Plus de six semaines après l’attaque surprise du Hamas contre Israël, un accord pour une « pause humanitaire » dans la bande de Gaza a été accepté dans la nuit de mardi à mercredi par les deux belligérants. Il prévoit, d’ici les prochaines 24 heures, la mise en place d’une trêve de quatre jours et la libération de 50 otages détenus par le Hamas, en priorité des femmes et des enfants, contre la libération de 150 prisonniers palestiniens. Pour David Rigoulet-Roze, spécialiste du Moyen-Orient et chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), il est peu probable à ce stade que la trêve débouche sur une véritable désescalade, Israël restant déterminée à mener à bien les opérations militaires dans la bande de Gaza

Cet accord marque-t-il un tourant dans le conflit, le début d’une phase d’apaisement ? On imagine qu’il faut rester prudent sur sa mise en œuvre.

Cet accord a dû être millimétré, car les parties en présence impliquent des acteurs majeurs comme les Etats-Unis, via le Qatar, qui ont mis tout leur poids dans les négociations. Il est peu probable, en revanche, qu’il puisse déboucher sur un cessez-le-feu pérenne. On sait qu’un principe de ‘reconductabilité’de la trêve a été établi, mais selon des modalités qui restent à déterminer. Or, les Israéliens ne veulent pas que la pause humanitaire vienne hypothéquer le déroulé des opérations militaires qu’ils ont lancées dans la bande de Gaza. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ils ont refusé d’aller jusqu’à cinq jours de trêve comme demandés par le Hamas.

Le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, a fait de la destruction du Hamas une priorité, laissant croire par moments que la libération des otages passait au second plan. Pour Israël, quels risques y a-t-il à avoir accepté une telle trêve ?

Le risque pour Tsahal est d’abord d’ordre stratégique. Il n’est pas question pour le gouvernement de Benyamin Netanyahou de laisser au Hamas une marge de manœuvre suffisante pour permettre un redéploiement, une réorganisation de ses forces de combat.

La libération d’une partie des otages est évidemment un immense soulagement pour les familles concernées. Mais on imagine, en retour, que la pression des autres familles et de l’opinion israélienne en général sur le gouvernement sera d’autant plus forte pour obtenir la libération des otages qui demeurent entre les mains du Hamas. C’est une stratégie habile de la part Hamas qui, de la sorte, tente de contraindre l’Etat hébreu à devoir poursuivre la logique transactionnelle des négociations.

« Nous œuvrons sans relâche pour que tous les otages soient libérés. La trêve humanitaire annoncée doit permettre de faire entrer de l’aide et de porter secours à la population de Gaza », a réagi Emmanuel Macron ce mercredi matin. Peut-on s’attendre à une libération d’otages étrangers ? Rappelons que huit Français seraient actuellement détenus dans la bande de Gaza.

L’identité des otages fait partie des incertitudes. On espère, bien sûr, qu’il y aura des Français. Il y aura sans aucun doute des Américains, car le président Joe Biden a mis tout son poids dans ces négociations. Il y a un intérêt pour le Hamas à libérer en priorité des femmes et des enfants, notamment en bas âge. Par temps de guerre, les profils les plus fragiles sont aussi les plus compliqués à prendre en charge et à gérer, notamment en termes logistiques.

Côté israélien, il existe une liste de 300 prisonniers palestiniens potentiellement ‘libérables’, qui compte une majorité d’individus de sexe masculin dont des mineurs et quelque 35 femmes. On imagine que les 150 prisonniers qu’Israël s’est engagé à échanger seront choisis au sein de ce contingent.

Le Qatar est présenté comme le principal médiateur entre Israël et le Hamas, alors que l’émirat, officiellement, n’entretient aucune relation diplomatique avec l’Etat hébreu. Il est par ailleurs régulièrement pointé du doigt pour son rôle dans le financement du terrorisme, y compris du Hamas. Comment expliquer le rôle joué par Doha dans cette trêve ?

