Rapprochement entre la Russie et la Corée du Nord : une menace sécuritaire en péninsule coréenne ?

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Le 19 juin dernier, Vladimir Poutine et Kim Jong-un ont scellé, en Corée du Nord, un accord de défense mutuelle entre les pays, renforçant les liens que tissent Pyongyang et Moscou depuis l’automne dernier. Cet accord marque un tournant dans les relations entre les deux États, mais aussi entre la Corée du Sud et la Russie, accentuant davantage le risque sécuritaire au sein de la péninsule coréenne. Quels étaient les enjeux de la visite de Vladimir Poutine en Corée du Nord ? Comment la guerre en Ukraine aggrave-t-elle les tensions entre les deux Corées ? Comment Pékin a-t-il accueilli cette alliance stratégique entre Moscou et Pyongyang ? Éléments de réponse avec Barthélémy Courmont, directeur de recherche en charge du Programme Asie-Pacifique à l’IRIS.

Accueilli fastueusement à Pyongyang le 19 juin dernier, Vladimir Poutine a rencontré le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un, neuf mois après la visite de ce dernier en Russie. Quels étaient les enjeux de ce déplacement ? Quel état des lieux peut-on dresser des relations entre la Russie et la Corée du Nord ?

Cette visite officielle de Vladimir Poutine en Corée du Nord fut d’abord l’occasion de rappeler les engagements pris à l’automne dernier, lors d’une rencontre entre les deux dirigeants en Sibérie. Pyongyang avait alors engagé la fourniture de munitions (et peut-être d’armes) à la Russie pour son front en Ukraine. En contrepartie, Moscou avait promis un soutien technologique à la Corée du Nord dans le domaine spatial (et sans doute balistique). Cette fois, c’est un accord de défense qui est avancé, avec la promesse d’un soutien mutuel. Concrètement, cela signifie que la Corée du Nord va intensifier ses livraisons de matériel militaire à la Russie et soutient fermement son initiative en Ukraine. Cela suppose aussi que la Russie est désormais un allié de Pyongyang dans sa rivalité avec Séoul, ce qui n’était plus le cas depuis la fin de la Guerre froide et la disparition de l’Union soviétique. En conséquence, Moscou pourrait apporter une aide militaire à son allié dans le cas d’une escalade avec la Corée du Sud (et les États-Unis, mais aussi le Japon), voire une confrontation armée. Cela suppose également, et c’est une mauvaise nouvelle, que Moscou accepte de facto la nucléarisation de la Corée du Nord, déséquilibrant ainsi les efforts visant à engager un dialogue constructif sur cette question (même si ces derniers se sont montrés infructueux).

Inquiète face à l’annonce du traité russo-nord-coréen, la Corée du Sud a déclaré qu’elle envisageait de fournir des armes à l’Ukraine. Quel est l’état des relations entre les deux Corée dans le contexte international actuel ? Peut-on parler d’un risque d’escalade dans la péninsule coréenne ?

Derrière l’accord Moscou-Pyongyang, c’est la relation entre la Russie et la Corée du Sud qui doit être suivie de près. Cette relation s’est considérablement dégradée depuis le début de l’invasion de l’Ukraine, Séoul étant l’un des rares pays asiatiques à condamner l’agression russe, mais aussi à appliquer un régime de sanctions contre Moscou. Le ton était monté d’un cran à l’automne dernier, quand la Corée du Sud a pour la première fois envisagé la possibilité d’envoyer des armes en Ukraine, provoquant l’ire de Moscou et précipitant le rapprochement avec Pyongyang. La Russie cherche non seulement à renforcer son influence en Asie du Nord-est (qui s’est progressivement réduite au quasi-néant depuis la disparition de l’Union soviétique), mais aussi à faire pression sur la Corée du Sud en appuyant là où ça fait mal : la relation intercoréenne. On peut bien sûr condamner une telle attitude, mais il convient aussi de déplorer l’incroyable naïveté de Séoul et du président Yoon Sok-yeol – considérablement affaibli par le scrutin législatif du printemps – et de s’inquiéter d’une possible riposte des conservateurs sud-coréens. Le risque d’escalade est grand, et plus que jamais, la péninsule coréenne s’impose comme le principal danger sécuritaire.

Concernant Pékin, comment la Chine a-t-elle accueilli ce rapprochement stratégique entre Moscou et Pyongyang ? Craint-elle que cela puisse renforcer la présence américaine dans la région ?

La Chine est le partenaire privilégié de Pyongyang, mais un partenaire qui a appris à se méfier des gesticulations de son turbulent voisin, et qui condamne notamment son programme nucléaire et balistique. Néanmoins, Pékin s’est imposé depuis la fin de la Guerre froide comme le seul pays capable d’exercer une influence sur Pyongyang. Avec ce rapprochement spectaculaire entre la Corée du Nord et la Russie, la Chine perd un levier, d’autant qu’il est impensable pour elle de soutenir des pressions exercées sur la Corée du Sud, avec laquelle les relations sont étroites. En d’autres termes, la Chine ne peut se satisfaire de ce retour en fanfare de la Russie dans la région, quelle que soit la posture de Washington et de Tokyo à cet égard. Pékin conserve cependant un rôle déterminant dans sa capacité à faire pression sur Pyongyang, dont l’économie est totalement dépendante de la Chine. Mais il faudra pour y parvenir se résoudre, côté américain notamment, à accepter de négocier avec Pékin.

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