"Le Royaume-Uni a répondu lundi par un "no" qu’il veut définitif à l’idée chère à la France de créer un quartier général militaire permanent pour l’Union européenne, un nouveau revers pour une Europe de la défense déjà en mauvaise passe", souligne l’Agence France Presse lundi 18 juillet (1). ""Il est très clair que le Royaume-Uni ne donnera pas son accord à un Quartier général permanent de l’UE ni maintenant, ni à l’avenir", a déclaré le secrétaire au Foreign Office (ministre des Affaires étrangères britannique) William Hague à l’issue d’une réunion avec ses collègues de l’UE à Bruxelles lundi. Qualifiant cette affaire de "ligne rouge", il entendait visiblement donner le coup de grâce à un projet qui hérisse Londres tant il lui paraît contraire à son "atlantisme" historique.
La création d’un QG bruxellois permanent de l’UE était une "solution ambitieuse" proposée lundi aux ministres par la Haute représentante pour les affaires de sécurité et de défense, la Britannique Catherine Ashton, dans un rapport sur les moyens de donner une nouvelle impulsion à l’Europe dans ce domaine. Il lui avait été commandé en décembre à l’initiative des trois pays du triangle dit "de Weimar": Allemagne, France et Pologne. Paris a plaidé depuis 2007 pour que le centre opérationnel encore croupion existant au cœur de Bruxelles devienne le QG permanent des futures opérations de l’UE, civiles et militaires.
"Il s’agit d’une vieille revendication de Paris, qui a tenté d’amadouer les Britanniques en effectuant en 2009 son retour dans la structure militaire de l’OTAN dans l’espoir affiché d’amener les Britanniques à accepter une montée en puissance de l’Europe de la défense", souligne aussi l’agence Reuters (2).
Dans son rapport, Mme Ashton a d’ailleurs repris les traditionnels arguments français en invoquant les "discontinuités" et toutes les "déficiences" organisationnelles qu’induit le système actuel de commandement des opérations UE, reposant sur cinq QG nationaux (situés en Allemagne, France, Grèce, Italie et Royaume-Uni).
Mais aux yeux de la Grande-Bretagne, un tel QG, a expliqué M.Hague, "ferait double emploi avec les structures de l’OTAN" et "ce serait une solution très coûteuse". "Pour Londres, l’OTAN reste le lieu privilégié de la concertation en matière de défense et, si Nicolas Sarkozy et David Cameron ont annoncé le 2 novembre dernier un renforcement sans précédent de leur coopération militaire, le Royaume-Uni estime que cela doit être réalisé en dehors de l’UE", souligne Reuters.
Alors que les frappes aériennes sont effectuées pour l’essentiel par des appareils français et britanniques, les Américains n’ayant participé qu’au début de l’opération en mars, "Londres a insisté pour que la planification se fasse à l’OTAN", souligne Reuters.
William Hague a donc estimé que l’on pouvait améliorer les relations entre les capacités nationales de planification des opérations et qu’une structure européenne était superflue.
Il a reconnu que la plupart des Etats membres étaient en faveur des propositions de Catherine Ashton mais que ces dernières devaient être approuvées à l’unanimité. Londres s’est en effet battu lors des négociations pour la rédaction du traité de Lisbonne pour que le vote à la majorité qualifiée ne s’applique pas aux questions de défense.
M. Hague a fait savoir qu’il n’était pas "en mesure d’accepter ce rapport", et qu’il veillerait à ce que les termes de "QG permanent" soient éliminés du texte de conclusion de la réunion ministérielle.
Les points de vue étaient si inconciliables que le projet de texte final de la réunion sur le sujet n’a finalement pu être publié.
C’est un grave revers pour Catherine Ashton : "Elle s’est donc davantage comportée comme un fidèle « toutou » des intérêts britanniques que comme une Haute représentante, indépendante, appliquant les Traités européens. Elle a également loupé une occasion personnelle de prouver sa capacité. Dommage, elle avait, là, l’occasion rêvée de démontrer ce que nombre de personnalités lui reprochent : son manque d’audace, son défaut d’appétence pour les questions de sécurité et de défense, son tropisme britannique, son talent à préférer sa carrière personnelle de l’autre coté de la Manche plutôt que l’intérêt général de tout un continent, etc ", commente Nicolas Gros-Verheyde sur son blog spécialisé sur la Politique étrangère de l’UE et l’Europe de la Défense. (3)
La France, notamment, a indiqué son ministre Alain Juppé, a préféré "ne pas avoir de conclusions si dans les conclusions on ne poursuivait pas la réflexion sur la base des propositions de ce rapport". Avec ses collègues allemand et polonais, il a cosigné à l’issue de la réunion, au nom "des pays de Weimar", un communiqué réaffirmant leur volonté d’une "relance de l’Europe de la défense". "L’Allemagne, la France et la Pologne souhaitent une relance de l’Europe de la défense, toujours plus nécessaire dans un contexte marqué par la multiplication des crises, la limitation des moyens nationaux et les attentes croissantes à l’égard de l’Union européenne" (4).
