• Point de vue de [Jean-Pierre Maulny->http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=maulny], directeur adjoint de l'IRIS

  • Jean-Pierre Maulny

    Directeur adjoint de l’IRIS

L’Asie s’arme, l’Europe désarme. Tel est le bilan lapidaire que l’on pourrait tirer des annonces faites ou rapports publiés sur les dépenses militaires dans le monde. Vladimir Poutine prévoit d’affecter 590 milliards d’euros à la défense entre 2012 et 2020 avec un effort conséquent sur les trois prochaines années qui représenterait un doublement du budget de la défense russe. Le groupe de presse Jane’s a publié un rapport indiquant que la Chine doublerait son budget militaire d’ici 2015. L’Inde continue à conduire un effort de défense important avec une croissance en moyenne de près de 10% par an du budget de la défense. De leur côté les dépenses militaires européennes diminuent : 180 milliards d’euros en 2010 alors que ce chiffre était de 200 milliards d’euros en 2008.

Faut-il en tirer la conclusion que la Russie, la Chine et l’Inde mènent une course à l’armement et menacent une Europe qui agit à contre-courant en désarmant ? La réalité est plus complexe que cela. Tout d’abord on oublie trop souvent que, ainsi que l’a démontré une étude du FMI dans les années 1990, le moteur principal des dépenses militaires est la croissance économique et non la situation internationale. 4/7/9, voilà le triptyque du taux de croissance respectif de la Russie, de l’Inde et de la Chine. Le déficit du PIB était en Russie de -1% en 2011 et la dette publique de 20% : des chiffres à faire pâlir d’envie les Européens.

Au-delà des explications générales, il y a des explications spécifiques à chaque pays. L’Inde fait face à la double menace pakistanaise et chinoise. Le conflit de Kargill puis les attentats de Bombay ont incité les dirigeants à augmenter le budget de la défense qui a doublé en 5 ans. Le pays veut aussi s’afficher comme une puissance régionale, il revendique d’ailleurs une place de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations-Unies, et le développement de son industrie d’armement est des objectifs de New Delhi tant en terme de puissance que de développement industriel.

La Chine tente pour sa part de rattraper son retard technologique en matière de défense. La croissance économique est forte et soutenue depuis plusieurs années. Le désir de puissance est réel dans un environnement régional plus tendu que le continent européen. Le pays reste pourtant à la traine sur le plan militaire par rapport au seul pays que les Chinois veulent réellement concurrencer : les Etats-Unis. Dans les années 90, les Chinois ont dû acheter massivement du matériel russe pourtant en déclin car ils n’arrivaient pas à développer des équipements performants.

Si les Chinois ont révélé l’existence d’un prototype d’avion de combat de la 5ème génération récemment, on ne s’attend pas à ce que celui-ci entre en service avant plusieurs années. La montée en puissance est donc réelle mais pas si immédiate qu’on ne pourrait le penser La Russie est un cas encore plus atypique. Vladimir Poutine est aujourd’hui en campagne électorale. L’un des axes de sa campagne est la fierté de la nation russe retrouvée. Le bouclier anti-missile de l’OTAN, dont les phases de déploiement ultérieures sont susceptibles de remettre en cause la crédibilité de la force de dissuasion russe, fournit un bon prétexte au dirigeant russe pour tenir un discours martial sur la défense. Les promesses de campagne seront-elles tenues ? C’est peu probable tout au moins concernant le niveau de croissance du budget de la défense affiché à court terme. L’état de l’industrie de défense russe ne permet pas de développer de nouveaux matériels performants en si peu de temps. Pour autant la volonté de remontée en puissance militaire de la Russie ne peut être niée.

Enfin il y a un paradoxe dans la situation actuelle car ce qui peut paraitre d’un côté comme une menace… est aussi peut-être une chance pour notre industrie de défense. Bâtiment de projection Mistral, avions de combat Rafale, les dernières annonces de vente d’armes de notre pays concernent la Russie et l’Inde. Et il en irait peut être de même pour la Chine si ce pays n’était pas soumis à un embargo sur les exportations d’armes de l’Union européenne depuis 1989.

Pour simplifier on pourrait dire que ces pays ont l’argent pour acheter des armes alors que nous avons les équipements qu’ils souhaitent acquérir et les technologies qu’ils souhaitent développer. L’Inde et la Russie peuvent donc être les marchés d’exportation qui permettront à nos entreprises de défense de traverser sans encombre la période actuelle de pénurie budgétaire. Cela n’est toutefois pas sans risque et il sera nécessaire de renforcer le dialogue, notamment avec la Russie, sur les grands sujets de politique internationale et de sécurité qui sont susceptibles de nous diviser ou qui nous séparent déjà fortement : Syrie, Iran et défense anti-missiles.