Comment une potentielle victoire des oppositions pourrait-elle déclencher des changements en Turquie et à l’international ?
Les oppositions ont des positions communes qui sont transverses à l’ensemble des partis, notamment sur les aspects de souveraineté et sécuritaires.
Dans la mesure où elles gagneraient ces élections, il n’y aurait donc pas forcément de changements majeurs. Il est clair que le président sortant n’est pas connu pour avoir une forme de diplomatie «très souple». La manière dont vont s’exprimer les oppositions pourrait, elle, changer.
Néanmoins, ce n’est pas parce que la forme serait plus diplomatique et souple que le fond va changer. La Turquie aura toujours les mêmes dossiers de fond, notamment avec la Grèce et les problèmes qui sont là depuis des décennies.
La question des migrants syriens représente un vrai bras de fer entre Ankara et Bruxelles, que se passerait-il sur ce dossier en cas de victoire de Kemal Kiliçdaroglu ?
Alors que le nombre de migrants syriens en Turquie s’approcherait des 4 millions, le souhait d’Ankara, et celui des oppositions, est que ceux-ci repartent chez eux. Cela a toujours été le cas.
Les oppositions ont quand même fait savoir qu’en cas de victoire, elles retireraient les troupes situées au nord de la Syrie, dans la mesure où les mouvements terroristes kurdes seront neutralisés.
Ce qui sous-entend que les troupes turques ne vont pas quitter le nord de la Syrie dans un horizon proche et que les migrants ne seront pas poussés vers le pays mais resteront sur les bases d’un retour volontaire.
La Turquie a joué un rôle facilitateur lors des négociations entre l’Ukraine et la Russie sur la reprise des exportations des céréales ukrainiennes. Quel que soit l’issue de ce scrutin, peut-on supposer que cet accord reste pérenne ?
Oui. De toute façon, ce sont ce que j’appelle des positions transverses. Le rôle de médiateur de la Turquie ne va pas changer. Le but étant de faciliter les exportations des céréales ukrainiennes, je ne vois pas Kemal Kiliçdaroglu faire volte-face. Cela devrait forcément rester.
Depuis 2019, les négociations sont gelées entre Bruxelles et Ankara pour l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Peut-on s’attendre à une reprise des pourparlers en cas de victoire des oppositions ?
Le projet de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne est toujours en cours. Il y a toujours un ministère qui s’occupe de l’Union européenne. Il y a toujours un négociateur en chef et des aides de l’UE pour le processus de l’adhésion.
La différence si les oppositions gagnent, il y aurait peut-être un mouvement plus accéléré du processus qu’à l’heure actuelle où personne ne se fait d’illusions.
Dans le programme électoral des oppositions, il est bien dit qu’elles seront un peu plus pro-actives pour les rapprochements avec l’Union européenne. Cette dernière aura une part importante dans le projet de Kemal Kiliçdaroglu.
Depuis des années, les relations sont tendues entre Erevan et Ankara. Mais lors des séismes qui ont frappé la Turquie, une certaine détente s’est observée entre les deux pays. A quoi peut-on s’attendre dans les prochaines années ?
Ce dossier est sensible. Pour le moment, personne n’a réussi à le résoudre. La Turquie ne reconnaît pas le génocide arménien (où entre 1,2 et 1,5 million ont perdu la vie, ndlr). Je ne vois pas les oppositions le reconnaître.
Maintenant, concernant les actions de rapprochements diplomatiques, il pourrait effectivement y avoir quelque chose. Mais ce ne sera pas un dossier qui va se résoudre comme ça dans les mois, voire même les années qui vont suivre l’arrivée au pouvoir des oppositions.
Globalement, quelle serait la Turquie de Kemal Kiliçdaroglu ?
Que ce soit l’AKP (parti politique de Recep Tayyip Erdogan, ndlr) ou les partis des oppositions, le grand gagnant de la présidentielle devra résoudre une situation économique très précaire. Celle-ci ne peut pas se résoudre comme ça dans les mois qui suivent l’issue du scrutin. Les experts parlent d’une situation difficile qui doit demeurer ainsi pour un ou deux ans encore.
Du côté de l’Europe, les pays européens espèrent des changements radicaux. Il y aura quand même des positions qui seront communes entre la Turquie et l’International.
A l’époque d’Erdogan, le pays a entrepris des rapprochements décisifs avec des pays avec lesquels il s’était fâché. C’est le cas d’Israël, de l’Arabie Saoudite ou encore des Emirats arabes unis. En cas de victoire, les oppositions devraient prolonger ces rapprochements.
Aussi, les dossiers sécuritaires devraient rester. Là-dessus, la Turquie devrait continuer sa politique d’indépendance en matière d’armement et de défense.
Il pourrait y avoir des changements en termes d’approche du pays notamment de forme avec l’envie de revenir à un régime moins centralisé et plus parlementaire. Néanmoins, concernant, les dossiers de fond, ceux-ci resteront les mêmes.
Propos recueillis par Khalil Rajehi pour CNews.