• Analyse de Maxime Pinard, chercheur à l’IRIS

Après la mort de deux nouveaux journalistes internationaux, la situation en Syrie est plus que jamais dans le viseur de la communauté internationale. Va-t-elle intervenir pour stopper le massacre de civils ? Les opposants feront-ils tomber le régime de Bachar al-Assad ? Maxime Pinard, chercheur à l’Iris, analyse les différentes perspectives.

La mort de deux journalistes occidentaux à Homs il y a deux jours a mis un peu plus la pression sur le régime syrien, accusé d’avoir délibérément voulu faire taire les organes de presse critiques. Ce triste événement vient confirmer la volonté de Bachar al-Assad d’aller jusqu’au bout, alors même que s’ouvre aujourd’hui la conférence de Tunis, censée permettre de débloquer une situation qui dure depuis des semaines.

Cette conférence a, malgré l’ampleur de la crise, peu de chances de succès, la Russie et la Chine n’y participant pas, ces deux pays ayant, pour rappel, mis leur veto à une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU condamnant le régime syrien.

Des grandes puissances dans l’impasse

Les grandes puissances sont clairement dans l’impasse, la division entre un bloc regroupant la France, l’Angleterre, les États-Unis et plusieurs pays arabes et un autre bloc constitué de la Russie et la Chine empêchant toute prise d’initiative concrète. Ces derniers pays refusent que l’on empiète sur la souveraineté de la Syrie et prennent pour exemple le cas de la guerre en Libye, où les forces de la coalition ont outrepassé ce que prévoyait la résolution de l’ONU, provoquant la chute de Kadhafi.

À l’inverse, la France et les États-Unis cherchent à faire cesser les massacres en Syrie via une intervention plus ou moins limitée. Le ministre des Affaires étrangères français a de plus évoqué la possibilité de mettre en place des corridors humanitaires pour secourir des journalistes blessés. Cette demande ne peut cependant pas aboutir sans l’accord de Damas, ce qui semble peu probable.

Quels scénarios ?

Bien que la situation soit en perpétuelle mutation, on peut donner quelques éléments d’analyse quant à ce qui attend la Syrie :

1. La Syrie connaît aujourd’hui une situation de non-retour. Le fait que l’opposition résiste depuis si longtemps et que la répression des forces de sécurité soit d’une telle virulence ne peut que conduire à une dégradation toujours plus forte de la situation sur place. C’est à un véritable bras de fer que se livrent les deux camps, chacun ne pouvant renoncer. En effet, si cela se produisait, l’opposition serait anéantie par Damas et, dans l’autre cas, Bachar al-Assad ne pourrait rester en poste.

2. Bachar al-Assad "joue la montre", l’opposition ne pouvant résister éternellement malgré l’aide militaire et logistique dont elle bénéficie. De plus, le dirigeant syrien sait que des élections approchent, que ce soit en France ou en Russie, et qu’il peut profiter de cette situation de campagne électorale, les candidats en France, par exemple, condamnant la répression, sans pour autant donner plus de détails quant à une éventuelle intervention.

3. Une intervention en Syrie, outre les difficultés d’ordre juridique (veto russo-chinois) et logistique (la France, les États-Unis et l’Angleterre ont toujours des troupes en Afghanistan), pose également la question de "l’après". Si l’on intervient, s’agit-il d’assurer un pont aérien pour remédier au désastre humanitaire de Homs ? Ou bien est-il question d’une action combinée avec l’opposition ? Le but ultime est-il la chute de Bachar al-Assad, celui-là même qui assistait au début du mandat du président Sarkozy au défilé du 14 juillet ?

Le risque de créer une guerre civile généralisée n’est pas à exclure, de même qu’un renversement du régime aboutirait à un chaos politique sans nom, l’opposition qui dialogue avec les occidentaux étant loin d’être légitime dans le pays. La situation actuelle en Libye rappelle le côté double tranchant de la décision d’intervenir : la première partie qui correspond à l’affrontement militaire est bien souvent rapide et tourne à la victoire pour les puissances occidentales. En revanche, le drame se produit lors de la gestion post-conflit, où il y a de la résistance, des bouleversements politiques et sociétaux difficiles à prévoir, le tout dans le cadre d’un désengagement des puissances occidentales, pour qui rester a un coût financier élevé ainsi que des conséquences en matière d’opinion publique.

4. En vérité, le grand perdant est Bachar al-Assad lui-même ; en jouant la force, il s’est enfermé dans une spirale qui ne pourra conduire à moyen terme qu’à sa chute. Il bénéficie encore de l’appui de la Russie, de la Chine et de l’Iran, mais pour combien de temps ? Bien que le déroulement des événements ait été très différent, un parallèle peut être établi entre la Syrie et le Yémen, où le président Saleh a tenté de rester au pouvoir jusqu’au bout, mais sans succès. Le pire a été évité grâce à la médiation de l’Arabie Saoudite, qui lui a permis de quitter le pouvoir en lui promettant l’immunité.

Même si la chute de Bachar al-Assad est inéluctable, il ne faudrait pas se réjouir pour autant. La Syrie n’en est qu’au début de son malheur : les perspectives futures sont pour le moins sombres et, une fois encore, c’est le peuple syrien qui paiera le plus cher tribut. Il sera intéressant de voir les conséquences géopolitiques régionales de la chute du régime syrien. L’Iran en serait-il mécaniquement affaibli ? La Syrie ne deviendrait-elle pas le terrain privilégié pour des groupes terroristes ? Assistera-t-on à un bouleversement géostratégique majeur ?