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Une importante vague de protestations traverse la Tunisie depuis la mi-décembre. La jeunesse tunisienne n’a pas trouvé d’autres moyens pour exprimer son malaise, en grande parti dû au chômage et la corruption. Kader Abderrahim, chercheur spécialiste du Maghreb, revient sur les raison de cette grogne sociale.

Vendredi, la Tunisie était encore secouée par plusieurs émeutes. Cinq manifestants et un agent de sécurité ont été blessés au cours d’un affrontement violent dans une localité proche de Sidi Bouzid, la ville d’où la vague de contestation est partie après qu’un jeune diplômé-chomeur désespéré, Mohamed Bouaziz, s’est immolé. La jeunesse tunisienne a trouvé dans les réseaux sociaux un moyen efficace pour mobiliser et s’organiser. C’est dans ce contexte qu’un rappeur et deux blogueurs renommés du pays, Slim Amamou et El Aziz Amami, ont été arrêtés jeudi. Kader Abderrahim est chercheur associé à l’Iris, spécialiste du Maghreb et de l’islamisme, et Maître de conférences à Sciences-po Paris. Il est actuellement Professeur à l’Université de Californie (UCLA) au département de Relations internationales et de sciences politiques en Master et MBA. Il analyse, pour Afrik.com, cette vague de colère de la jeunesse tunisienne.

Comment expliquez-vous que les récentes émeutes en Tunisie aient pris une telle ampleur ?

Cela s’est déjà produit en 1984 à l’époque du président Bourguiba. De violentes manifestations avaient secoué le pays à cause de la hausse du prix du pain et des produits céréaliers. Il y aussi eu des émeutes extrêmement violentes des ouvriers dans la cité minière de Gafsa en 2008. On parle plus des évènements de Sidi Bouzid parce qu’ils sont partis d’un acte spectaculaire, le suicide du jeune Mohamed Bouazizi par immolation. En plus, cela dépasse largement le cadre des ouvriers. Les acteurs sont essentiellement des jeunes qui n’ont de perspectives sociales.

Quelles sont les raisons de cette crise, selon vous ?

C’est une agrégation d’un certain nombre de facteurs qui a conduit à cette crise. C’est vrai que la Tunisie est régulièrement saluée pour ses performances économiques. Le pays était jusqu’à il n’y a pas longtemps l’arrière-cour des pays Européens dans le domaine du textile. Mais actuellement, beaucoup d’entreprise émigrent vers l’Asie. Il y a un réel problème de mise à niveau de l’industrie tunisienne. D’autres part, la société tunisienne est étouffée par la surveillance policière et la censure…

Comment expliquez-vous qu’il y ait autant de chômage en Tunisie alors que le pays figure parmi les pays émergents les plus performants économiquement ?

Il faut soulever le problème de manière globale. La crise est là depuis plusieurs années. Comme je l’ai dit, de plus en plus d’entreprises émigrent vers l’Asie. Et les troubles sociaux viennent se greffer là-dessus. Cette fois, ils sont plus importants et plus violents parce que le pays a atteint un seuil critique. Il y a une génération qui ne trouve pas sa place. L’Europe n’en veut pas parce qu’elle vit elle-même une crise très importante. Pour en sortir, il faut que le gouvernement Ben Ali accepte de dialoguer, y compris sur les libertés individuelles. Le pays peut servir de locomotive pour le développement des pays arabes. Il suffit de que le régime lâche du leste.

Y a-t-il des chances que ces évènements conduisent le régime à plus d’ouverture ?

La question qui se pose est : est-ce que le régime va s’engager dans une phase stratégique de dialogue ou se contentera-t-il de petites inflexions ou de mesures à la petite semaine comme il vient de le faire avec le changement du ministre de la Communication et la création d’un poste de porte-parole du gouvernement ? L’autre point est qu’il peut aussi dire : « Je n’ai pas d’interlocuteur pour dialoguer ». Et c’est vrai, parce qu’il n’y a pas d’opposition. Les opposants ont été soit arrêtés ou torturés. Je ne doute pas que la société tunisienne puisse se fabriquer de nouveaux leaders, mais cela demandera du temps. Cela vaut aussi pour tout le Maghreb. La question des jeunes est transversale pour l’ensemble du Maghreb. Les émeutes de la vie chère qui traversent actuellement l’Algérie le prouvent. Les pays de la région n’ont pas su s’adapter au défi technologique, à celui de l’emploi et du développement.

Il y a de fortes chances pour que Ben Ali soit candidat à sa propre succession en 2014. Les récents évènements peuvent-ils menacer son éventuelle candidature ?

Cette question se pose depuis très longtemps. Il y a une clique, autour de Ben Ali et sa famille, qui a confisqué l’économie de la Tunisie. Il y a réellement un niveau de corruption très élevé. Si la corruption grippe la machine économique, cela peut être très dangereux pour la survie même du régime.