Les frappes de Tsahal sèment la mort à Gaza. Cette guerre va-t-elle durer ?

Cela dépend de ce que vous appelez “guerre”. S’agit-il de la phase actuelle ou d’un processus plus long ? Tant qu’il n’y aura pas de paix véritable entre Israéliens et Palestiniens, à savoir la création d’un État palestinien à côté de l’État d’Israël vivant dans des frontières sûres et reconnues, il y aura toujours un état de guerre larvée ou intense. Dans la mesure où Israël est totalement insensible aux pressions internationales, États-Unis compris, la phase actuelle s’arrêtera quand l’État hébreu estimera avoir détruit les infrastructures et l’état-major du Hamas, et pensera avoir obtenu un résultat satisfaisant pour son opinion publique. Mais tous les généraux vous diront que les opérations militaires ne servent à rien si elles ne sont pas mises au service d’un projet politique. Quel sera le projet politique d’Israël après la fin des combats ? S’il s’agit de maintenir la colonisation en Cisjordanie et le blocus de Gaza, un jour ou l’autre, la guerre reprendra.

La solution à deux États est-elle encore viable ?

On peut se le demander du fait de l’intensification de la colonisation, 200 000 à Jérusalem, 500 000 en Cisjordanie. Par ailleurs, la société israélienne a très largement glissé à droite et à l’extrême droite et il n’y a plus une majorité en faveur de la solution à deux États. Les attentats du 7 octobre ont renforcé l’extrême droite israélienne.

Israël peut-il perdre le soutien des États-Unis ?

Oui et le gouvernement israélien peut souhaiter l’élection de Donald Trump, qui lui donnerait un chèque en blanc. La communauté juive américaine a, en revanche, pris ses distances avec Israël. Elle est dans l’ensemble libérale et démocrate. Mais Israël bénéficie du soutien inconditionnel des chrétiens sionistes. Par ailleurs, au sein du parti démocrate, il y a une rupture générationnelle : les plus de 30 ans font toujours preuve d’un soutien très actif à Israël quand les moins de 30 ans sont indignés des bombardements sur les populations civiles et du soutien, selon eux inconditionnel, que Biden donne à Israël.

Peut-on craindre une extension du conflit ?

Le Hezbollah s’est livré à quelques escarmouches, mais n’a pas déclenché des combats de haute intensité contre Israël. Le Hezbollah est à la fois l’allié de l’Iran, une milice armée mais c’est également un mouvement national libanais. Et les Libanais ont suffisamment de problèmes pour en créer un supplémentaire en se lançant dans une guerre contre Israël. Quant au régime iranien, les évènements lui profitent sans qu’il ait à s’en mêler directement. Et il est avant tout intéressé par la survie de son régime. Le déploiement de deux porte-avions américains dans la région, dont l’un regagne les États-Unis, a eu un effet dissuasif. Il faut voir désormais si l’assassinat à Beyrouth du numéro deux du Hamas débouche sur un embrasement régional. Cette guerre rebat aussi les cartes à travers le monde… Cette guerre est venue accentuer le fossé “The west versus the rest”. Les pays occidentaux soutiennent très fortement Israël, alors que dans ce qu’on appelle le “Sud global”, il y aune condamnation
quasi unanime, à quelques exceptions près. Dans cette partie du monde, on estime que les Occidentaux sont hypocrites en plaidant pour le respect du droit international et du droit humanitaire, sauf quand Israël est concerné. Vladimir Poutine se réjouit des évènements. Il peut mettre en avant la contradiction des Occidentaux qui ont condamné très fortement les bombardements de population civile en Ukraine et qui se taisent ou ne font pas grand-chose par rapport à ce qui se passe à Gaza.

Que vous inspire la position de la France, critiquée ?

Le Président Macron a déclaré un soutien inconditionnel à Israël après l’horreur des attentats du 7 octobre. Puis il a tenté d’organiser une conférence humanitaire dont les résultats ont été forcément insuffisants. Il court le risque d’être critiqué par ceux qui jugent son soutien à Israël démesuré, et ceux qui estiment qu’il n’aurait pas dû appeler à un cessez-le-feu. Cette guerre a également des répercussions dans nos sociétés. Il est certain qu’il y a une importation du conflit palestinien, et depuis très longtemps en France, à chaque fois que des évènements dramatiques surgissent là bas, il y a une montée des actes
antisémites. Les jeunes des quartiers estiment qu’il y a une injustice à ce que les Palestiniens subissent toujours occupation et répression et se projettent sur leur situation. Il est important que les communautés ne se dressent pas l’une contre l’autre, que l’on puisse débattre librement de ces sujets en interdisant insultes et violences.

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Propos recueillis par Manuel Cudel pour Midi libre