• Par [Sylvie Matelly->http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=matelly], directrice de recherche à l’IRIS

La crise de l’euro et de la zone euro est révélatrice de toutes les failles politiques de la construction européenne et des risques, trop peu pris en compte par le passé, que génère une zone monétaire non optimale. Et même si les réactions et les mesures prises depuis deux ans par les leaders européens, États et banque centrale, peuvent être critiquées, car perçues comme tardives et insuffisantes, elles font progressivement tomber tous les tabous.

Plus étonnant encore peut-être, l’intérêt que suscite, partout dans le monde, cette crise. On se souvient encore, en effet, d’un Donald Rumsfeld qui, en son temps (2003) et sur d’autres sujets, parlait d’une vieille Europe qui, semble-t-il, ne présentait plus guère un grand intérêt pour les États-Unis, d’un Barack Obama qui, à peine élu, allait visiter l’Asie avant même de venir saluer ses alliés européens. Et voilà qu’aujourd’hui, même la présidente brésilienne donne son avis sur la crise européenne, souhaitant que les pays européens prennent les mesures nécessaires pour résoudre la crise.

Que s’est-il passé ? Eh bien, cette crise révèle une évolution, perçue jusque-là essentiellement par les marchés financiers depuis plusieurs années : la zone euro est devenue un acteur systémique, c’est-à-dire un acteur central du système économique international, au même titre que les États-Unis et peut-être même plus que la Chine pour le coup (l’avenir confirmera ou infirmera si demain la Chine connaît la crise financière que certains lui prédisent !). Cela signifie par conséquent que si elle s’effondre, les conséquences en seront mondiales. Cette prise de conscience des marchés financiers explique d’ailleurs en partie pourquoi une crise de la dette souveraine dans un pays somme toute secondaire de la zone euro a entraîné une telle déflagration en Europe et suscité autant de réactions dans le monde.

Comment la zone euro est-elle en quelques années devenue cet acteur systémique, là où l’Union européenne, malgré des décennies de construction, ne l’est pas ? Plusieurs raisons apparaissent. Parmi celles-ci, on peut citer le rôle croissant que joue l’euro au niveau international (réserve de change, billets en circulation et échanges commerciaux). Une autre raison tient aussi au fait que la zone euro a parachevé l’intégration des économies européennes, amplifiant encore les interdépendances entre les pays européens et le risque d’effets domino à l’intérieur même de la zone. Et pourtant, à la différence d’une économie nationale, les transferts budgétaires pour rééquilibrer des différences régionales y sont quasiment impossibles, comme si un certain patriotisme continuait à dominer nos relations, empêchant une solidarité pourtant indispensable dans une zone monétaire unique.

Parallèlement, bien que relativement européo-centrée, l’économie européenne n’en est pas moins un marché important pour d’autres pays non européens. Elle est le premier client de la Chine, de l’Inde ou de la Russie aujourd’hui, un partenaire de premier plan pour les États-Unis. De ce point de vue, c’est plus le ralentissement de l’économie de la zone qui peut inquiéter ces pays et affecter le commerce international et l’économie mondiale. La relative autonomie de la zone, et c’est une autre raison de sa dimension systémique, tient aussi au rôle et à l’implication des banques européennes. Au début de la crise en 2009, le coupable fut vite désigné : une grande banque américaine qui avait usé de techniques financières complexes pour piéger un gouvernement grec corrompu et peu regardant. Et puis, progressivement, il est apparu que les banques européennes étaient bien plus exposées qu’il n’y paraissait. Conséquence immédiate de ce constat : un défaut de paiement partiel ou total de l’un des pays entraînerait des pertes colossales pour les institutions financières européennes. Il pourrait alors provoquer une nouvelle crise du système financier mondial.

Néanmoins, être un acteur systémique crée un certain nombre de responsabilités, au premier rang desquelles se trouve la responsabilité politique, quel qu’en soit le prix à payer, de sauver l’économie et les acteurs économiques de la zone. On doit donc accepter à la fois une plus grande rigueur dans la gestion des politiques publiques et une transparence totale, mais aussi une plus grande solidarité et une intégration croissante…