Cette opération marque-t-elle un tournant dans les relations entre le Hezbollah et Israël ?

Il faut rester prudent. C’est la troisième fois en six mois, après le bombardement du consulat iranien à Damas en avril et l’assassinat du leader du Hamas Ismaïl Haniyeh à Téhéran par une frappe attribuée à Israël le 31 juillet, que l’on s’inquiète d’un tournant. Les deux fois précédentes pourtant, ni le Hezbollah ni l’Iran n’ont voulu porter un combat direct contre Israël. A chaque fois, Hassan Nasrallah, le secrétaire général du mouvement, a proféré des menaces, promis le pire à son voisin, sans que cela ne soit suivi d’actions d’ampleur. Il a bien trop à perdre.

Cette fois-ci, il faut cependant ajouter à l’équation l’humiliation du Hezbollah. Il est piégé : pour sa survie, il n’est pas imaginable d’engager un bras de fer frontal avec Israël, mais rester les bras croisés le déconsidérerait aux yeux de ses militants et de ses alliés. Si l’opération sur les bipeurs ne sera pas le point de départ d’une escalade militaire, l’organisation va probablement riposter avec des actions ciblées contre des intérêts israéliens extérieurs, comme des attaques contre des ambassades, des consulats ou des bureaux de représentation commerciale.

Le Hezbollah sort-il fragilisé de cette séquence ?

Oui, il est extrêmement fragilisé. Par le nombre de morts et de blessés, dans un premier temps. Mais surtout par le coup politique que représente l’ampleur de l’opération. Le Hezbollah était considéré dans la région comme le mouvement le plus organisé, structuré. Pourtant, ce coup d’éclat technologique des services militaires israéliens montre bien que l’Etat hébreu a réussi à le pénétrer.

L’organisation a-t-elle les moyens d’un embrasement ?

On peut s’attendre à un bel exercice rhétorique : lors de son allocution jeudi, Hassan Nasrallah va promettre la vengeance et des martyrs. Mais il y a une réelle asymétrie entre les capacités opérationnelles et humaines de l’organisation par rapport à Tsahal. Israël est le seul Etat de la région capable de décliner tout type d’opérations – bombardements massifs, opérations commando, cyberguerre, guerre d’information… Un affrontement direct serait catastrophique pour le Liban, à genoux économiquement et politiquement. Le Hezbollah joue donc aussi sa survie politique et n’a pas les moyens de s’attaquer directement à Israël.

D’un autre côté, cette opération est-elle le signe qu’Israël accélère les préparatifs d’une guerre au Liban ?

Benyamin Netanyahou a tout intérêt à régionaliser le conflit, c’est d’ailleurs l’un des éléments qui permettent de comprendre les provocations à répétition. Le Premier ministre israélien sent bien que les Etats occidentaux, même s’ils continuent de le soutenir, émettent de plus en plus de critiques sur sa politique. Or, en cas de régionalisation du conflit, le soutien inconditionnel des Occidentaux, actuellement en train de s’effriter, se réaffirmera.

Il joue aussi sa survie politique. Si un processus de dialogue était enclenché, le gouvernement de Benyamin Netanyahou sauterait et lui pourrait se retrouver devant la justice. C’est inquiétant de se dire que la situation régionale dépend en partie de la volonté d’un homme qui fait tout pour survivre et n’a aucun intérêt à un cessez-le-feu. C’est un jeu pervers qui, pour l’instant, n’a heureusement pas fonctionné.

Comment se manifesterait un embrasement régional ?

Un embrasement de la situation au niveau régional modifierait totalement l’équation : on pourrait alors entrer dans un conflit de haute intensité, non plus cantonné à Gaza. Une réponse directe du Liban et de l’Iran ferait craindre une escalade au moins sous-régionale. C’est d’autant plus inquiétant que l’ONU a démontré son impuissance à réguler les relations internationales. La situation est très volatile, on n’est jamais à l’abri du pire, mais rappelons tout de même qu’il est peu probable que cela se passe comme ça.

Propos recueillis par Margaux Otter pour Le Nouvel Obs.