lui feront évidemment aucun cadeau.
Sur la question migratoire, les accords du Touquet entre la France et le Royaume-Uni sont un volet essentiel de la situation. De fait, l’un des aspects principaux consiste à déplacer la frontière britannique dans les ports français. En ce qui concerne les contrôles, on estime qu’ils arrêtent environ 60% de l’immigration illégale. Les routes sécurisées de l’immigration, c’est-à-dire les trains, les avions, les ferries, sont donc sous contrôle quasi étanche. Ainsi, les migrants se reportent logiquement sur la seule route restante qu’est la voie maritime transmanche, sur des embarcations de fortune. Ils prennent donc la route la plus dangereuse et qui mène à des drames.
Sur les questions post-Brexit, qu’il s’agisse de la pêche, du protocole nord-irlandais ou de l’immigration transmanche, le comportement du gouvernement britannique oscille entre simplification des problèmes et provocations, sans doute à des fins de politique intérieure. En outre, ce gouvernement bénéficie évidemment du relais de la presse conservatrice et des tabloïds. On jette donc en quelque sorte de la viande rouge à une partie de l’opinion publique, opinion qui a été chauffée à blanc pendant des décennies par les mêmes médias contre les institutions européennes. On se demande si le but ne serait pas quelquefois de réveiller l’état d’esprit des Britanniques qui était le leur lors du Blitz de 1940.
La relation franco-britannique est donc extrêmement abîmée, avec d’un côté un Premier ministre populiste, et de l’autre, un président français en quasi-campagne qui fait de l’Europe un des axes principaux de son projet depuis cinq ans.
Cette situation de tensions pos-Brexit peut-elle perdurer que ce soit avec la France ou les autres pays de l’Union européenne ? À quel prix ? Ces tensions peuvent-elles mettre à mal des accords type Lancaster House qui jusqu’alors se faisaient dans une bonne entente ?
Il ne faut pas s’étonner de la situation actuelle. Boris Johnson a fait le choix d’un Brexit dur, marqué par la sortie du marché unique et de l’union douanière. D’autres types de Brexit étaient pourtant possibles, à l’image de ce que semblait souhaiter Theresa May, la prédécesseuse de Boris Johnson, et qui fut désavouée par la frange la plus extrémiste et anti-européenne du Parti conservateur.
Le choix d’un Brexit dur a notamment nécessité l’instauration de contrôles douaniers entre l’Irlande du Nord et le reste du Royaume-Uni, le Protocole nord-irlandais, pour qu’un accord commercial avec l’UE soit possible. Celui-ci est désormais remis en cause par le Royaume-Uni. Aussi, pourrait-on évoquer le cas de l’attribution des licences de pêche, avec une interprétation extrêmement rigoriste de la part du Royaume-Uni. Nous sommes donc entrés dans une confrontation sans doute durable.
En effet, du côté britannique, on constate la conjonction de deux phénomènes intéressants. D’une part un Brexit dur : une rupture nette avec l’Union européenne. D’autre part, un refus d’en accepter toutes les conséquences. On peut donc craindre que l’actuel gouvernement britannique ne se soit enfermé dans cette logique, ou plutôt dans cette non-logique, et qu’il soit désormais très difficile pour Boris Johnson de sortir de ce tunnel, au risque d’exposer sa faillite aux yeux de l’opinion publique. Dès lors, la solution la plus simple consiste à rechercher des boucs émissaires extérieurs : Paris, l’Union européenne. Il parait donc difficile de voir la situation évoluer favorablement tant que Boris Johnson restera au 10 Downing Street.
Très logiquement, il ne faut pas s’étonner que cette situation entraîne des conséquences fâcheuses sur à peu près toutes les dimensions de la coopération franco-britannique. On l’a vu concernant la question de l’immigration illégale, on peut désormais légitimement se poser la question à propos de la coopération de défense. Effectivement, même si les praticiens de cette coopération de défense – c’est-à-dire les militaires et ingénieurs – sont convaincus de sa pertinence, cette coopération de défense a régulièrement besoin d’une forte impulsion politique que la relation actuelle entre les deux chefs d’État et de gouvernement est incapable de générer. Pour mémoire, le dernier sommet entre les deux exécutifs date de janvier 2018. Quatre années sans aucun sommet de chefs d’État et de gouvernement, c’est considérable lorsqu’il s’agit de deux partenaires aux capacités et intérêts stratégiques aussi semblables que la France et le Royaume-Uni. Bien entendu, l’animosité politique actuelle impacte l’ambition et la feuille de route des traités de Lancaster House. Il faut souhaiter que cette situation ne constitue qu’une mauvaise passe, certes très malvenue au moment où e contexte international est particulièrement instable, y compris aux portes de l’Europe.
À l’image de l’affaire AUKUS, on constate que le Royaume-Uni fait évoluer ses alliances depuis sa sortie de l’Union européenne. Comment analyser sa stratégie sur la scène internationale ?
Avec le Brexit, le Royaume-Uni est sorti de la Politique de sécurité et de défense commune de l’Union européenne (PSDC). Par ailleurs, Londres n’a pas souhaité insérer un volet coopération de défense dans l’accord de coopération commerciale qu’elle a signé avec l’Union européenne. Dans le même temps, il faut garder à l’esprit que le Royaume-Uni restera un membre important et extrêmement actif de l’OTAN. Sa sortie de l’Union européenne et son départ de la PSDC devraient même pousser les Britanniques à encore renforcer leur investissement dans l’Alliance atlantique, et à ce que Londres ambitionne peut-être pour l’Alliance des compétences élargies, maintenant que le Royaume-Uni n’est plus en mesure de freiner la PSDC de l’intérieur.
Autre élément d’importance, le concept de Global Britain. Ce slogan lancé par Theresa May pour la première fois en janvier 2017, soit six mois après le référendum sur le Brexit, renvoie à l’idée d’un Royaume-Uni s’investissant davantage sur la scène internationale, puisqu’il serait désormais « libéré des chaînes de Bruxelles ». On pense en particulier à l’est du canal de Suez et à l’Indopacifique. Bien sûr, le défi posé par la Chine entre dans cette équation stratégique, d’autant que la superpuissance de l’anglosphère que constituent les États-Unis cherche à renforcer ses alliances face à Pékin. Le traité AUKUS, qui a fait couler beaucoup d’encre ces dernières semaines, constitue l’une des composantes de cette stratégie américaine. Pour Londres, AUKUS est un élément contribuant au nouveau concept de Global Britain, même si les Britanniques ne font finalement que s’arrimer à la stratégie Indopacifique des États-Unis.
On peut enfin relever dans la stratégie britannique au moins une incohérence, à savoir la diminution significative annoncée de la part du budget britannique consacré chaque année à l’aide au développement international. Et puis, on peut s’interroger sur l’avenir des performances économiques du Royaume-Uni dans un contexte post-Brexit et se demander si ces performances pourront lui permettre de tenir le rôle international renforcé auquel il semble aspirer.