Avez-vous été surpris par la rébellion armée du chef de la milice Wagner ?

Evguéni Prigojine s’est toujours plaint que l’armée ne le soutenait pas suffisamment à Bakhmout, qu’il n’avait pas assez de munitions, qu’il n’avait pas assez d’artillerie. Il y a un contentieux depuis longtemps entre l’armée – en particulier le chef d’état-major et le ministre de la Défense – et Prigojine. Tout cela s’est accumulé. Prigojine est un personnage sulfureux.

Le chef de Wagner peut-il aller jusqu’à Moscou ?

Je ne peux absolument pas vous le dire. Tout ce que je peux subodorer, c’est qu’il a des appuis à Moscou même et que la troupe – pas les officiers, ils sont légitimistes, ils sont Poutiniens – donc la troupe elle-même, on ne sait pas trop. Elle a dû lire les messages de Prigojine sur Telegram. Evguéni Prigojine n’a cessé de dire aux officiers on ne s’occupe pas de vous, vous n’avez rien à manger, rien contre le froid, donc il n’est pas exclu que certains soldats refusent de se battre contre Prigojine.

Est-il vraiment « prêt à mourir » pour le peuple russe ?

En parlant de guerre civile, il sait que sa vie est en jeu, il n’a plus de recours, il est rentré dans l’opposition directe à Vladimir Poutine. On sentait qu’il y avait déjà du tirage. Il s’en prenait au ministre de la Défense Sergueï Choïgou et au chef d’état-major Valeri Guerassimov. Poutine était mis en cause indirectement. Maintenant c’est direct, c’est frontal. Cela se terminera par la défaite de l’un ou de l’autre ou éventuellement un accord.

Le pouvoir de Vladimir Poutine est-il menacé ?

Quelle que soit l’issue de la mutinerie, le pouvoir de Poutine est profondément ébranlé. Le fait qu’il ait réagi tout de suite, qu’il ait dit que c’est une atteinte contre l’Etat, que les coupables seront châtiés, il a une inquiétude et à mon sens à juste titre. Si la mutinerie est matée tout de suite, ce sera à plus long terme. Si elle n’est pas matée, avec des soldats qui refusent de tirer sur d’autres Russes et si Evguéni Prigojine réussit à monter jusqu’à Moscou, le pouvoir sera ébranlé à très court terme. Tout dépend de la façon dont la mutinerie sera traitée.

Peut-on imaginer que Vladimir Poutine soit renversé ?

Ce qui est sûr, c’est qu’il est profondément déstabilisé. Est-ce qu’il va être renversé ? Il est très difficile de faire la moindre prévision. Il a un entourage qui est théoriquement uni autour de lui mais il y a peut-être des gens qui sont moins d’accord et qui pourraient l’inviter gentiment à dégager moyennant quelques garanties. C’est l’hypothèse la plus favorable, si je puis dire, pour la stabilité du pays. Peut-être que les jours qui viennent seront plus violents, peut-être réussira-t-il à réduire la mutinerie et quoiqu’ébranlé, il reste en place.

Comment peut réagir la société russe ?

C’est très difficile de dire comment elle va réagir. Il y a trois semaines, la popularité de Poutine était à 80 %. Ces sondages valent ce qu’ils valent. Dans ces 80 %, il y a des gens qui sont contre la guerre, qui trouvent qu’elle est mal menée, qui critiquent le régime. Pour l’instant, la société civile fait le gros dos.

Assiste-t-on à un tournant dans la guerre en Ukraine ?

Sans aucun doute. Les Ukrainiens vont en tirer parti, bien sûr. Soit ils vont en profiter pour accentuer leur pression sur une armée russe qui est en difficulté puisqu’elle est contestée de l’intérieur, soit des accords ont peut-être déjà eu lieu avec Prigojine. Tout cela est très conjonctural.

 

Propos recueillis par La Depeche.