Lors du débat qui a opposé l’ancien président à l’actuelle vice-présidente, le 10 septembre, la petite phrase de Donald Trump sur les Haïtiens qui « mangent les chiens et les chats » à Springfield, dans l’Ohio, n’avait rien d’anodin : calculée, elle prenait place dans un récit, largement entretenu depuis. En effet, le message selon lequel l’immigration est dans tous les cas illégale et toujours synonyme des pires comportements n’a cessé d’être amplifié par les républicains. Lors d’un meeting dans le Colorado, le 11 octobre, Trump a affirmé que des gangs de Vénézuéliens prenaient possession d’immeubles entiers dans la banlieue de Denver.
Les jours précédents, il a avancé, dans une interview, que les méfaits commis par les étrangers étaient dus à « de mauvais gènes » et que Kamala Harris les laissait entrer sur le territoire américain sans limite, voire facilitait l’arrivée de ces délinquants. Jouant sur la peur d’une invasion migratoire massive, Trump balaie d’un revers de main le fait que l’administration Biden a, en juin, durci par décret les conditions d’entrée et de régularisation après que les trumpistes, au Congrès, eurent bloqué une loi bipartisane restreignant drastiquement l’immigration.
Depuis 2015, la rhétorique de Trump consistant à faire un amalgame entre criminalité et immigrés n’a cessé de s’amplifier. Il y a quelques mois, il disait que les étrangers « empoisonnent le sang de notre pays », sont des « Hannibal Lecter » (le tueur en série cannibale du « Silence des Agneaux »), des « vermines ». Aujourd’hui, il promet de déporter des millions de personnes (qu’elles soient sans-papiers ou en situation régulière) « dans des proportions jamais égalées dans l’histoire des Etats-Unis ». Il leur reproche de ne pas parler anglais à leur arrivée et les qualifie, sans distinction, de « gens horribles », de « voyous barbares », de « monstres sadiques », qui « détruisent l’Amérique ». Il entend réinstaurer l’interdiction d’entrée, sur le territoire, de ressortissants de pays musulmans, ainsi que la séparation des enfants et de leurs parents à la frontière, qu’il avait mises en place quand il était au pouvoir. Pour Trump, les Etats-Unis sont un pays « occupé ».
La plupart de ses électeurs et électrices le prennent « au sérieux mais pas à la lettre ». Ils (et elles) estiment qu’il exagère dans ses discours, que c’est de la pure forme, et ils n’en retiennent que l’essentiel : une politique qui privilégiera les Blancs. Ce projet séduit également une partie de l’électorat d’origine latino-américaine qui redoute la délinquance et qui croit à tort – malgré les mises en garde de certains stratèges démocrates – que Trump ne le cible pas lui aussi.
Sur un strict plan économique, les chercheurs, chefs d’entreprise et hauts fonctionnaires disent très majoritairement qu’un tel projet est un non-sens. Car sans la main-d’œuvre étrangère, des pans entiers de l’activité sont menacés : c’est le cas de l’agriculture, des services à la personne, du soin, de la recherche ou encore de l’informatique, pour ne citer que quelques exemples.
Harris cherche à casser l’image de laxisme
Kamala Harris, de son côté, mise sur un projet marqué par la fermeté : sécuriser la frontière avec le Mexique tout en consolidant les opportunités économiques permises par, et pour, les immigrés et les Américains d’origine immigrée. Consciente de l’enjeu électoral, la gauche du Parti démocrate ne lui en tient pas rigueur et entend peser dans le débat après le 5 novembre.
Harris revêt ainsi son costume d’ancienne procureure de Californie, insistant dans ses meetings sur son expérience dans le combat judiciaire contre les gangs et les trafics d’armes, d’êtres humains et de drogues – elle cite par exemple la contrebande de fentanyl en provenance du Mexique mais aussi de Chine, qui fait des ravages. Lors d’une visite dans le sud du swing State de l’Arizona, elle a réitéré son souhait de renforcer plus encore les contrôles à la frontière.
Harris cherche à casser l’image de laxisme que les républicains veulent lui coller sur le dos. Cette approche équilibrée l’a contrainte à durcir son message par rapport à 2019, quand elle était candidate aux primaires démocrates. L’immigration est aujourd’hui sa plus grande faiblesse en termes de crédibilité, plus que l’économie où elle a significativement réduit l’écart face à Trump et dont elle continue, plus que lui, de parler, notamment lors de publicités en espagnol et de réunions à destination de l’électorat latino du Nevada ou d’Arizona – dont il représente respectivement un cinquième et un quart des votants.
Dans ces deux swing States remportés par Joe Biden en 2020, Harris répète sa promesse de favoriser une fiscalité avantageuse pour stimuler les petites entreprises et faciliter la création de nouvelles, de consolider l’Affordable Care Act, menacée par Trump et sauvée en 2017 au Congrès par l’ancien sénateur d’Arizona, justement, le républicain John McCain, et de faire en sorte que Medicare (l’assurance-santé fédérale des plus de 65 ans) couvre les soins à domicile. Une manière pour elle de montrer qu’elle porte un projet de société cohérent, humaniste mais sans angélisme, loin des obsessions suprémacistes de son adversaire.