• Interview de [Didier Billion->http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=billion], directeur des publications à l'IRIS, par Cyriel Martin

Près de deux mois après le début des manifestations, la répression ne faiblit pas en Syrie. Après la ville de Deraa, berceau de la contestation dans le sud du pays, c’est désormais la cité portuaire de Baniyas qui est isolée du monde par les chars de l’armée. Didier Billion, chercheur spécialiste du monde arabe à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), décrypte la situation.

Le Point.fr : Quelle est la tactique des autorités syriennes ?

Didier Billion : La logique du tout répressif s’impose. Passées les quelques mesures très relatives de démocratisation lors des premières manifestations, depuis, la réponse a été autoritaire. Il y a quinze jours, l’armée tirait dans le tas. Depuis une semaine, on assiste à des vagues d’arrestations massives, apparemment accompagnées de tortures assez généralisées. Résultat, le mouvement s’est étendu et s’est radicalisé.

Un massacre comme celui de 1982, où des dizaines de milliers d’opposants au régime de Hafez el-Assad, père de l’actuel président, avaient été tués, serait-il possible aujourd’hui ?

Non, les situations ne sont pas comparables. En 1982, ce bombardement de civils avait été précédé de mois de campagne d’assassinats ciblés des Frères musulmans syriens. Là, sans tomber dans la théorie du complot, les salafistes financés par les Saoudiens dans le sud du pays sont en partie derrière les événements actuels.

Les troubles actuels ont-ils une dimension religieuse ?

Oui. La Syrie vit une sorte de raidissement confessionnel. La minorité alaouite s’accroche au pouvoir, mais le pays est majoritairement constitué de sunnites. Par ailleurs, les chrétiens ont une très grande liberté de culte, ce qui est rare dans la région. La logique communautariste s’impose de plus en plus.

On accuse d’ailleurs Bachar el-Assad de vouloir monter les communautés les unes contre les autres…

Disons qu’il assure ses arrières. Début avril, alors que les troubles font rage dans le sud du pays, il choisit de naturaliser 30 000 Kurdes, qui vivent au nord de la Syrie, pour éviter que le pays ne s’embrase des deux côtés. Il a plutôt bien réussi son coup, d’ailleurs.

Et les Frères musulmans sont-ils une menace pour la Syrie ?

Ils ont été bien cassés à l’époque de Hafez el-Assad. Même si, depuis, ils se sont regroupés dans des partis d’opposition, je ne suis pas certain qu’ils soient puissants aujourd’hui. En tout cas, ils ne sont pas structurés, et certainement pas à l’origine des troubles que vit le pays.

Comment se positionne la communauté internationale face à ces événements ?

Il n’y a pas de réaction internationale. Les sanctions qui ont été prises récemment sont très difficilement applicables en raison des alliances très étroites que les Syriens ont su nouer avec la Russie et l’Iran, notamment. Sans parler de ses relations avec le Hezbollah et le Hamas. Damas n’aura jamais de problème pour s’approvisionner en armes. Mais la logique, c’est que, depuis une dizaine d’années, les pays occidentaux tentent de réintégrer la Syrie dans le jeu international. Essentiellement pour casser sa relation avec l’Iran. Les diplomates ne perdent pas cet objectif de vue et essaient de voir plus loin que l’actualité immédiate. S’en prendre trop fortement à la Syrie, ce serait la jeter dans les bras de l’Iran.

Doit-on s’attendre à une chute prochaine du régime de Bachar el-Assad ?

Je ne le crois pas. Bachar el-Assad ira jusqu’au bout. Il n’y a pas de possibilité de compromis politique sur la scène intérieure. Et il y a une forme d’impunité internationale. Donc la répression peut encore durer. Les gens vont finir par prendre peur, et le mouvement va s’essouffler. Il ne faut pas s’attendre à un scénario à la libyenne.