• Interview de Maxime Pinard, chercheur à l’IRIS, par Julien Vallet

A quinze jours d’intervalle, Argentine et Bolivie ont nationalisé des entreprises espagnoles d’énergie, à la grande fureur de Madrid. L’analyse de Maxime Pinard, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).

Pourquoi cette vague soudaine de nationalisations ?

On peut le voir comme une rébellion face à l’Europe, mais il s’agit d’abord de politique intérieure. Le président bolivien Evo Morales, comme son homologue argentine Cristina Kirchner, doivent satisfaire leur opinion publique. Et les Argentins voient bien que la situation économique est mauvaise. Pour Morales, c’est une habitude d’annoncer une nationalisation à chaque 1er Mai. C’est d’abord un coup politique, face à une opinion qui ne lui est plus favorable alors qu’il pense à sa réélection en 2014.

Y a-t-il un effet d’entraînement sur les autres pays d’Amérique latine ?

On distingue deux catégories de pays. D’un côté, Équateur, Venezuela et Argentine. De l’autre, Colombie, Brésil et Pérou qui n’utilisent pas les nationalisations dans leur stratégie. L’argumentaire classique est que cela va profiter aux populations. Mais pour cela, il est nécessaire d’obtenir des investissements extérieurs. Or, Cristina Kirchner n’en a pas les moyens. L’Argentine subventionne le pétrole, ce qui conduit à une forte augmentation de son utilisation par la population, qui plombe les finances publiques et creuse le déficit.

Pourquoi avoir nationalisé, alors ?

En Argentine, vous avez une croissance importante, d’environ 7% par an. Mais son économie n’est pas encore assez forte pour supporter le poids des nationalisations. En Bolivie, les entreprises qui ont été nationalisées avaient été privatisées en 2007. Avec la récession qui menace en Europe, les pays d’Amérique latine ont saisi l’occasion en nationalisant des entreprises espagnoles.

Pourquoi une réaction si forte de l’Espagne ?

Le Venezuela a nationalisé à tour de bras, mais reste attractif pour les investissements extérieurs grâce à ses garanties sociales. Les entreprises qui s’installent dans le pays, par exemple, s’engagent à former des cadres, à construire de nouveaux logements.

L’Argentine, elle, a pris une décision unilatérale. L’Espagne a demandé des sanctions. Elle va peut-être réduire ses importations en provenance de l’Argentine. Madrid a vu son autorité remise en cause et a peut-être eu une réaction un peu hâtive. Mais ce n’est pas parce qu’on voit ses intérêts contestés dans un domaine qu’on ne peut pas obtenir des compensations dans un autre.

Ces nationalisations sont-elles le signe d’une montée en puissance de l’Amérique latine ?

Dans un contexte de crise, on assiste à un rééchelonnement de la puissance au niveau mondial. En même temps, le Brésil est un pays dont le poids politique ne correspond pas à sa puissance économique. Les pays d’Amérique latine ont besoin des pays européens qui absorbent leurs exportations. L’Amérique latine est un sous-continent en puissance, mais qui a toujours autant besoin des investissements extérieurs et qui, surtout, ne constitue pas un bloc uni.

Quel avenir pour les pays d’Amérique latine après ces nationalisations ?

Ce n’est pas tout d’avoir nationalisé, encore faut-il que en avoir les moyens financiers et épancher son besoin d’investisseurs. Pour Morales, les nationalisations ne font pas partie d’un projet. C’est pourquoi le pays va sur le long terme sur des difficultés économiques. Il y aura toujours besoin d’investissements extérieurs pour améliorer les infrastructures et maintenir de bonnes relations avec ses voisins. Car si le secteur énergétique dans un pays n’est plus compétitif, le pays risque de perdre des parts de marché.