Pour contrer les ambitions grandissantes de la Chine dans le Pacifique, les Etats-Unis, qui possèdent déjà des bases au Japon et en Corée du Sud, ont annoncé, mercredi 16 novembre, un renforcement de leur présence militaire en Australie. Washington va déployer 250 marines dans le nord du pays à partir de la mi-2012, un effectif qui sera au fil des ans porté à 2 500.
Pour Barthélémy Courmont, professeur de science politique à Hallym University (Corée du Sud), chercheur associé à l’IRIS et rédacteur en chef de la revue Monde chinois, nouvelle Asie, Barack Obama met ainsi en actes sa doctrine visant à restaurer la présence américaine en Asie.
Depuis son arrivée au pouvoir, Barack Obama s’est lancé dans un vaste chantier de redéfinition de la politique américaine en Asie-Pacifique. Hillary Clinton y joue un rôle central. Cette nouvelle politique, qui contraste avec les années Bush marquées par un engagement assez faible dans cette région – aucune vision d’ensemble et une multitude de partenariats bilatéraux – ambitionne de restaurer la présence américaine dans le Pacifique, qui est de plus en plus sujette à interrogations.
L’Australie étant un allié proche de Washington, et un acteur majeur de la sécurité dans le Pacifique Sud [où Canberra assure, avec Wellington, l’essentiel des missions de sécurité et de maintien de la paix], mais aussi potentiellement dans l’océan Indien, la présence militaire américaine doit être avant tout interprétée comme un soutien à l’Australie.
Pas nécessairement. Le lancement du porte-avions chinois était prévu de longue date, et s’il marque un nouveau cap dans l’affirmation de la puissance navale chinoise, il ne remet pas en cause, pour le moment du moins, la domination de l’US Navy dans le Pacifique. En revanche, en s’assurant des bases arrières dans une région [le Pacifique Sud et la façade orientale de l’océan Indien] où la Chine ne dispose pas de relais, les Etats-Unis marquent certainement leur présence stratégique, et cela s’inscrit de fait dans le bras de fer naval auquel semblent désormais se livrer les deux pays, même si celui-ci n’est pas encore officiellement à l’ordre du jour des agendas stratégiques.
L’Australie est effectivement plus éloignée de la mer de Chine méridionale, mais elle est également l’allié fiable le plus proche pour Washington. Les Etats-Unis tissent des partenariats avec des pays comme le Vietnam ou l’Indonésie, mais ils savent que l’importance des échanges économiques et commerciaux de ces pays avec la Chine fragilise leur marge de manœuvre.
La région des détroits en Asie du Sud-Est, hautement préoccupante en raison de la prolifération des activités de piraterie, justifie à elle-seule une meilleure coordination avec les pays de la région, dont l’Australie fait partie. Il faut ajouter à cela les risques sécuritaires en Indonésie, liés au radicalisme religieux, dont l’attentat de Bali en octobre 2002 fut un triste exemple, et pour lesquels l’Australie joue un rôle central. Pour ces différentes missions, les forces stationnées en Asie du Nord-Est ne sont pas sollicitées, leur rôle étant essentiellement d’assurer la protection des alliés japonais et coréen.
C’est en effet un effectif relativement symbolique. Il aurait été, cela dit, difficile pour un président qui a anoncé le retrait des forces américaines en Irak puis en Afghanistan d’annoncer un renfort important dans un pays comme l’Australie, qui a priori ne le justifie pas particulièrement. L’administration Obama sait que les partenariats avec les pays sur la rive asiatique du Pacifique sont essentiels si les Etats-Unis veulent se maintenir dans la région, et faire pour encore quelques décennies du Pacifique une "mer intérieure américaine". L’annonce de ces effectifs vise donc à la fois l’Australie, mais aussi d’autres pays de la région, notamment en Asie du Sud-Est.
C’est effectivement plus dans l’océan Indien que les Etats-Unis ont besoin de l’Australie, et réciproquement. L’Australie y joue un rôle important, et ses relations avec l’Inde constituent le seul véritable obstacle à la stratégie de déploiement de la Chine, qui s’appuie sur la puissance navale et une multitude de partenariats avec des pays de la région, qualifiés de "collier de perles". Les Etats-Unis suivent de près les développements dans cet océan, que certains analystes décrivent comme essentiel, et potentiellement porteur de multiples dangers. Le partenariat entre les Etats-Unis et l’Australie y prend tout son sens, Canberra n’ayant pas les moyens, seul ou avec l’Inde, de s’opposer aux capacités chinoises.
Malgré ses liens historiques et culturels avec le monde occidental, l’Australie est une puissance asiatique. C’est en particulier le cas en ce qui concerne les questions économiques et commerciales, puisqu’en marge de la Chine, le Japon, la Corée du Sud ou d’autres pays asiatiques sont des partenaires importants de Canberra, qui vient par ailleurs d’annoncer sa volonté de vendre de l’uranium à l’Inde. L’ancien premier ministre conservateur, John Howard, était un hostile défenseur de l’affirmation de l’Australie comme pays occidental. Mais depuis le retour au pouvoir des travaillistes, en parallèle de la crise économique internationale, la volonté de resserrer les liens avec les pays asiatiques s’est confirmée, et l’idée d’une intégration régionale est même souvent évoquée.