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Les analogies historiques peuvent avoir de l’intérêt. Il ne faut cependant pas en abuser après le succès de la révolution du jasmin en Tunisie et la fuite surprise de Ben Ali. Certains observateurs ont trop rapidement pronostiqué un effet domino dans le Maghreb et même plus largement dans le monde arabe. Or, il est peu probable qu’il y ait un effet domino dans le monde arabe qui verrait les régimes être renversés les uns après les autres dans un temps court. Par contre, la révolution tunisienne va créer une onde de choc qui se fera ressentir bien au-delà des seules frontières du monde arabe.

L’effet domino annoncé pour le Maghreb ou pour le monde arabe était le fruit d’une analogie faite avec la fin du communisme dans les pays d’Europe de l’Est dans la deuxième moitié de l’année 1989. En quelques mois, tous les régimes communistes que l’on croyait immuables étaient tombés les uns après les autres avec une facilité étonnante. Mais tous ces régimes avaient un point commun: ils n’avaient aucune légitimité interne et ne tenaient que par la contrainte extérieure exercée par l’Union soviétique. À partir du moment où Mikhaïl Gorbatchev avait clairement indiqué que chaque pays membre du pacte de Varsovie pouvait suivre sa voie propre et qu’il ne s’opposerait pas par la force militaire aux choix politiques nationaux qui seraient faits, tous les régimes ont été emportés.

Si les pays du Maghreb ou les pays arabes ont des similitudes, ils ont également des différences nationales suffisamment fortes pour que l’effet domino ne joue pas. On ne peut pas faire une analogie entre l’Europe de l’Est de 1989 et le monde arabe contemporain.

Comme on l’a vu, le premier pays à subir le contrecoup de la révolution tunisienne n’est pas maghrébin, mais l’Egypte. Évidemment, les trois pays du Maghreb ont des points communs. En Algérie, si une partie de la population se demande où passe l’argent du pétrole, s’il y a un problème d’accès à l’emploi et au logement incontestable, le pays se rappelle également les affres de la guerre civile dont il vient à peine de sortir et dans lesquels il n’a guère envie de retomber. L’armée, par ailleurs, a un rôle tout à fait différent en Algérie. Au Maroc, il y a un climat de liberté intellectuelle que la Tunisie ne connaissait pas et qui offre une soupape de sécurité. S’il y a des inégalités sociales, le système paraît plus ouvert qu’en Tunisie et, surtout, le roi, très présent sur le terrain, conserve une forte popularité

personnelle, sans parler de sa légitimité de commandeur des croyants.

C’est l’Egypte plus lointaine qui offrait le plus de points de comparaison avec la Tunisie. Des régimes usés, un blocage politique, l’absence de liberté, la corruption de l’entourage du chef de l’État et un nombre important d’internautes.

Il y a cependant des différences de taille: l’armée, contrairement à la Tunisie, y exerce le pouvoir et elle n’entend pas le lâcher, même si elle peut lâcher Moubarak. Par ailleurs, l’importance stratégique de l’Egypte n’a rien à voir avec celle de la Tunisie. Il est peu probable qu’on assiste à une révolution du type tunisien en Égypte. Il est tout aussi certain que la contestation populaire ne restera pas sans effet et qu’il y aura des modifications politiques importantes en Égypte. Le mouvement en cours ne se résoudra pas par de simples changements cosmétiques. Une onde de choc générale veut dire que les régimes peuvent rester en place, mais en se régénérant, en modifiant leur comportement pour être moins coupés de la population.

Mais ceci n’est pas limité au seul monde arabe. L’Afrique et l’Asie sont également impliquées. L’onde de choc est en fait mondiale. Elle concerne l’ensemble des pays émergents où la population est suffisamment éduquée pour ne pas

prendre pour argent comptant la propagande officielle, où les inégalités sociales, la corruption, l’immobilisme politique sont devenus inacceptables. Tout pays qui a atteint un certain stade de développement et d’éducation est concerné.

Les régimes seront forcés de faire preuve d’ouverture politique et sociale, de tenir compte des aspirations de leurs populations, de crainte d’être emportés.