• Christophe Ventura

    Directeur de recherche à l’IRIS, responsable du Programme Amérique latine/Caraïbe

Lors du premier tour de la présidentielle argentine, Sergio Massa, l’actuel ministre de l’économie du président Alberto Fernandez, est arrivé en tête, ce dimanche, en obtenant 36,3% des voix se plaçant devant Javier Milei qui a recueilli 30,2% des bulletins de vote. Quels enseignements tirer de ce scrutin ?

D’une part, l’actuel ministre de l’Économie du président Alberto Fernandez a récupéré une partie des voix de Patricia Bullrich (l’ancienne ministre de la Sécurité), la candidate de centre droit qui n’a pas réussi à se qualifier pour le second tour. Avec 23,8 % des voix, c’est la vraie perdante de ce premier tour, elle perd 600.000 voix par rapport à la primaire. D’autre part, la campagne de Massa dans une perspective de gouvernement d’union nationale lui a été bénéfique. La montée en puissance de Massa se traduit également dans le vote du nouveau Congrès. Le péronisme reste ainsi la première force du pays à la Chambre des représentants, l’équivalent de notre Assemblée nationale en Argentine, avec 108 députés, devant la droite incarnée par Bullrich, et ce malgré l’entrée à la Chambre du groupe de Milei (37 députés). Au Sénat, le péronisme résiste également mieux que prévu.

En jouant la carte du candidat raisonnable face à l’extravagant Javier Milei, Sergio Masa a-t-il bénéficié d’un «vote utile» en sa faveur ?

Une partie de l’électorat libéral, de centre droit, a en effet été repoussée par la radicalité et l’extravagance de Milei, craignant l’instabilité s’il gouvernait, d’autant plus sans majorité au Congrès. Bullrich n’a pas réussi à séduire cet électorat-là, face à Massa, représentant de l’aile modérée du péronisme. Celui-ci est connu pour ses positions plus centristes, ayant pu être en conflit face à Cristina Kirchner (présidente de la nation de 2007 à 2015), figure tutélaire du péronisme. L’électorat péroniste est majoritairement présent dans la province de Buenos Aires et pèse pour un tiers de l’électorat de tout le pays. Massa a convaincu les indécis, et pas seulement les péronistes, non pas grâce à l’adhésion à son projet, mais grâce à sa stature de candidat raisonnable. Une bonne partie des électeurs travaillant dans la fonction publique ont par ailleurs considéré que l’arrivée de Milei au pouvoir signifierait la perte de leur travail.

Peut-on établir un parallèle entre le vote populiste (Milei) et les catégories éloignées des grandes métropoles et peu diplômées ?

La carte électorale dément ce parallèle : le vote en faveur de Milei s’observe majoritairement dans le centre de l’Argentine, là où traditionnellement la droite arrive en tête. Javier Milei a avant tout réussi à capter l’électorat de Bullrich. Le nord de l’Argentine, plus pauvre, et le sud, ont voté pour le péronisme. Mais en Argentine, la géographie est un critère moins pertinent qu’en Occident pour comprendre les ressorts du vote. L’électorat de Milei, ce sont surtout des jeunes, assez diplômés, mais sans travail ou déclassés : ils exercent des métiers liés à l’économie des plateformes numériques, comme transporteur, livreur, etc. Milei, c’est en partie le candidat de ces catégories sociales en fort développement, libérales voire ultralibérales, très présentes dans les grandes villes.

Pour le second tour, une nouvelle campagne commence, très ouverte. Sergio Massa va-t-il trouver un appui auprès des petits candidats de gauche qui représentent, ensemble, environ 10% des voix ? Le soutien du péroniste dissident Juan Schiaretti, qui a fait 7%, soit deux fois plus que ce que lui prédisaient les sondages, pourrait être décisif au second tour. Et puis, Bullrich va-t-elle appeler à voter pour Milei ? Le cas échéant, le résultat sera très serré.

 

Propos recueillis par Ronan Planchon pour Le Figaro.