Référendum pour l’adhésion de la Moldavie à l’Union européenne : quelles implications en matière de défense ?

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En ce début de semaine, les électeurs moldaves, avec une courte majorité, ont voté en faveur de l’inscription de l’adhésion à l’Union européenne dans la Constitution de la Moldavie. Que traduisent les résultats de ce scrutin, notamment vis-à-vis de l’influence de la Russie dans la vie politique moldave ? 

Depuis son indépendance de l’URSS, la Moldavie s’est efforcée de s’émanciper progressivement de l’influence russe, tout en évitant une confrontation directe avec Moscou malgré l’instrumentalisation par le Kremlin du séparatisme en Transnistrie. Un millier de soldats russes sont, en effet, stationnés dans cette région orientale de Moldavie, de facto indépendante depuis 1991. Dans le même mouvement, Chișinău a entrepris un rapprochement avec l’Union européenne (UE), qui s’est notamment concrétisé par l’inclusion de la Moldavie au sein du Partenariat oriental, format d’association des pays d’Europe orientale et du Caucase avec l’UE. Le fragile équilibre recherché de la politique étrangère moldave a été rompu en 2022 avec l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie qui a conduit la Moldavie à se tourner résolument vers l’Ouest en demandant son adhésion à l’UE.

Après l’octroi du statut de pays candidat en juin 2022, puis l’ouverture des négociations en décembre 2023, le référendum du week-end dernier représentait sur le chemin de la Moldavie vers l’UE une nouvelle étape importante, censée témoigner du soutien populaire au projet européen de Maia Sandu, la présidente du pays.

La victoire in extremis du « oui » avec seulement 50,3 % des voix a donc signifié le rejet de cette perspective par près de la moitié de la population moldave, une déception pour le camp pro-européen. Tandis que la diaspora a fait pencher la balance vers le « oui » en se prononçant en sa faveur à 77 %, la majorité des régions du pays a voté à plus de 50 % pour le « non ». C’est dans la région autonome de Gagaouzie – en partie instrumentalisée, elle aussi, par Vladimir Poutine – que le rejet de l’UE a été le plus fort : 95 %.

Ce résultat globalement mitigé s’explique en partie par l’ingérence du Kremlin et la déstabilisation orchestrée par ses relais, au premier rang desquels l’oligarque Ilan Shor : système massif d’achats de votes, campagnes de désinformation, cyberattaques… le suffrage et les mois qui l’ont précédé ont été marqués par de nombreuses interférences et irrégularités. En tout, 15 millions d’euros en provenance de Russie auraient été distribués aux électeurs pour voter contre l’inscription de l’adhésion à l’Union européenne dans la Constitution. Le Conseil européen, réuni à Bruxelles quelques jours avant le scrutin, avait déjà témoigné son soutien à la Moldavie face aux attaques hybrides russes.

Pays voisin de l’Ukraine, quelles sont à ce jour les priorités de la Moldavie en matière de défense ? Quelle est la part de son budget allouée à ces questions ? Quel est l’état de ses forces armées et de ses capacités de défense ? 

La Moldavie possède des ressources et des capacités très limitées en matière de défense. Ses forces armées ne comptent pas plus de 5 000 à 6 000 soldats, dont une majorité dans l’armée de terre, qui opèrent un arsenal minimal et largement obsolète, hérité de l’ère soviétique. En dépit d’un effort important pour accroitre son budget de défense depuis 2022, le pays franchit seulement la barre des 100 millions d’euros – soit 0,65 % de son PIB – alors qu’il faudrait plus du double pour mener à bien la modernisation des armées. La Moldavie ne possède en outre pas d’industrie de défense en dehors de capacités limitées permettant d’assurer le maintien en conditions opérationnelles des équipements.

La Stratégie pour la sécurité nationale de 2023 souligne la vulnérabilité à laquelle le sous-équipement des forces armées et le faible soutien de la population à la défense nationale condamnent le pays, dans un environnement géostratégique dégradé. L’agression de l’Ukraine par la Russie et l’intensification des opérations hybrides du Kremlin, venues s’ajouter à la présence illégale de troupes russes en Transnistrie, obligent en effet la Moldavie à accélérer la construction de son potentiel militaire. Depuis 2023, Chișinău se fixe donc pour objectif d’atteindre 1 % du PIB consacré à la défense d’ici la fin de la décennie, afin de mettre en œuvre ses priorités stratégiques pour le secteur : la construction de nouvelles infrastructures, le développement d’une armée professionnelle dotée de capacités modernes et le renforcement de l’interopérabilité avec les pays partenaires, qui jouent un rôle crucial dans la genèse de la crédibilité stratégique moldave.

La Moldavie bénéficie d’une assistance en matière de défense du Conseil de l’Union européenne au titre de la Facilité européenne pour la paix. Qu’en est-il de la coopération entre Chișinău, l’OTAN, l’Union européenne et la France en matière défense ?

Depuis 2021, la Moldavie a effectivement reçu 137 millions d’euros des pays membres de l’UE par l’intermédiaire de la Facilité européenne pour la paix. Il s’agit d’un montant significatif quand il est comparé au budget de défense du pays. Ce soutien financier a permis dans un premier temps l’acquisition d’équipements non létaux afin de soutenir les capacités moldaves en matière de surveillance aérienne, de mobilité et de transport, de commandement et contrôle (C2), de cyberdéfense et de guerre électronique. Puis, en juin 2024, le Conseil de l’UE a validé pour la première fois le financement d’équipement létal pour la Moldavie, dotant le pays de systèmes modernes de défense aérienne à courte portée.

La Moldavie perçoit l’Union européenne comme l’un des piliers de la sécurité du continent et considère son adhésion non seulement au prisme du développement économique, mais aussi de l’appartenance à une alliance défensive. L’alignement sur la « Boussole stratégique » de l’UE et sur la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC), ainsi que l’intégration progressive des structures et initiatives de l’organisation sont donc au cœur des priorités stratégiques moldaves. Cette année, Chișinău a signé un partenariat de sécurité et de défense avec l’UE, visant à « développer, approfondir et renforcer la coopération et le dialogue dans l’ensemble des domaines de la sécurité et de la défense ». L’accord prévoit notamment le renforcement de la capacité de la Moldavie à participer aux missions et opérations militaires de l’UE dans le cadre de la Politique commune de sécurité et de défense (PSDC), ainsi que la possibilité d’inclure le pays aux projets de la Coopération structurée permanente (PSC) et aux initiatives liées à l’industrie de défense.

Chișinău s’efforce également de développer des partenariats bilatéraux en matière de défense avec de nombreux pays européens, notamment la France. Le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, s’est rendu en Moldavie en septembre 2023 et l’armée moldave a fait l’acquisition d’un radar Ground Master 200 produit par le groupe français Thales. En mars 2024, la France est devenue le deuxième pays après la Roumanie à officialiser sa coopération avec la Moldavie dans le domaine de la défense, avec la signature par Emmanuel Macron et Maia Sandu d’un accord bilatéral.

Enfin, la Moldavie coopère aussi avec l’OTAN sur le renforcement de la résilience et de la préparation de son secteur civil. Les perspectives d’adhésion à l’Alliance atlantique sont en revanche drastiquement limitées par le statut de neutralité du pays inscrit dans la Constitution de 1994 et l’absence de soutien populaire à un tel projet.

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