Qualifiant les "propositions" de Mme Ashton de "satisfaisantes et réaliste", ils ont assuré que son rapport "reste sur la table", persistant à citer parmi les thèmes de discussion la "mise en place d’une capacité permanente civilo-militaire de planification et de conduite des opérations". Outre cette proposition, les autres portent sur la mutualisation et le partage des capacités de défense, l’amélioration des relations entre l’UE et l’OTAN, ou encore l’engagement opérationnel des groupements tactiques de l’UE, qui combinent des moyens de différents pays.
"S’il se poursuit, les limites de l’exercice de réflexion paraissent cependant très claires. M. Hague a mis les points sur les i, en rappelant la règle de l’unanimité dans ce domaine", souligne Reuters.
Le veto de Londres à ce QG, qui n’est pas en soi nouveau, vient affecter un peu plus une Europe de la défense déjà affaiblie au point que le chef des armées françaises a pu parler récemment d’"hibernation" à son sujet.
La situation est préoccupante comme le commente Nicolas Gros-Verheyde sur son blog spécialisé sur la PSDC : "Ce veto britannique n’est pas nouveau. Mais il n’a jamais été exprimé aussi clairement. Cette attitude montre ainsi que les illusions d’une négociation avec Londres sur ce sujet sont en passe de s’envoler." (5)
Heureusement, M. Gros-Verheyde montre qu’il existe des moyens de contourner l’obstacle britannique : "Si Londres s’entête, il faudra donc emprunter une autre tactique en utilisant toutes les options possibles, y compris celles ouvertes par le traité de Lisbonne. Il ne manque pas aujourd’hui de possibilités de contourner le veto britannique. On peut ainsi considérer que la mise en place de l’OHQ est une mesure d’organisation interne que la Haute représentante peut décider. On peut aussi déclencher les nouvelles formules prévues par le Traité, comme la coopération renforcée ou la coopération structurée permanente (6). On peut également qualifier un nouvel OHQ, national, à l’initiative de la Belgique ou du Luxembourg, qui serait placé… à Bruxelles dans l’enceinte de l’école militaire belge (autrement dit à une portée de fenêtre du comité militaire de l’UE ou du service diplomatique). Les différents battlegroups qui se succèdent (notamment celui de Weimar) pourraient aussi d’utiliser l’OHQ européen ou bruxellois… On le voit, juridiquement, matériellement, il existe certaines possibilités qui n’existaient pas hier. Le combat d’arrière-garde de Londres ne doit pas faire reculer les Européens mais, au contraire, les inciter à avancer. Ils n’auront pas à s’inquiéter. Le Royaume-Uni a toujours mené ce jeu là avec le continent : bloquer tout ce qui peut être bloquante puis rejoindre ensuite ce qui a pu être fait sans eux" (5).
La Pologne, qui assume la présidence de l’Union européenne depuis le 1er juillet, a fait de l’Europe de la défense la priorité de ces six prochains mois. A elle, avec la France, de pousser plus loin l’Europe de la défense. En effet, l’appui de l’Allemagne, s’il est politiquement important, reste toutefois rhétorique puisque l’effort de défense de Berlin est très inférieur à celui de la France et du Royaume-Uni. En outre, l’Allemagne s’est abstenue lors du vote au Conseil de sécurité de l’ONU sur l’intervention en Libye, le 17 mars, provoquant la colère des autorités françaises.
Paris n’est pas seul comme le montre l’unité lundi 18 juillet de 26 Etats européens sur les 27 pour avancer en matière de défense européenne. Mais Paris est le seul Etat de poids à pouvoir influer sur le cours d’une histoire de la défense européenne qui reste encore largement à écrire.