WikiLeaks dit avoir frappé un grand coup en diffusant, dimanche soir, la majorité des notes internes de la diplomatie américaine. Interrogé par leJDD.fr, Pascal Boniface (*) , directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), minimise toutefois l’impact de l’événement médiatique. Selon lui, les mémos publiés "ne font que confirmer" les tendances actuelles des relations internationales.
L’expression de "11-Septembre" est très exagérée. Les mémos diffusés restent avant tout des notes internes qui sont le reflet des échanges entre les hommes politiques ou leurs émissaires. Du "off" qui n’a, pour le moment, rien d’étonnant, et dont l’usage est connu. Tout le monde fait de même. Après, il est logique qu’il y ait une gêne, que le département d’Etat américain soit embarrassé par la mise en public de ses analyses à usage interne. Mais je crois savoir que le cabinet d’Hillary Clinton a déjà contacté ses homologues étrangers concernés, éteignant ainsi le feu avant même qu’il ne soit allumé. Quant à l’opinion publique, à qui est révélée la cuisine diplomatique, elle aura sans doute oublié, dans quelques mois, les qualificatifs que donnent les Américains à tel ou tel dirigeant.
Le secret n’est désormais plus garanti. Grâce à Internet – et à l’anonymat qu’il procure à ses utilisateurs –, tout est dévoilé en à peine quelques jours, et ce malgré une sécurisation accrue des données. Les scandales ne prennent plus trente ans à éclater. La diplomatie doit donc s’adapter. Le département d’Etat américain y travaille déjà depuis quelques mois. De là à dire que cela va influer dans les relations entre les hommes, je n’y crois pas. WikiLeaks ne change en rien la conception du monde.
Ce n’est pas une surprise. Depuis 2008, de nombreux observateurs ont déjà remarqué que Barack Obama n’a pas la fibre européenne, contrairement à ses prédécesseurs. Et ce, pour plusieurs raisons. L’Europe, en tant que continent, est devenue un enjeu stratégique secondaire depuis la chute de l’URSS. La Chine ou l’Inde sont devenues des partenaires économiques prioritaires, alors que le monde se multipolarise.
C’est une analyse, mais je ne la partage pas. D’autres puissances émergentes, le Brésil ou l’Inde, ont chacun leur sphère d’influence. Quant aux "pôles", on ne parle plus d’Etats-Unis ou d’URSS, mais de "régions" comme l’Union européenne, le continent nord-américain ou le sous-continent indien. L’argument d’un retour de la guerre froide est donc absurde.
Révéler l’existence de sources à la solde de Washington en Iran relève du secret de polichinelle. Et l’initiative de WikiLeaks en ce sens peut même être grave, les espions étant potentiellement menacés. Par exemple, quand est évoqué "un homme d’affaires" originaire d’Asie centrale qui se rend régulièrement en Iran, cela permet aux services iraniens de restreindre leur champ d’investigation. J’espère au moins qu’aucun nom n’apparaît dans les données mises en ligne.
Certes, le ton se durcit entre Téhéran et Washington. Le projet de bouclier antimissile et le dossier du nucléaire iranien ont participé à ce rapport de force tendu. Mais les Etats-Unis sont déjà engagés dans un conflit en Afghanistan et l’Iran ne veut pas s’isoler sur la scène internationale. Les provocations de Mahmoud Ahmadinejad sont avant tout politiques, les dirigeants iraniens voulant positionner leur pays en champion du monde arabe.