La droite radicale a changé de visage. Et son expression identitaire face à l’islam ou à la mondialisation trouve un écho grandissant dans les urnes. Cet automne, la percée historique de l’extrême droite en Suède, berceau de la généreuse social-démocratie européenne, venait confirmer l’essor incontestable de mouvements prenant des allures plus ou moins nationalistes, identitaires et islamophobes, selon les pays. Aux dernières européennes de juin 2009, ce courant politique a réalisé des scores à deux chiffres dans sept pays de l’Union européenne. Jean-Yves Camus, chercheur associé à l’Institut des relations internationales et stratégiques à Paris, étudie depuis des années l’évolution de cette mouvance politique à la droite de la droite sur le Vieux-Continent. Décryptage avec lui de l’Europe des populistes.
Elle est le symptôme d’une transformation profonde de cette famille politique qui s’éloigne des références de l’extrême droite traditionnelle pour s’orienter vers un radicalisme de droite. Son idéologie est un mélange de libéralisme économique et de protectionnisme étatique, mais au seul bénéfice des «nationaux». On assiste à un glissement de la vieille formule des races supérieures et inférieures, quasi inaudible en Europe vers une affirmation des ethnies qui reconnaît le droit d’expression de chaque culture, mais chez elle. Cette droite populiste a en effet la phobie du métissage et du multiculturalisme.
Oskar Freysinger en Suisse, Wilders aux Pays-Bas ou Strache en Autriche pensent que l’islam est plus qu’une religion. Que c’est une culture et un projet politique incompatibles avec les valeurs de la civilisation européenne. Ce qui est dangereux à mon sens, c’est qu’ils estiment qu’un musulman, quel qu’il soit, n’a pas sa place dans leurs pays respectifs. Quand bien même il serait non pratiquant.
Ce qui est très intéressant, c’est que ce discours est fondé sur un retournement des valeurs de gauche sur le droit des minorités, sur l’émancipation des femmes, des homosexuels ou sur la laïcité. Le Néerlandais Pim Fortuyn, assassiné en 2002, incarnait cette ligne, attachée à la liberté des comportements personnels, dénonçant en l’islam une religion totalitaire qui dicte ce que l’individu peut décider dans chaque acte de sa vie quotidienne. Il reprochait ainsi à l’islam de vouloir revenir sur les acquis de la philosophie des Lumières. Oskar Freysinger, qui était récemment invité à un meeting identitaire à Paris, n’a pas salué la France de Maurras en début de discours, mais celle de Voltaire.
Oui, plus l’Europe devient technocratique et normalisante, plus l’Etat nation s’efface, et plus une partie des citoyens pensent que le moyen de se prémunir de Bruxelles est d’affirmer son identité primaire. Plus l’inquiétude est grande face à la mondialisation, plus la globalisation s’accroît, plus le peuple s’accroche à sa spécificité de terroir, à sa petite patrie. L’Etat nation est par ailleurs devenu d’autant moins indispensable que certaines régions sont plus riches que certains Etats. C’est d’ailleurs le cas de la Flandre et de l’Italie du Nord, qui sont des régions prospères qui peuvent s’inscrire dans une Europe des ethnies, comme le proclament le Vlaams Belang ou la Ligue du Nord.
Oui, il y en a deux. Celle qui reste attachée à la tradition de l’extrême droite à laquelle appartiennent le NPD allemand, le BNP en Grande-Bretagne et des groupuscules radicaux. L’autre réunit des partis comme la Ligue du Nord, chantre de l’égoïsme fiscal, l’UDC ou le parti de la liberté néerlandais, dans l’opposition au multiculturalisme.
Lors de la votation sur les minarets de 2009 en Suisse, la question n’était pas de savoir s’il fallait autoriser ou non les minarets. C’était de savoir si l’islam qui s’est implanté est compatible avec le «sol suisse». L’UDC se positionne donc sur la ligne de l’antimulticulturalisme. L’exercice de la démocratie directe opposé au système représentatif est exploité par les autres partis européens pour opposer le bon sens populaire au dévoiement des élites. Freysinger est effectivement en train d’acquérir une dimension internationale, grâce à ses talents de tribun mais aussi par son côté «rebelle blanc» qui transgresse les codes. La position neutraliste et anti-européenne de l’UDC est également appréciée, comme d’une manière plus générale la capacité de la Suisse à préserver sa spécificité à travers l’histoire.
En Europe centrale et orientale, il y a plus de permanence des vieux schémas qui étaient ceux de l’extrême droite des années 30-40. Ce qui est fondamental dans ces pays, c’est le poids énorme de leur vécu du communisme, qui les a amenés à juger totalement comparables le totalitarisme nazi et stalinien. En Hongrie, le gouvernement Orban a compris jusqu’où aller trop loin. Son parti Fidesz n’a pas besoin du Jobbik à sa droite, qui est dans l’opposition. Mais s’il ne va pas assez loin, il le payera sans doute électoralement. En Serbie, le Parti radical fait 29% et un nationalisme agressif subsiste, y compris au Kosovo. Mais, à mes yeux, les tentations autoritaires d’extrême droite sont plus fortes en Russie ou en Ukraine.
De moins en moins en Europe. Le 7 décembre dernier, le FPö, le Vlaams Belang, le parti des Démocrates de Suède et le nouveau parti allemand Die Freiheit (La liberté) expliquent dans la déclaration de Jérusalem qu’Israël est un allié sur la ligne de front du combat contre le totalitarisme de l’islam.
Je pense qu’il y a moins de choses qui séparent Marine Le Pen de son père que de choses qui séparent l’UDC de Blocher de l’UDC traditionnelle.
Ce raccourci n’a aucun sens. Si le coup de barre à droite des gouvernements européens est incontestable, sur les thèmes de l’identité et de la sécurité, ni Sarkozy, ni Berlusconi, ni Merkel n’ont abandonné la conception commune d’une citoyenneté comme acte volontaire, accessible à qui le souhaite. Même si une partie de leur base les y pousse. Après la sortie de Marine Le Pen sur les prières musulmanes dans la rue, le président français a déclaré que «la défiance religieuse est négative». Par ailleurs, la droite populiste américaine n’a rien à envier à l’européenne.