• Par Maxime Pinard, chercheur à l’IRIS

Le Moyen-Orient est en ébullition : la Syrie, l’Iran et Israël connaissent ces derniers mois des turbulences qui remettent en cause à la fois leur puissance propre, ainsi que les équilibres géostratégiques de la région.

La Syrie mène une répression sanglante mais difficile à évaluer par manque d’informations fiables. Toujours est-il qu’elle vient d’être suspendue par la Ligue arabe et que la communauté internationale profère sur elle des menaces toujours plus grandes (à l’exception notable de la Russie) sans réel résultat pour l’instant.

Les opposants exilés parviennent à faire entendre leur voix dans les médias internationaux, mais le président Assad demeure à la fois sourd et ferme face aux aspirations d’une partie de son peuple. La situation est réellement incertaine, la possibilité d’une intervention n’étant pas à négliger, bien qu’elle comporte des difficultés réelles.

Incertitudes autour du nucléaire iranien

Israël quant à lui, après avoir surmonté pour un temps une crise sociale interne forte, marquée par de gigantesques manifestations l’été dernier, joue la fermeté sur la scène internationale. Fort de son succès dans la libération du soldat Shalit, il essaie de torpiller le projet du président Abbas de faire de la Palestine un État membre de l’ONU, la première manche étant perdue avec la reconnaissance de ce dernier par l’Unesco.

Elle joue également sur un autre front, sachant les États-Unis et l’Europe affaiblis, en multipliant les menaces à l’encontre de l’Iran. Certes, ce n’est ni la première ni la dernière fois que l’État hébreu joue avec le feu, mais dans de telles proportions, c’est plus rare. Le président Shimon Peres n’a-t-il pas dit qu’Israël était prêt à attaquer l’Iran dans un délai proche ? Que penser de ces provocations savamment calculées ?

Depuis plusieurs années déjà, l’Iran est l’objet de menaces en raison de son programme nucléaire, dont l’objectif final est de se doter de l’arme nucléaire malgré le discours officiel qui ne parle que du secteur énergétique civil. Les services secrets occidentaux et un récent rapport de l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique) confirment les velléités de l’Iran, mais sans parvenir à déterminer clairement à quel stade se trouvent les militaires et les scientifiques en charge du projet.

Les travaux ont été ralentis à plusieurs reprises, en raison des contrôles de l’AIEA, des bases secrètes à construire profondément pour éviter les bombardements, mais également des assassinats et enlèvements d’ingénieurs, que l’on pourrait très probablement attribuer aux services secrets israéliens. Le doute demeure donc quant à la réelle capacité nucléaire de l’Iran.

De façon provocante, on pourrait se demander : et si l’Iran avait la bombe, que se passerait-il ? Dans une interview de 2005 accordée au "Financial Times", Jacques Chirac, alors président de la République, avait laissé entendre que le succès du projet iranien ne serait pas si catastrophique qu’annoncé. La formule était mauvaise et le tollé provoqué justifié.

Uniquement une arme de dissuasion ?

Pourtant, l’idée sur le fond n’était pas dénuée de fondement. Si l’Iran a la bombe, ce ne sera pas pour s’en servir contre Israël ou tout autre État. A l’exception de l’attaque américaine au Japon de 1945, aucune attaque nucléaire inter-étatique n’a eu lieu depuis, en dépit de sa prolifération. Dans certains cas même, elle neutralise les puissances, à l’image du Pakistan et de l’Inde. L’arme nucléaire est une arme de dissuasion : tout État qui s’en servirait serait immédiatement attaqué et réduit à néant.

Le président iranien Ahmadinejad le sait et ce n’est pas un fou suicidaire qui souhaite la destruction de son pays. Soulignons au passage qu’il n’est pas le seul à avoir soutenir le programme nucléaire et que ses adversaires politiques, souvent présentés comme modérés par les Occidentaux, ont tenu le même discours. Ce que cherche à faire l’Iran, c’est à créer un nouvel équilibre géopolitique dans la région.

