• Interview de [Jean-Yves Camus->http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=camus], chercheur associé à l’IRIS

Comment expliquez-vous ce sentiment de nationalisme exacerbé aujourd’hui en Hongrie?

C’est d’abord la géographie du pays. Il faut bien distinguer les grandes villes et l’ouest du territoire – qui sont davantage arrimés à l’Europe – et l’est, beaucoup plus pauvre, plus agricole, où l’intégration s’est faite à marche forcée. La Hongrie est également dépourvue de ressources naturelles et subit la crise. Il ne fait guère de doute que la gestion du gouvernement social-démocrate a été extrêmement imprudente, très liée à des privatisations qui se sont effectuées dans des conditions d’opacité assez évidentes. Il y a en outre le traumatisme énorme que constitue pour tous les Hongrois le fait d’être aujourd’hui citoyen d’un État qui ne représente plus que l’ombre de la Hongrie des 64 comtés, d’avant le traité de Trianon.

Or Viktor Orban, le Premier ministre, sait insister sur ces rancœurs à l’égard du passé…

La Hongrie est un pays amputé d’une partie de sa mémoire et d’une partie de sa population. On comprend alors sans doute beaucoup de choses quant à la facilité avec laquelle Viktor Orban mobilise le sentiment nationaliste. À cela s’ajoute la mobilisation du discours anti-intellectuel qui distingue perpétuellement l’art national, les auteurs nationaux et les auteurs cosmopolites. Ces derniers étant évidemment à 99% juifs. Ce sont des éléments dissolvants, perturbateurs de l’identité nationale. Enfin, il leur manque une culture de la démocratie représentative et pluraliste.

Peut-on parler de dictature?

En Hongrie, on est vraiment dans un contexte très particulier. Le gouvernement Orban, par la nouvelle Constitution, garde la façade formelle de la démocratie pluraliste. Ce n’est donc pas une dictature au sens traditionnel du terme. Mais il reste derrière cette façade de démocratie quelque chose qui n’est pas une démocratie représentative, parlementaire, comme nous l’entendons et comme l’entend l’Union européenne dans ses textes fondateurs. Surtout, il existe quelque chose d’unique en Europe, la possibilité pour les Magyars de l’étranger de voter. C’est comme si les Québécois ou les Wallons de Belgique, parce qu’ils sont francophones, avaient le droit de voter à nos élections nationales. On est dans une définition ethnique de la citoyenneté. C’est une pente parfaitement contraire à tout ce que l’Union européenne prône, si on se réfère à ses traités fondateurs.

L’Europe se tait pour la Hongrie mais s’était fâchée, à l’époque, contre l’Autriche de Haider?

L’Union européenne a tiré en 2000 l’unique cartouche de sanctions qu’elle avait contre le gouvernement de coalition autrichien du chancelier Schüssel et du parti de Jörg Haider. Elle s’est aperçue très vite que ces sanctions étaient contre-productives. José Manuel Barroso, le président de la Commission européenne, a écrit une lettre à Viktor Orban, c’est mieux que rien. Mais quelle est la portée d’une lettre?

Et que penser du silence français, exceptée la déclaration d’Alain Juppé, mardi, évoquant "un problème aujourd’hui en Hongrie"?

Les explications économiques sont sans nul doute un peu simplistes. La Hongrie n’est pas une puissance économique telle que l’ensemble des pays européens élaborant une position commune ne puissent pas faire pression. Je m’explique difficilement la position de la France, sinon d’être dans un positionnement difficile à tenir en période électorale.