Le Qatar a depuis longtemps l’ambition de se présenter comme un ‘nouveau Genève’au Moyen Orient. Doha voudrait supplanter Mascate (la capitale d’Oman), théâtre habituel des négociations discrètes, généralement secrètes, dans la région. Il faut dire qu’en la circonstance, le Qatar est le seul à pouvoir parler directement à toutes les parties. Au Hamas d’abord, dont il héberge le bureau politique avec son chef Ismaël Haniyeh qui réside à Doha depuis 2019, à Israël avec lequel il y avait un accord sur le transfert régulier d’une aide financière – de l’ordre de 30 millions de dollars mensuels – pour assurer le salaire des fonctionnaires du Hamas à Gaza, mais aussi, évidemment, avec Washington dont il est un partenaire stratégique privilégié. L’USCENTCOM (le ‘commandement central américain’couvrant le Moyen-Orient et l’Asie centrale), l’une des plus grandes bases militaires américaines au Moyen Orient, est installée à Al-Udeid, près de Doha, au Qatar.

Toutefois, des questionnements affleurent déjà de manière subliminale dans certaines déclarations du secrétaire d’Etat Antony Blinken. Les liens de Doha avec le Hamas notamment risquent, à terme – car ce n’est évidemment pas d’actualité aujourd’hui dans la mesure où tout le monde sollicite le Qatar – d’apparaître comme potentiellement problématiques.

D’autres pays ont-ils joué un rôle charnière dans ces négociations ? Assiste-t-on à un recul de l’influence des Occidentaux dans la région, au profit des pays du Golfe ?

Il faut préciser ce que l’on entend par Occidentaux car les Etats-Unis, dont on avait évoqué le ‘retrait’de la région, ont envoyé sur zone deux porte-avions l’USS Gerald R. Ford et l’USS Dwight D. Eisenhower avec leur escorte, un sous-marin nucléaire lanceur d’engins de classe Ohio, l’ensemble de leurs bases sont en alerte maximale dans la région… On ne peut pas vraiment parler d’un retrait en ce qui les concerne.

En revanche, les Européens ont un rôle qui demeure mineur nonobstant des velléités d’affirmation. L’Union européenne n’est pas un acteur géopolitique suffisamment constitué pour être militairement crédible. C’est la faiblesse intrinsèque des Européens encore aujourd’hui. A fortiori lorsqu’ils sont en plus divisés sur la posture à adopter vis-à-vis du conflit à l’œuvre.

Depuis octobre, l’attention de la communauté internationale se focalise sur Gaza, mais du côté de la Cisjordanie quelque 200 Palestiniens ont été tués ces dernières semaines, notamment par des soldats et policiers israéliens. Faut-il craindre, de ce côté, l’ouverture d’un second front ?

Les événements de Cisjordanie ne sont pas des épiphénomènes consécutifs de ce qui se passe à Gaza. Ils sont à replacer dans une potentielle ‘logique escalatoire’, avec un risque de ‘guerre multifronts’déjà sous-jacent. Rappelons que depuis le 7 octobre, Israël a déjà mené des frappes contre le Liban, en réplique à des tirs du Hezbollah, et contre les aéroports de Damas et Alep en Syrie, mais a aussi dû faire face aux attaques de missiles et de drones des rebelles yéménites houthis.

Par ailleurs, des groupes armés palestiniens se sont constitués en Cisjordanie depuis fin 2021 en contrepoint du déficit de légitimité de l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas, qui se trouve complètement ‘démonétisée’y compris au sein de sa propre population. A cela, s’ajoute le jeu dangereux des colons israéliens – quelque 490 000 aujourd’hui – qui entendent profiter de la situation pour faire monter la pression sur les populations arabes de Cisjordanie – environ 3 millions de Palestiniens -, avec le soutien des ministres d’extrême droite du gouvernement de coalition de Benyamin Netanyahou.