Israël, bien que ne l’ayant jamais reconnu, possède plusieurs dizaines de têtes nucléaires, la France de De Gaulle l’ayant aidé dans l’accession à la bombe, ce qui la protège de ses voisins. En obtenant l’arme nucléaire, l’Iran aurait les moyens de faire pression sur Israël et d’obliger ce dernier à revoir certains aspects de sa politique étrangère. Rappelons par ailleurs que si l’Iran rencontre tant de problèmes avec la Communauté internationale, c’est qu’il a été signataire du TNP (Traité de non prolifération), à l’inverse d’Israël qui a pu mener ses activités nucléaires comme bon lui semblait.

Une intervention en Iran serait une erreur

Que faut-il faire pour assurer la paix dans la région ? A plusieurs reprises, le président Sarkozy a parlé lors de la Conférence annuelle des ambassadeurs de pressions supplémentaires sur l’Iran, voire d’intervenir, dans des propos toujours mesurés mais fermes. Les États-Unis ont également parlé du danger Ahmadinejad et des fuites distillées par les services de sécurité américains ont laissé penser qu’un plan d’attaque était prêt si besoin. Enfin, Israël mène déjà une guerre secrète avec l’Iran, ses services secrets menant des cyberattaques qui affaiblissent les défenses iraniennes.

Toutefois, une intervention militaire en Iran, même sous couvert de l’ONU, serait une grave erreur. Outre le fait que le pays est puissant militairement et qu’il ne se laisserait pas attaquer sans riposter par une pluie de missiles sur ses voisins proches, une telle décision ne ferait que renforcer le régime en place. Certes, une majorité du peuple iranien est contre Ahmadinejad, qui n’a été réélu que grâce à des fraudes massives, mais il semble fortement probable qu’en cas d’attaque, ce même peuple ferait bloc avec ses dirigeants.

De même, les premières semaines d’une guerre sont en général les "plus faciles", les bombardements massifs réduisant rapidement la force de frappe de la puissance concernée. Mais quid des mois qui suivent avec les poches de résistance à neutraliser, les populations à gérer au niveau humanitaire, et la reconstruction post-conflit politique et économique à entreprendre ?

Les exemples égyptien et libyen montrent que c’est extrêmement compliqué. Qui plus est et de façon cynique, il convient de préciser que les Occidentaux n’ont pas les moyens d’une nouvelle guerre, leurs économies étant menacées, et les conflits où ils sont présents n’étant pas encore résolus (Afghanistan…).

Certains avancent l’idée d’accentuer les sanctions financières sur l’Iran avec un embargo renforcé. Ces mesures fonctionnent un temps, avant que le pouvoir concerné ne restructure son contrôle des échanges économiques et que la seule véritable victime soit la population. Il ne faut pas par conséquent que les sanctions soient la principale dimension de la diplomatie occidentale. Une autre solution, plus difficile à faire accepter car demandant du temps et n’étant pas visible sur l’instant, consisterait à tout simplement laisser le peuple iranien mener sa propre transformation.

Ce dernier a montré lors des manifestations anti-Ahmadinejad qu’il aspire à la paix et à un développement économique sain, non basé sur la peur. Les Iraniens "s’occidentalisent" de plus en plus dans leur mode de vie, adaptant la culture de l’autre à leur propre culture. Par ailleurs, le tropisme occidental qui consiste à voir Ahmadinejad comme le réel détenteur du pouvoir est faux et peut conduire à une erreur d’analyse.

Outre le fait que celui-ci est vivement contesté, c’est l’Ayatollah Ali Khamenei qui fixe réellement les lignes politiques du pays, le religieux ayant une place prépondérante dans la politique du pays, ce qui conduit à des tensions entre une jeunesse nombreuse et les autorités religieuses garantes d’un conservatisme radical.

Il serait tentant pour les Occidentaux d’œuvrer à la poursuite des transformations qui secouent le Proche et Moyen-Orient. Mais attaquer l’Iran serait assurément la dernière chose à faire. Il ne faudrait pas enfin tomber dans le piège de surenchères déclaratoires qui ne sont en réalité que des moyens déguisés pour les États qui les profèrent de ne pas trouver de solutions à d’autres problèmes internes. L’ennemi de l’extérieur est toujours un bon moyen de rassembler un peuple et de le détourner de ses problèmes quotidiens.