L’organisation de matchs contre le Cameroun puis le Kenya a donc un aspect diplomatique. Pouvait-il en être autrement ?
Non. Des matchs de ce genre n’ont pu être conclus qu’après des accords politiques. La Russie a considérablement augmenté son influence en Afrique depuis 2019. Pour Moscou, c’est un gros coup d’avoir réussi à faire venir le Cameroun, qui est une des meilleures sélections africaines. Officiellement, la position de Paul Biya (qui était présent fin juillet à Saint-Pétersbourg au sommet Russie-Afrique, ndlr) sur le conflit russo-ukrainien est celle de la résolution. Mais il faut aussi se souvenir que le Cameroun, comme beaucoup d’autres pays, notamment en Afrique, s’est déclaré favorable à la présence des athlètes russes lors des Jeux olympiques de Paris en 2024. Oleg Matytsin, le ministre des Sports de la Russie, a récemment fait une tournée en Afrique. Poutine a très bien compris que via le sport et une diplomatie sportive active, son pays peut en tirer profit. Il faut donc s’attendre à ce que d’autres sélections africaines se rendent à Moscou prochainement.
Cela aurait pu être le cas en octobre : le Niger, la Centrafrique, le Burkina Faso, le Mali sont dirigés par des régimes ouvertement pro-russes…
En effet, mais le Cameroun, c’est d’un niveau supérieur. Vladimir Poutine sait très bien que la venue des Lions indomptables va beaucoup faire parler. Le Cameroun de Biya a de plus une position plus nuancée sur le conflit. Le régime ne soutient pas ostensiblement la Russie, le Cameroun n’est pas une marionnette de Moscou, mais d’une certaine façon, il a fait le choix de la Russie, et l’opinion publique camerounaise ne lui tiendra pas forcément rigueur d’avoir accepté que les Lions indomptables jouent en Russie. Il y aura bien sûr des gens qui n’apprécieront pas que leur sélection s’y rende, mais les critiques viendront probablement plus des pays occidentaux.
On assiste progressivement à un retour de la Russie dans les compétitions sportives, alors que l’armée de Poutine continue de bombarder l’Ukraine, de massacrer des civils dont des enfants (le 5 octobre, un missile a tué 51 villageois dans le village de Hroza, NDLR). Est-ce qu’il faut s’attendre à un assouplissement des sanctions ?
C’est fort possible. Les athlètes russes devraient participer au JO, certes sans drapeau ni hymne. Les sélections de football des moins de 17 ans pourront de nouveau prendre part aux coupes du monde (mais pas celle de cette fin d’année en Indonésie, NDLR), et je ne serais pas surpris que la FIFA autorise la Sbornaya à disputer les qualifications pour la Coupe du monde 2026. Tout cela alors que le projet militaire de Poutine n’a absolument pas changé. Mais il faut bien comprendre que la FIFA et le CIO ne voient pas le football d’un point de vue occidental. Ils le regardent d’une façon plus décentrée, aussi parce qu’il peut y avoir des affaires à réaliser. Alors oui, la Russie va revenir petit à petit dans les compétitions internationales, cela me semble évident.
La Russie avait envisagé de demander son adhésion à la confédération asiatique (AFC). Cela vous semble-t-il toujours plausible ?
Cette hypothèse semble être sur pause depuis plusieurs mois. C’était un effet d’annonce fin 2022. La Russie, sportivement, n’aurait pas forcément à y gagner en rejoignant l’Asie, où le niveau est moins élevé qu’en Europe. Il ne faut pas complètement l’exclure, mais elle ne me paraît plus vraiment d’actualité…
Propos recueillis par Alexis Billebault pour So Foot.