Quel regard est porté sur la fin de vie hors de nos frontières ? La perception de la fin de vie est multifactorielle et complexe. Elle s’appuie sur la religion, la conception de la famille, de la médecine, des valeurs sociétales et culturelles. Mais aussi sur des réalités du quotidien telles que l’accès aux soins, le contexte législatif et la réalité affective et économique des familles.
Cette pluralité explique que chaque société, pays ou communauté ait une perception différente de la fin de vie. Et si aujourd’hui plusieurs pays ont déjà franchi le tabou qui entoure la fin de vie, chacun d’entre eux l’aborde d’une façon différente et par un processus différent.
Certains pratiquent l’euthanasie active, en abrégeant intentionnellement les souffrances d’une personne. La loi l’autorise sur la péninsule Ibérique, en Belgique, aux Pays-Bas et au Luxembourg. D’autres préfèrent l’euthanasie passive ou indirecte par l’administration de médicaments analgésiques ou après débranchement d’un respirateur. C’est une pratique autorisée dans les pays du nord et de l’ouest de l’Europe continentale, comme la France.
Enfin, on parle d’assistance au suicide lorsque le patient s’administre lui-même le médicament létal, comme c’est notamment le cas en Suisse. Au-delà de ces divergences, ces législations diffèrent également à travers les conditions qu’elles imposent : pronostic vital engagé à court terme, exclusion des maladies neurodégénératives et psychiatriques, « souffrance insupportable sans espoir d’amélioration ». Spécificités qui sont le reflet des préoccupations et inquiétudes des sociétés qui les mettent en place.
Dans les pays occidentaux, la fin de vie fut longtemps portée par la religion. Cependant l’évolution de modes de vie et les progrès de la médecine ont porté le corps médical au-devant de cette question qui reste plurielle. Les récits des fins de vie, empreints d’émotion, de souffrance partagée, de douleur et de honte induite par la recherche d’autres solutions, ont mené les sociétés à chercher dans la législation sur la fin de vie une humanité disparue.
n Europe, seuls les pays de l’Est (Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Bulgarie, Chypre) ainsi que le Royaume-Uni et l’Irlande interdisent l’euthanasie, qu’elle soit active ou passive. Toute aide à la fin de vie est ainsi considérée comme un homicide involontaire ou un meurtre. Le sujet est si clivant qu’il n’arrive parfois pas à rassembler l’ensemble d’une même nation. Ainsi aux États-Unis, seuls dix États sur 50 autorisent l’aide à la fin de vie, dont l’Oregon, pionnier depuis la loi de « la mort dans la dignité » en 1997. Mais c’est seulement en 2016, lorsque la Californie vote une loi « pro-choix », que les choses commencent véritablement à évoluer. Ouverture d’une clinique spécialisée, lancement d’études cliniques et de nouveaux protocoles…
En Asie, le respect des valeurs traditionnelles
En Asie, le processus de fin de vie est largement influencé par les valeurs traditionnelles telles que le respect des anciens et une cohésion familiale transgénérationnelle. Un peu à part, le Japon, confronté à un vieillissement de la population, mais aussi à l’isolement des plus âgés (20 % des personnes de plus de 65 ans vivent seules), se fracture autour de la question de la fin de vie. D’un côté le respect ancestral des personnes âgées, de l’autre « le souci de ne pas peser sur sa famille et sur la société » qui est une réelle préoccupation dans la mentalité japonaise. Idéologie poussée à l’extrême dans le film Plan 75, réalisé en 2022 par Mme Shie Hayakawa, qui explore une dystopie de la société japonaise où les plus de 75 ans seraient incités à l’euthanasie active… pour ne pas peser sur la société.
De manière générale, en Asie, la religion reste très présente dans la perception de la fin de vie. Ainsi, pour le bouddhisme, il est important de mourir dans la paix et la sérénité afin de faciliter le cycle de la renaissance. Tandis que, de son côté, l’islam (62 % des musulmans vivent en Asie) porte une forte composante autour de l’acceptation de la volonté divine.
D’autre part, l’interprétation des textes sacrés amène également une possible divergence de position. Ainsi, même si l’hindouisme promeut le respect de la vie sous toutes ses expressions, il met également l’accent sur la libération du cycle des réincarnations (le moksha), que certains peuvent comprendre comme étant favorable à l’aide à la fin de vie.
Afrique et Amériques centrale et latine
Sur le continent africain, on retrouve cette diversité propre aux ensembles si vastes qu’ils ne peuvent être réduits à leur continentalité. Cependant on n’y voit apparaître une autorisation d’euthanasie passive qu’en Afrique du Sud. Certaines réflexions voient le jour en Namibie, influencée par l’Afrique du Sud voisine et les Pays-Bas. À ce jour, toute euthanasie active est illégale sur le continent africain. La véritable préoccupation actuelle autour de la fin de vie en Afrique reste la rareté des soins palliatifs. Le coût des soins, encore trop souvent à la charge des familles, retarde la prise en charge hospitalière et en fait un ultime recours.
En Amérique centrale ou latine, la Colombie était, jusque récemment, le seul pays à proposer une aide à la fin de vie en cas de pronostic vital engagé à court terme. Décision qui a dû faire face à l’opposition de l’Église catholique, qui menaçait alors de fermer les hôpitaux dont elle avait la charge dans le pays. Depuis 2022, le suicide assisté y est dorénavant autorisé, la Cour constitutionnelle évoquant « la nécessité de l’utilisation des avancées de la science de manière altruiste et solidaire envers ceux qui sont dans un état de santé extrême et qui désirent une mort dans la dignité ».
Ailleurs sur le continent, l’Équateur, Cuba, le Chili et le Mexique autorisent l’aide à la fin de vie. Au Pérou, en 2022 une jurisprudence ouvre une brèche vers l’aide à la fin de vie, en accordant à Ana Estrada, 45 ans, souffrant de maladie dégénérative, le droit de « mourir dignement ». En Uruguay, la même année, un texte de loi a été déposé au Sénat pour avancer sur la légalisation de l’euthanasie.
De manière générale, l’évolution démographique croissante, associée à l’alarmante augmentation des maladies non transmissibles, implique un risque exponentiel de fin de vie compliquée dans les décennies à venir. Une double composante qui impose une réflexion difficile, mais nécessaire. Un raisonnement qui devient moins théorique et parfois plus simple lorsque enfin on laisse la place aux récits des patients et familles confrontés au douloureux supplice d’une fin de vie inéluctable, compliquée par la loi des hommes.
Publié par La Croix.